Le club de débat de Gros-Morne a réalisé, le 29 décembre 2014, une grande
activité pour clore l’année 2014 dans l’euphorie. Sortir de la routine
quotidienne a été notre préoccupation cette année. Cette activité de fin
d’année est organisée pour la première fois en pleine nature, dans une grande
forêt située à Méderique, à environ 15 minutes de marche en sortant de la
ville.
Cette forêt est l’œuvre d’environ 30 jeunes formant une association dénommée
AJGR (Association de Jeunes de
Gros-Morne pour le Reboisement). Cette initiative est louable et mérite d’être
encouragée.
Au cours de cette journée, le club a organisé 3 activités : la visite
du parc, de la relaxation et un mini-tournoi de débat sur le sujet suivant :
« L’économie informelle devrait être
interdite en Haïti ». 30 jeunes ont participé à cette activité.
Douze débatteurs ont participé à ce mini-tournoi, répartis dans 4 équipes.
Les équipes sont identifiées comme suit : A, B, C, D. Au tour éliminatoire,
il y a eu 2 matchs. : Équipe A (affirmative) vs C (négative) et B (négative) vs D (affirmative). Les 2 équipes gagnantes de ces duels (A et D)
se sont affrontées en finale.
L’économie
informelle, un indicateur de la faiblesse de l’Etat
Donfred BELZINCE, le
premier orateur de l’équipe affirmative, a expliqué au jury qu’il ne s’agit d’une
interdiction brusque, mais plutôt graduelle, en commençant par les grossistes
(boutiques, dépôts, quincailleries …).
Il a affirmé qu’interdire
le commerce informel « va faciliter
le contrôle de l’économie par l’Etat ». Selon l’équipe, l’Etat a
l’ultime obligation de contrôler le système économique du pays. Dans
l’informel, l’Etat n’a pas le contrôle de la condition des travailleurs, des
prix, de la condition sanitaire des produits. La santé de la population doit être
prise en compte par l’Etat. Pour ce faire, la formalisation du système devient
indispensable. En plus de tout cela, l’économie informelle fonctionne en dehors
des règles fiscales et échappe au contrôle de l’Etat.
Plus loin, son
coéquipier a ajouté que « …il
indispensable à l’Etat de pouvoir contrôler l’économie. Pour y arriver il faut interdire
graduellement l’informel pour entrer dans le formel. Avec le formel l’Etat va
percevoir des taxes, créer des conditions d’emploi. Les boutiquiers et autres
marchands grossistes gèrent eux-mêmes leurs entreprises, sans les conditions
requises (comptabilité etc.). Interdire l’économie informelle sera bénéfique
pour tout un chacun. L’Etat aura le contrôle de ce que nous consommerons, des
prix des marchandises (empêcher le marché noir)… »
Bency DUPRÉ de l’équipe
négative s’est élevé contre l’idée d’interdire l’économie informelle en Haïti.
D’après lui, « interdire veut dire
pour nous, stopper, empêcher toutes formes d’activités économiques
informelles ». Dans sa réfutation il a essayé de faire comprendre que
l’économie informelle ne découle pas du hasard. « C’est une initiative prise par le peuple qui se voit livré à lui-même
et sans laquelle ses enfants crèveraient de faim. L’Etat n’a pas le contrôle de ceux qui
fonctionnent dans le formel ».
Dans leur 2e
argument, l’équipe affirmative a soutenu que l’interdiction de l’économie
informelle « facilitera le développement
du pays ». L’économie
informelle ne fait qu’affaiblir l’Etat. La force de l’Etat réside dans la taxe,
sans laquelle il est faible. Si on formalise l’économie informelle, l’Etat sera
en mesure d’offrir à la population une éducation de qualité, des soins de santé
et d’investir dans l’agriculture, au bénéfice de tout le monde.
L’équipe négative s’est
inscrite en faux contre cet argument. Ils ont reproché à l’équipe affirmative
de n’avoir cité aucun pays qui ait pu se développer à partir de l’économie
informelle. « Aujourd’hui nous
voulons une Haïti développée, dit l’un débatteurs de l’équipe. Nous voyons que nous n’y arriverons pas en
restant l’économie informelle. Il faut que l’Etat soit fort, capable de créer
une meilleure condition de vie à sa population. Il lui faut créer des
conditions favorables à tous. Il va falloir plus d’emplois et dans de
meilleures conditions. Voila pourquoi nous voulons que nous passions de
l’informel au formel ».
L’économie
informelle, une initiative populaire contre la faim
Blandine DOLNÉ, de l’équipe négative, qui fait sa toute première expérience
dans une compétition de débat, a rétorqué que l’économie informelle ne devrait
pas être interdite, « parce
qu’elle permet aux petits marchands de répondre à leurs besoins ».
