Haïti: un barrage menace de céder à Grand-Goâve
Publié le 15 février 2010 à 05h00 Mis à jour à 07h50
http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/seisme-en-haiti/201002/14/01-949672-haiti-un-barrage-menace-de-ceder-a-grand-goave.php
Philippe Mercure, envoyé spécial
La Presse
(Haïti) Haïti croyait avoir tout vu en matière de catastrophes, mais voici qu'une nouvelle menace plane sur la commune de Grand-Goâve, à 50 km de la capitale: un barrage formé dans les montagnes par le tremblement de terre pourrait emporter davantage de vies et d'habitations s'il venait à céder.
Yves Gattereau saute d'un rocher et pique une tête dans l'eau turquoise qui s'étend devant lui. Le paysage est montagneux et sauvage. Le silence est total.
Si la scène semble idyllique, elle est loin de l'être. Le lac dans lequel M. Gattereau vient de plonger ne devrait pas exister. Il s'est formé quand un pan de montagne s'est affaissé lors du tremblement de terre, bloquant le cours de la rivière Grand-Goâve.
Yves Gattereau est un ingénieur forestier québécois installé en Haïti depuis 22 ans. Celui qui dirige une équipe d'intervention sur les bassins versants pour Oxfam-Québec est inquiet.
Il montre le mur de roc contre lequel l'eau s'accumule depuis un mois. La situation ne semble pas critique pour l'instant. Le barrage est énorme et il reste plusieurs dizaines de mètres avant que l'eau ne passe par-dessus. Le hic, c'est qu'il n'a pratiquement pas plu depuis le tremblement de terre du 12 janvier. Quand la saison des pluies se déclenchera, d'ici quelques semaines tout au plus, l'eau s'accumulera ici très rapidement.
«C'est clair que l'eau va atteindre la hauteur du barrage, dit Yves Gattereau. À ce moment-là: ou bien ça défonce, ou bien ça passe tranquillement par-dessus.»
Que se passera-t-il si le barrage cède? M. Gattereau admet qu'il ne peut le dire avec certitude. Mais il rappelle la topographie du terrain pour nous faire comprendre les risques.
Le barrage est situé en montagne à une dizaine de kilomètres en amont de Grand-Goâve, ville coincée entre la mer et un demi-cercle de montagnes qui se dresse devant elle. «Un entonnoir, dit M. Gattereau en montrant les montagnes. Un bassin versant, c'est ça. Si le barrage cède et crée une vague, celle-ci débouche directement sur Grand-Goâve.»
Dire que celle-ci n'est pas prête pour une nouvelle catastrophe est un euphémisme. Davantage une commune dispersée qu'une ville, Grand-Goâve compte quelque 110 000 habitants et a été détruite à 90% par le tremblement de terre. Ici, la population vit dans des abris faits de bouts de bois sur lesquels on a tendu des draps et des morceaux de carton. Les tentes qu'on voit à Port-au-Prince ne sont pas arrivées ici; même les bâches de plastique sont rarissimes.
L'armée américaine ne sait que faire
C'est en examinant des images satellites du logiciel Google Earth qu'Yves Gattereau a découvert le barrage. Sa formation lui a permis de détecter le problème, mais il n'a pas l'expertise pour le régler. Depuis, il ne sait pas quoi faire.
«Ce n'est pas encore urgent. Je ne voulais pas alerter la population et créer une panique supplémentaire», dit-il. Il a finalement décidé de joindre La Presse pour qu'elle diffuse l'information.
L'armée américaine a aussi eu vent de la situation. Vendredi dernier, elle a envoyé une équipe sur place. «On pourrait probablement faire sauter le barrage, mais nous n'avons aucune idée des conséquences que cela aurait», a dit à La Presse Jason Mangone, premier lieutenant de la marine américaine. Il a fait une demande pour qu'un expert en dynamique des fluides vienne sur les lieux.
Il souligne que l'accès difficile au barrage compliquera les choses. L'endroit se gagne en effet au prix d'une éprouvante expédition qui débute par une randonnée de moto dans l'immense lit quasi asséché de la rivière. Les motos restent régulièrement prises dans le sable, les rochers ou l'eau.
Il faut ensuite marcher dans la rivière, parfois avec de l'eau jusqu'à la taille, et contourner certaines zones impraticables en grimpant les parois. En chemin, l'équipe d'Yves Gattereau qu'a accompagnée La Presse a croisé deux militaires de la marine américaine qui rebroussaient chemin.
«Je suis trop vieux pour ce genre de choses. On va essayer d'envoyer un hélicoptère», a lancé l'un des deux hommes, Steve Krutke.
Avec la collaboration d'Ariane Lacoursière
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