La rentrée
académique de septembre 2016 a marqué la reprise des activités du club de débat
de FOKAL à Jacmel. La grande réunion de lancement qui s’est tenue le samedi 10 septembre
2016. Les animateurs y ont mis à discussion leurs propositions pour l’année et
recueilli ceux des jeunes : Un premier canevas prévisionnel de formation
et d’exercices de débat, quelques projections de films thématiques, de sorties
éducatives. L’enthousiasme de départ est, cependant, réduite à la participation
dissipée. Les présences aux réunions se sont espacées de telle sorte que les
exercices pratiques ont été reportés à plusieurs reprises.
Le
dialogue pour se relever
Pourtant, c’était
déjà le moment d’intégrer de nouveaux jeunes dans le club. Les activités
prévues dans ce cadre, matchs d’exhibition et invitation dans les écoles, ont
du être ajournés sur quelques semaines. L’ambiance avait besoin d’être
redynamisée au préalable, pour que cette nouvelle campagne de recrutement soit
pleinement réussie. Mais comment rallier les troupes ?
Les animateurs du club de Jacmel, Bettina
Pérono et Reginald Raymond-Fils ont eu recours à leur principal outil de
dialogue pour remédier à la situation. Mais auparavant, la fiche de dialogue a
été réadaptée à la situation. Les jeunes, ont été appelés à s’exprimer
librement et le plus honnêtement possible. Toutes les réponses ont relevé un
manque d’implication et de motivation chez les jeunes. La plupart souhaitaient
plus de loisirs. La plus grande
difficulté à laquelle ils ont tous dit se confronter dans la préparation des
matchs a été de trouver et d’utiliser les supports.
Grâce aux
fiches de dialogue, les animateurs du club Bettina Pérono et Réginald Raymond
Fils ont alors revisité leurs méthodes de coaching, en vue d’améliorer la
participation des jeunes jacméliens dans le club, ainsi que leurs performances
de débateurs. La solution devait autant faire appel à la rigueur de l’esprit du
débat qu’au besoin de loisirs des
jeunes. Les stratégies de l’année précédente avaient, pourtant, été
payantes : arrivé en demi-finale au tournoi national, le club de Jacmel a
eu des performances remarquables.
Quant aux loisirs, films, soirées dansantes
et prestations culturelles, les jeunes en avaient eu pour leur compte entre les
multiples exercices et tournois de débats. Mais l’évidence venait de changer de
cap : Il est vrai que débattre, c’est apprendre en s’amusant ; l’animateur
risque, cependant, d’être le seul à le comprendre, s’il n’arrive pas à sans
cesse réinventer les méthodes de coaching afin d’en convaincre les jeunes, qui,
de leur coté, ont souvent tendance à prioriser les loisirs sur l’apprentissage.
Il fallait donc
encore évoluer. Maintenant, dans quelle direction ?
Le gout du jeu
C’est de la
page 124 du guide pédagogique de débat de FOKAL qu’émergea la piste la plus
adaptée à la situation : un jeu de rôle racontant les circonstances de
l’assassinat d’une jeune femme, et où il revient de déterminer dans son
entourage qui est le plus responsable de sa mort de son décès. Les désignés :
son mari absent, son amant qui refuse de l’aider, son ami qui en fait de même,
un passeur qui lui exige des frais qu’elle n’a pas en échange de ses services,
et un fou qui finalement la tue plutôt que de la laisser traverser un pont pour
rentrer chez elle. Le match devait se dérouler comme dans un tribunal. Les
débatteurs, des avocats. La résolution remplacée par la responsabilité ou non
de leur client.
Dans un premier
temps, les jeunes ont du déterminer par ordre croissant, et selon leur point de
vue personnel, le niveau de
responsabilité des protagonistes dans le décès de la femme. Parmi les protagonistes
qui ont récolté le plus de voix après le meurtrier direct, c’est à dire le fou, seraient
les premiers les clients des équipes.
Le mari
et l’amant remportèrent la palme avec respectivement 23 et 18 points, après le fou (27 points). La première résolution retenue était donc : L’amant
est le plus responsable de la mort de la femme. Et l’accusation étaient portée
par les avocats du mari, de l’équipe affirmative, Brunet BLAISE (1A) et Claudia
PETIT JEAN (2A), Gregory JEUDY (3A). La défense étaient assurée par Marcorel NOEL
(1N), Annizabelle SANON (2N), Querline BERNADEAU (3N). En guise de jury, les
animateurs Bettina Pérono et Réginald
Raymond Fils prenaient note.
Les règles
Le plaidoyer des avocats devaient reprendre la structure argumentative Karl
Popper et témoigner d’un respect mutuel, les avocats devaient eux-mêmes réunir
les éléments de leur plaidoyer ; pour le reste ils avaient carte blanche. Le
premier match s’est tenu le dimanche 16 octobre .Les jeunes se sont laissé prendre au jeu. Leur premier tour : nommer le mari comme leur animateur
Réginald, et l’amant comme un des débatteurs affirmatifs, Brunet, dans
l’intention maligne de le porter à s’accuser lui-même.
Le débat
Argument de l’équipe
affirmative :
Déclaration : L’amant est le principal
responsable de la mort de la femme, parce que son refus de l’aider a un impact psychologique déterminant sur
elle.
Explication : La femme a traversé la
rive pour rejoindre son amant. Face à l’attitude irresponsable de ce dernier,
elle se retrouve dupée, humiliée, désespérée. D’autant plus que
l’amant n’a même pas daigné fournir une explication sur les raisons de son
refus à la femme, ce qui implique qu’il ne voulait tout simplement pas l’aider.
