Dix (10) personnes, 3 jeunes femmes et 7 hommes ont bénéficié d’une
journée de formation sur le rôle, la fonction, et les compétences de juges de
débat, le samedi 16 mai à Jacmel. Cette formation a été assurée par Jean-Gérard Anis, le
coordonnateur du Programme Initiative Jeunes de FOKAL, à l’initiative des 2
animateurs du club de débat de cette ville, Bettina Perono et Reginald
Raymond-Fils, fraîchement nommés par la fondation.
La quasi-totalité des participants a été des anciens débatteurs du
club, devenus maintenant des professionnels (3 enseignants, 2 comptables, 2
journalistes) et des étudiants d’universités (3), tout heureux de découvrir
l’autre coté du débat, autrement dit l’arbitrage des juges. Selon leurs dires,
ils ont été souvent intrigués par les critères qui président la décision du
juge lors d’un match et également fascinés par ce pouvoir quasi discrétionnaire
conféré à quelqu’un de décider seul de l’issue d’un débat.
Le débat en discussion
Un rappel des principes du débat et du format Karl Popper a permis de
clarifier certains points essentiels du débat. Ils ont réussi à fournir les quatre
(4) caractéristiques les plus importantes pour définir un débat : c’est
une confrontation d’idées ; il doit être planifié ; le sujet doit
être controversé ; le souci de convaincre, et par là même d’apprendre à
autrui.
Il a fallu établir pour eux une distinction entre débat
[confrontation d’idées ou d’arguments entre 2 personnes ou 2 groupes, sur un
sujet controversé, dans un cadre planifié, dans le but de convaincre] et discussion
[échange de vues ou d’opinions entre 2 ou plusieurs personnes sur un sujet pas
nécessairement controversé, dans un cadre informel], les types de débat et
leurs caractéristiques.
Débattre ici ou à l’étranger, y a pas photo…
Ils ont admiré les débats présidentiels américains (Obama/McCain;
Obama/Mike Romney) et français (Sarkozy/Ségolène, Hollande/Sarkozy) qu’ils ont
regardé à télé, à cause de la répartition équilibrée des temps de parole, de la
clarté et la qualité des arguments, de la quantité et la précision des données
chiffrées fournies en support aux arguments et aux réfutations, du
professionnalisme des intervenants qui maîtrisent leurs dossiers, le souci de
convaincre le public.
En revanche, ils ont dit avoir une piètre sentiment à l’égard des
débats parlementaires (un pugilat), présidentiels ou télévisuels (un
punching-ball) en Haiti qui se signalent par des données de référence douteuse,
par l’impréparation manifeste des interlocuteurs, par la mauvaise foi
caractérisée des uns et des autres, et par l’approximation des réponses aux
questions, au point d’avoir la désagréable impression que si le débatteur est
sincère et qu’il dise la vérité, il obtiendra le résultat inverse de ce qu’il
attend.
Quand les nouveaux juges
débattent…
Les nouveaux juges, divisés en 2 groupes mixtes de travail, ont
effectué un exercice pratique de rédaction d’arguments et de contre-arguments,
en 10 minutes, sur un sujet d’actualité, afin de leur faire comprendre la
rigueur de réflexion qu’un juge est en droit d’attendre des débatteurs. Chaque
groupe devait ensuite montrer la faiblesse de l’argument de l’autre, puis de
réfuter cet argument. Ils ont proposé le sujet suivant : « Exiger un quota de 30% minimum de femmes candidates
aux élections générales est anti-démocratique ».
Le groupe affirmatif qui défendait la proposition a déclaré que « cela limite la participation des femmes ».
Ils expliquent que vu la population haïtienne est composée d’environ 52% de
femmes, le quota est discriminatoire et injuste. C’est comme si on voulait
déterminer à l’avance quelles sont les femmes qui devaient être candidates. De
ce fait, les candidatures ne sont pas ouvertes, donc anti-démocratiques, alors
qu’il y a d’autres moyens préférables pour les faire participer aux élections.
Le groupe négatif, qui avait pour tache de prendre le contre-pied du
sujet, a identifié le mot ‘limite’
comme le mot-clé et le mot faible de cet argument. Ils ont rétorqué que, au
contraire, le quota de 30%, qui est un seuil minimal, encourage et accentue la
représentation des femmes candidates dans le système électoral, en mettant la
pression sur les partis politiques. Sans quoi, leur présence serait encore très
marginale comme dans tous les scrutins antérieurs.
