Jeune, je ne l’ai jamais été. Jeune, je le suis toujours.
C’est un mois d’aout 1960, je n’ai pas encore douze ans, je viens d’être battu par mon père, parce je jouais au football ou parce que j’étais sale. Les coups de fouet, ca me connait, je les recevais toujours sans pleurer, sans broncher, fixant mon bourreau sans jamais comprendre de ses châtiments corporels. Les seules traces qui restaient, c’était l’extinction de ma voix. J’ai parle de bourreau ! Ce jour-là, j’ai cru voir en plus de la colère de mon père, du dédain. Et j’ai pris la décision de fuir le toit familial. Jeune, je ne l’ai jamais été. J’ai réfléchi à froid durant des jours et des nuits sur une stratégie de sortie. Toutes les idées passaient, je ne voulais plus rester à la maison. Eureka, quelle trouvaille ! Un matin de septembre, je demande un entretien à papa, et je monte tout un échafaudage avec des brins d’informations, des reliefs d angoisses et d’espoirs, de mensonges. Je forge de toute pièce un projet. Je lui confie que je lui ai toujours caché mon intention de devenir religieux. Le projet est accueilli par la famille. Dieu a entendu les prières de maman et voilà la maison débarrassé de ce petit brigand. Je mettais souvent maman en colère et elle allait accouchée de deux jumeaux un 18 septembre 1961. Papa rapidement m’a fait une valise de riche, souliers en cuir, je passai rapidement du pantalon court au long. Et je débarquais au Juvénat frères du Sacré-Cœur à Carrefour. Le frère directeur, étonné, fait comprendre à papa que son fils n’avait jamais manifesté l’intention de devenir religieux, aucune demande n’a été produit en ce sens, et, en plus, la date d’entrée pour les juvénistes a expiré depuis plus d’une semaine. Il est jeune, on prend rendez-vous pour l’année prochaine. Là, j’interviens pour persuader le directeur. Je fais, miennes, les valeurs religieuses, je suggère que j’ai été touché par la grâce et qu’il s’agissait d’une véritable conversion à la Saint-Paul. Et le miracle a eu lieu. Jeune, je ne l’ai jamais été.
Et j’ai regardé mon père partir, mon idole ; celui qui transformait un tas de ferraille en un guildive, transformait le vétiver en huile essentielle, démontait un camion en panne pour le reconstruire, j´étais son assistant, et souvent mes journées de travail étaient récompensées par une sortie dans la compagnie des grands. J’étais aussi son idole, il chantait mes mérites avec ses amis et je le regardais partir fier de lui, de moi, je ne sais plus. J’étais décidé à affronter ma nouvelle vie. Loin des petits plats de maman qui avait étudié à Elie Dubois. Les premiers mois furent terribles. La qualité de la nourriture, la messe chaque matin, les travaux domestiques, il n’y avait la bonne et la domestique pour vous nettoyer les chaussures, ranger vos clics et vos clacs. Je fus quelquefois tenté de revenir à la maison, à la famille mais je me disais que je serai un simple individu comme Monsieur Tout le Monde, un petit être classique, un quidam (un mot découvert par des camarades, et, qui dans notre lexique, signifiait vaurien) incapable de devenir un homme, aujourd’hui j’aurais dit incapable de devenir une personne capable de conscience de soi. Jeune, je ne l’ai jamais été.
Jeune, je le suis encore avec ma soif d’informations, avec mes inquiétudes, mes angoisses, mes espoirs, mes émotions, mes révoltes. J’allais découvrir la société on était tout juste une centaine de personnes obligées de se rencontrer, d échanger venant de régions différentes, de culture et d’âge différent aussi. Il fallait créer un vivre ensemble, obliger de se métamorphoser en repoussant les limites naturelles pour devenir un caractère, une personne. Je lisais de tout, l’histoire de l’église comme le Journal d’Anne Franck, Les aventures de Biggles comme St-Augustin, je me levais volontairement avant tout le monde pour des sports individuels (saut en hauteur, à la perche, en longueur, natation), et collectifs. Je me frottais à plus grand que moi. Premier de ma classe, je reconnaissais aussi des domaines où mes camarades me dépassaient de milles coudées (dessins, peintures, musiques). J’.ai appris un ensemble de petits métiers (relieurs, fabriquer du vin, pépiniériste, conduire un tracteur, coiffeur, soudeur,). Il y avait une interrelation dynamique, une triangulation entre tous ses éléments, un tissage fécond pour fonder de nouvelles éthiques, de nouvelles modes de vie, pour se revisiter. Je ne suis pas en train de faire l’apologie de la vie religieuse, pour moi il s’agit d’une expérience communautaire qui fait un bilan personnel de ce que moi j’ai pu en tirer, ou mieux de ce que j’en ai fait. La culture peut être définie : ce qu’on construit de tout ce qu’on a appris, qu’on a vécu. Je connais des camarades qui en sont sortis traumatisés. Moi, je ne puis empêcher de revoir les pièces de qu’on a montées, mes sauts en hauteur, les excursions de Furcy à Jacmel, la rencontre avec Price Mars, les actions communautaires, quelques gestes contre la dictature, les méditations, les retraites avant les grandes décisions. Tout cela tisse ma vie, mes souvenirs, mon intelligence et mes bêtises aussi. Jeune, je le suis toujours.