Support : N/A
Conclusion : Son
refus de l’aider cause ainsi son geste
désespéré de se livrer à une mort certaine.
Réfutation par
l’équipe négative : L’amant n’a
pas poussé la femme vers la mort, au contraire c’est lui qui a souffert quand
elle a décidé de l’abandonner. Pourquoi devait-il aider la femme à le quitter?
Argument de l’équipe négative :
Déclaration : L’amant
n’est pas le principal responsable de la mort de la femme, parce qu’il est
dépassé par les événements.
Explication : C’est
la femme qui a commencé leur relation en décidant de se laisser séduire. Elle
est venue le trouver chez lui, pour ensuite l’abandonner. La femme avait le
choix : elle aurait pu rester. Mais elle a choisi de partir, en lui brisant
le cœur.
Support : N/A
Conclusion : L’amant est
désespéré que la femme préfère risquer sa vie pour retrouver une autre personne
qui la néglige.
Réfutation par
l’équipe affirmative : L’amant vient
de passer la nuit avec la femme, c’est une preuve de l’amour qu’elle lui porte.
Il n’est donc pas déstabilisé, mais confiant dans sa prédominance affective
lorsqu’il prend la décision de ne pas l’aider. Leur relation est illégitime, l’amant est irresponsable parce qu’il ne considère pas les risques que la femme
prend ainsi pour lui. C’est lui qui abandonne la femme, car il la délaisse face
à la difficulté.
Reconstruction
de l’argument affirmatif:
Rappel de la déclaration : L’amant est le principal responsable de la mort de la femme, parce que son
refus de l’aider a un impact
psychologique déterminant sur elle.
Support : Selon
le psychologue, Sigmund Freud, un traumatisme peut provoquer un désespoir
extrême.
Explication: Et c’est ce
qui est arrivé à la femme. Ce désespoir l’a poussée à pratiquement à se suicider en
acceptant finalement d’affronter le fou, en sachant que celui- ci allait la
tuer.
Conclusion : L’amant
est donc le principal responsable de la mort de la femme, parce qu’il savait
aussi qu’il la condamnait en lui refusant son aide. Il a ainsi fait preuve
d’une négligence criminelle.
Réfutation de
la reconstruction par l’équipe négative : Premièrement, si la femme était tout simplement restée avec son
amant, elle ne serait pas morte. Deuxièmement, si elle décide quand même de
partir, l’amant n’est pas garant de sa sécurité. C’est elle qui préfère le
quitter et risquer sa vie pour un mari
qui la néglige.
Reconstruction
de l’argument négatif :
Rappel de la
déclaration : L’amant n’est pas le principal responsable de la
mort de la femme, parce qu’il est dépassé par les événements.
Explication : L’amant
n’est ni le seul ni le premier à qui la femme s’adresse, il y a aussi le
passeur, l’ami de longue date, et ils ont tous deux refusé de l’aider. Et
puis, l’amant avait peut-être honte de ne pas avoir d’argent à lui donner pour
le passeur. Qu’est ce que l’amant aurait du faire ? Risquer sa vie
inutilement pour sauver celle d’une femme qui est en train de le quitter ?
Support : N/A
Conclusion : La
femme infidèle est seule responsable de ses actes. Elle décide de se laisser
séduire. Elle rejoint son amant en l’absence de son mari. Elle quitte son amant
pour rentrer en pleine nuit avant l’arrivée de son mari, en refusant de rester,
même pas pour sa sécurité.
Les
contre-interrogatoires étaient passionnants. Parmi les questions et réponses les
plus intéressantes, celles-ci ont retenu l’attention des animateurs :
Question (3N au 1A) : N’est-ce pas la
femme qui s’est laissée séduire ?
Réponse (1A au 3N) Sans amant, il n’y a
pas d’infidélité.
Question (1N au 2A) Le retour de la femme
vers son mari signifie t-il forcement qu’elle le préfère à l’amant ?
Réponse (2Aau 1N) : Pas forcément,
mais elle a épousé cet homme devant la loi, et la loi interdit l’infidélité. Elle
risque la prison ou même la mort si elle se fait prendre.
Juste un jeu
Pas de décision
du jury pour cette fois, c’était par contre prévu pour le prochain match où les
équipes devraient inverser leurs rôles, devant d’autres jeunes et potentiels
nouveaux membres du club, ainsi que leurs
parents.
Les animateurs du
club de Jacmel ont quand même souligné le manque de support aux arguments et
ont promis d’y revenir dans leurs prochaines séances de formation. Le constat
le plus important à faire, selon eux, était l’attitude des débatteurs et débatteuses
: Les jeunes se sont lâchés, s’amusant à s’envoyer des piques taquines dans
leurs discours, mais ils sont restés en alerte au discours adverse pour
l’attaquer plus tard et de front. Et parce qu’ils ne pensaient qu’à jouer, le
rire des autres et de soi-même avait remplacé la crispation dans le discours causée habituellement
par le stress.
Cette
compétition positive et plaisante est justement l’ambiance requise au débat,
leur ont fait remarqué Bettina Pérono et Réginald Raymond Fils, ravis de
pouvoir également se le rappeler : dans ce programme éducatif, débattre est,
avant tout, un jeu.
Bettina
PERONO & Réginald
Raymond-Fils
Animateurs du club de débat de Jacmel
Lundi 16 décembre 2016,