Elle a expliqué que le peuple vit dans la misère. Il recourt à ce type d’activité
économique pour ne pas mourir de faim. Ainsi, il envoie ses enfants à l’école
et répond à certains autres besoins (nourriture, vêtements …). « Nous
sommes dans un pays où l’Etat parait inexistant. La pratique de l’économie
informelle est un moyen auquel recourt le peuple pour se sauver de la misère et
de la faim alors que l’Etat est là ».
Givelt VILMEUS, l’un des
bons débatteurs du club de Gros-Morne, a réfuté cet argument en faisant
remarquer que « l’économie
informelle permet au petits marchands de répondre à leurs besoins, mais en
dehors des normes, dans leurs intérêts
personnels, individuels tout en maintenant le pays dans les chaines du sous-développement.
L’économie informelle est une économie de subsistance. Pas de développement
dans cette forme d’économie. Pas de bien-être collectif dans l’informel. Ce
qu’il nous faut voir, c’est le bien-être de la collectivité ».
Blandine avait proposé
le 2e argument suivant : « L’économie informelle est
plus favorable à la majeure partie de la population ». Selon elle, « c’est grâce à l’informel que la majeure partie de la population survit.
Pas de travail pour le peuple. L’économie informelle reste la seule porte
ouverte au peuple ».
Un coéquipier de l’équipe
a renchéri en affirmant que le développement du pays passe d’abord par le développement
des individus. L’économie informelle participe grandement dans le soulagement
de beaucoup de gens. Elle donne du travail.
Givelt, de l’équipe affirmative
a jugé que cet argument est faux. « La
majeure partie de la population vit dans la misère noire. Elle n’a pas droit à
la santé, à l’éducation, à un logement décent, à un travail tandis que nous
sommes dans l’informel. Ce n’est qu’avec l’économie formelle qu’on arrivera à résoudre
ces problèmes ».
Délibération
Malheureusement, beaucoup
de bonnes questions soulevées par les débatteurs sont demeurées sans réponses :
êtes-vous totalement d’accord qu’Haïti
reste dans l’économie informelle ? Haïti, peut-elle se développer dans
l’informel ? Quels en sont les avantages pour le pays ? Pourquoi Haïti
reste encore sous développée ? Combien de pays se développe-t-il à partir
de l’informel ? Que devons-nous choisir : l’informel ou le
formel ?
4 juges sur 5 ont finalement
voté pour l’équipe affirmative. Pour eux, tous les débatteurs de cette équipe
ont su jouer leur rôle avec aisance et savoir faire. Leurs réflexions étaient profondes.
La synthèse de l’équipe affirmative était plus claire que celle de l’équipe négative.
La réfutation faite par la première négative a été un petit peu décousue. Pour certains
juges, c’était même inexistant.
La force de l’équipe négative reposait en
majeure partie sur l’épaule du deuxième négatif, en l’occurrence Bency DUPRE
qui a effectué un excellent travail, mais insuffisant pour redresser la barre,
dixit le jury. Il a été super dans son
premier match et a totalisé plus de points que ses rivaux.
Verline de l’équipe affirmative est appréciée
pour son calme et la pertinence de ses questions.
Donfred, d’après le jury,
a le mérite de l’articulation, de la
clarté, de la fermeté et du sens de la répartie en contre-interrogatoire.
Givelt a trouvé son mérite
dans la profondeur de sa réflexion et son raisonnement, mais parfois il manque
de méthode dans le processus de la réfutation.
Commentaires
Cette activité de fin d’année a été très animée et pleine de
promesses. Pour certains débatteurs, c’était leur première participation à un
tournoi de débat, pour d’autres l’occasion de gagner en expérience.
L’équipe A a trouvé sa qualification pour la finale grâce à l’effort
de son 2e négatif (Bency Dupré) qui a joué un très bon match. À
preuve, il a totalisé plus de points au tour éliminatoire et sera désigné
« Meilleur débatteur du tournoi ». Or, malgré tous ses efforts, son équipe a sombré en finale.
Le jury était composé totalement d’anciens débatteurs du club dont
certains ont été formés comme juges. 3
juges ont arbitré les 2 premiers matchs, et 5 la finale. Tous les débatteurs
ont été satisfaits de la délibération du jury. Des livres ont été donnés comme
primes.
Jonathan Vilméus
Animateur du club de débat de Gros Morne
Tableau Des points des debatteurs
|
|
|
Match
1
|
Equipe A neg
|
Points
|
Blandine Dolné
|
74
|
|
Bency Dupré
|
81
|
|
Chardin Dolné
|
72
|
|
total
|
227
|
|
Equipe C aff
|
|
|
Jean Denis Mareus
|
71
|
|
Aderline Augusma
|
75
|
|
Géleste Camilien
|
71
|
|
|
Total
|
217
|
Matchc
2
|
Equipe B
|
|
Lavilson Silien
|
64
|
|
Frantz Telemarque
|
66
|
|
Stervenson Sinibo
|
62
|
|
Total
|
192
|
|
Equipe D
|
|
|
Donfred Belzince
|
78
|
|
Givelt Vilmeus
|
75
|
|
Verline Noel
|
72
|
|
|
total
|
225
|