Pour finir je voudrais remercier la FOKAL pour m’avoir invité à parler d’une expérience personnelle. Je touche au fonds de mon bonheur, moi l’éternel angoissé. C’est un bel exemple de solidarité intergénérationnelle d’être avec vous. Comme prof de grammaire je comprends mieux l importance d’un trait d’union. Il ne fait pas de nous des personnes semblables, j’allais dire clonées. Le trait d’union n’a pas peur des différences, il réconcilie même les contraires. Les liens qui soudent s’amenuisent, la nation est comme une ombre évanescente. Les écoles, je veux dire la science et le savoir-faire ont disparu…Trou de mémoire. Déficit d’humanité. Rétrécissement du cerveau collectif. Des jeunes qui n’ont pas connu F. Duvalier en font l’apologie, le compas direct semble représenter la musique haïtienne, notre identité. Je m’arrête pour ne pas revenir au fonds de mon angoisse.
Merci pour cette reconnaissance d’une manière de vivre, de celui qui est sorti, peut-être gauchement du jardin de la routine, des préjugés, des discriminations, des fausses évidences, pour n’être que Jean-Marie.
Jeune je ne l’ai jamais été, jeune le suis toujours.
C’est un mois d’aout 1960, je n’ai pas encore douze ans, je viens d’être battu par mon père, parce je jouais au football ou parce que j’étais sale. Les coups de fouet, ca me connait, je les recevais toujours sans pleurer, sans broncher, fixant mon bourreau sans jamais comprendre de ses châtiments corporels. Les seules traces qui restaient, c’était l’extinction de ma voix. J’ai parle de bourreau ! Ce jour-là, j’ai cru voir en plus de la colère de mon père, du dédain. Et j’ai pris la décision de fuir le toit familial. Jeune, je ne l’ai jamais été. J’ai réfléchi à froid durant des jours et des nuits sur une stratégie de sortie. Toutes les idées passaient, je ne voulais plus rester à la maison. Eureka, quelle trouvaille ! Un matin de septembre, je demande un entretien à papa, et je monte tout un échafaudage avec des brins d’informations, des reliefs d angoisses et d’espoirs, de mensonges. Je forge de toute pièce un projet. Je lui confie que je lui ai toujours caché mon intention de devenir religieux. Le projet est accueilli par la famille. Dieu a entendu les prières de maman et voilà la maison débarrassé de ce petit brigand. Je mettais souvent maman en colère et elle allait accouchée de deux jumeaux un 18 septembre 1961. Papa rapidement m’a fait une valise de riche, souliers en cuir, je passai rapidement du pantalon court au long. Et je débarquais au Juvénat frères du Sacré-Cœur à Carrefour. Le frère directeur, étonné, fait comprendre à papa que son fils n’avait jamais manifesté l’intention de devenir religieux, aucune demande n’a été produit en ce sens, et, en plus, la date d’entrée pour les juvénistes a expiré depuis plus d’une semaine. Il est jeune, on prend rendez-vous pour l’année prochaine. Là, j’interviens pour persuader le directeur. Je fais, miennes, les valeurs religieuses, je suggère que j’ai été touché par la grâce et qu’il s’agissait d’une véritable conversion à la Saint-Paul. Et le miracle a eu lieu. Jeune, je ne l’ai jamais été.