Dans un autre exercice de reconstruction d’argument, la position
affirmative a renforcé son argument réfuté, par un retournement, en faisant
valoir que justement le quota en exerçant une pression sur les partis à avoir
des femmes candidates, au risque de choisir des faire-valoir, et sur les femmes
elles-mêmes à se porter candidates même si elles ne s’y sentent pas prêtes, ne
rend le scrutin libre ni ouvert ni transparent, autrement dit non démocratique.
Contre-argument et
reconstruction d’arguments
Le groupe négatif a défendu l’idée qu’exiger ce quota de 30% de femmes
candidates est démocratique car « cette
mesure permet de prendre en compte l’évolution actuelle de la société »,
au sens où elle limite la domination masculine dans les questions électorales
et brise le plafond de verre (préjugés, sexisme, discrimination de genre) qui
empêche aux femmes d’accéder aux postes électifs, alors que la Constitution haïtienne
leur garantit les mêmes droits que les hommes depuis plus de 30 ans.
Cet argument a été rejeté par le groupe affirmatif qui a montré que
cette mesure justement admet que les femmes sont encore ‘mineures’ dans la société
et qu’elles ont encore besoin qu’on leur fasse cette ‘faveur’ pour prendre toute leur place dans la société et jouir de
leurs droits et libertés sociopolitiques. En ce sens, le quota n’est pas en
phase avec ‘l’évolution de la société’,
qui a été selon eux la faille de l’argument, car l’expression est imprécise,
floue.
Le groupe négatif a reconstruit son argument en expliquant que chaque
fois qu’on veut faire évoluer la société, il faut un aiguillon qui peut être
une loi forte, une mesure volontariste parfois controversée, à défaut d’une
révolution violente, pour bousculer le statu
quo, et déclencher les changements sociaux ou politiques voulus ou espérés.
Le quota est une disposition juste et nécessaire qui participe de cela.
Les juges dans l’arène
A la fin de cet exercice très animé et très convivial, qui les a
passionnés et qui leur a rappelé de bons souvenirs (l’une a déclaré avoir ressenti
ses anciens réflexes de débatteurs), ils ont eu à arbitrer un débat entre 2
équipes du club, pour les objectifs suivants:
- leur faire expérimenter à chaud leurs nouvelles compétences de
juges : compréhension du format Karl Popper, connaitre les discours
importants du débat, reconnaître les points de confrontation ;
- tester s’ils ont bien assimilé les critères et les méthodes pour
bien arbitrer un match : concentration, prise de notes, prise de décision,
jugement objectif et impartial, attribution des points aux débatteurs ;
- et vérifier s’ils étaient capables d’utiliser correctement le
matériel du juge : ordinogramme, bulletin de vote, contrôle des temps de
parole et de préparation des débatteurs.
Six d’entre eux ont affirmé avoir bien jugé le débat parce que leur
décision est fondée soit sur la base des arguments proposés soit sur les nouvelles
compétences apprises. Mais trois ont reconnu n’être pas sûrs d’avoir noté
correctement les débatteurs du match, car ils ne sont pas encore familiers avec
le système de notation, deux autres ont avoué …
Ils ont admis que la documentation sur le format Karl Popper, la
fonction et le travail du juge, qui leur a été fournie en appui à la formation
(12 documents différents), leur sera d’une très grande utilité pour parachever
ce qu’ils ont appris sur leur nouveau rôle. Ils espèrent toutefois acquérir
plus d’expérience dans ce nouveau rôle pour pouvoir prendre plus sereinement
leur décision.
Un juge n’est pas un censeur
d’opinions
A l’évaluation, ils ont tous écrit être satisfaits de cette journée de
formation qui s’est terminée une heure plus tard que prévu. Le formateur les a
invités à se mettre à la disposition des 2 animateurs quand ils les
solliciteront pour être juges à un tournoi du club, ou bien de FOKAL quand elle
les invitera au jury des tournois régionaux et nationaux.
Mais le plus important est qu’ils aient le souci d’accompagner, avec
les animateurs, les jeunes engagés dans cette belle expérience qu’est le débat
Comme juges, ils ne doivent pas se considérer comme des censeurs d’opinions qui
sanctionnent doctement un débat, mais plutôt tels des éducateurs d’un autre
genre, avec pour principale mission d’aider les jeunes à s’épanouir
intellectuellement, à apprendre les valeurs telles que la tolérance,
l’honnêteté, la responsabilité, vertus cardinales de ce programme de FOKAL.
Jean-Gérard Anis
Coordonnateur du Programme Initiative Jeunes
FOKAL -OSF Haiti
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