Et j’ai regardé mon père partir, mon idole ; celui qui transformait un tas de ferraille en un guildive, transformait le vétiver en huile essentielle, démontait un camion en panne pour le reconstruire, j´étais son assistant, et souvent mes journées de travail étaient récompensées par une sortie dans la compagnie des grands. J’étais aussi son idole, il chantait mes mérites avec ses amis et je le regardais partir fier de lui, de moi, je ne sais plus. J’étais décidé à affronter ma nouvelle vie. Loin des petits plats de maman qui avait étudié à Elie Dubois. Les premiers mois furent terribles. La qualité de la nourriture, la messe chaque matin, les travaux domestiques, il n’y avait la bonne et la domestique pour vous nettoyer les chaussures, ranger vos clics et vos clacs. Je fus quelquefois tenté de revenir à la maison, à la famille mais je me disais que je serai un simple individu comme Monsieur Tout le Monde, un petit être classique, un quidam (un mot découvert par des camarades, et, qui dans notre lexique, signifiait vaurien) incapable de devenir un homme, aujourd’hui j’aurais dit incapable de devenir une personne capable de conscience de soi. Jeune, je ne l’ai jamais été.
Jeune, je le suis encore avec ma soif d’informations, avec mes inquiétudes, mes angoisses, mes espoirs, mes émotions, mes révoltes. J’allais découvrir la société on était tout juste une centaine de personnes obligées de se rencontrer, d échanger venant de régions différentes, de culture et d’âge différent aussi. Il fallait créer un vivre ensemble, obliger de se métamorphoser en repoussant les limites naturelles pour devenir un caractère, une personne. Je lisais de tout, l’histoire de l’église comme le Journal d’Anne Franck, Les aventures de Biggles comme St-Augustin, je me levais volontairement avant tout le monde pour des sports individuels (saut en hauteur, à la perche, en longueur, natation), et collectifs. Je me frottais à plus grand que moi. Premier de ma classe, je reconnaissais aussi des domaines où mes camarades me dépassaient de milles coudées (dessins, peintures, musiques). J’.ai appris un ensemble de petits métiers (relieurs, fabriquer du vin, pépiniériste, conduire un tracteur, coiffeur, soudeur,). Il y avait une interrelation dynamique, une triangulation entre tous ses éléments, un tissage fécond pour fonder de nouvelles éthiques, de nouvelles modes de vie, pour se revisiter. Je ne suis pas en train de faire l’apologie de la vie religieuse, pour moi il s’agit d’une expérience communautaire qui fait un bilan personnel de ce que moi j’ai pu en tirer, ou mieux de ce que j’en ai fait. La culture peut être définie : ce qu’on construit de tout ce qu’on a appris, qu’on a vécu. Je connais des camarades qui en sont sortis traumatisés. Moi, je ne puis empêcher de revoir les pièces de qu’on a montées, mes sauts en hauteur, les excursions de Furcy à Jacmel, la rencontre avec Price Mars, les actions communautaires, quelques gestes contre la dictature, les méditations, les retraites avant les grandes décisions. Tout cela tisse ma vie, mes souvenirs, mon intelligence et mes bêtises aussi. Jeune, je le suis toujours.
Pour finir je voudrais remercier la FOKAL pour m’avoir invité à parler d’une expérience personnelle. Je touche au fonds de mon bonheur, moi l’éternel angoissé. C’est un bel exemple de solidarité intergénérationnelle d’être avec vous. Comme prof de grammaire je comprends mieux l importance d’un trait d’union. Il ne fait pas de nous des personnes semblables, j’allais dire clonées. Le trait d’union n’a pas peur des différences, il réconcilie même les contraires. Les liens qui soudent s’amenuisent, la nation est comme une ombre évanescente. Les écoles, je veux dire la science et le savoir-faire ont disparu…Trou de mémoire. Déficit d’humanité. Rétrécissement du cerveau collectif. Des jeunes qui n’ont pas connu F. Duvalier en font l’apologie, le compas direct semble représenter la musique haïtienne, notre identité. Je m’arrête pour ne pas revenir au fonds de mon angoisse.
Merci pour cette reconnaissance d’une manière de vivre, de celui qui est sorti, peut-être gauchement du jardin de la routine, des préjugés, des discriminations, des fausses évidences, pour n’être que Jean-Marie.
Jeune je ne l’ai jamais été, jeune le suis toujours.
Par Jean-Marie PIERRE
Directeur du Bureau de l’Action Civique
Port-au-Prince, Mai 2009
Port-au-Prince, Mai 2009
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire