« Les pays du Maghreb chassent les dictateurs ; on accueille un ancien en Haïti », s’est étonné un jeune de Jacmel.
Vingt jeunes du club VDF de Jacmel, issus de la 3ème à la philo, se sont réunis dans une petite école de la banlieue de Jacmel, samedi 12 février dans l’après-midi. Ils discutaient de l’opportunité de réaliser une journée de sensibilisation sur l’alphanétisation des adultes, principalement de leurs parents. Ils se donnent pour objectifs de décomplexer les parents face à ce puissant outil qu’est l’internet et de leur apprendre à l’utiliser (créer une adresse, envoyer un e-mail…).
Ils reconnaissent que leurs parents sont préoccupés par l’utilisation que les jeunes font du web. Le coordonnateur, présent, leur a demandé de dire à quoi ils l’utilisent réellement. Les réponses les plus courantes sont hiérarchisées ainsi : apprendre (préparer un devoir), s’informer (sur les stars précisément), envoyer des e-mails, chatter (avec des ami-es), et télécharger chansons et vidéos. Pour répondre à une autre question du coordonnateur, ils avouent néanmoins ne pas effectuer des recherches sur les mots de l’actualité de ces 2 derniers mois : dictature, duvaliérisme, crimes contre l’humanité.
Sautant sur l’occasion le coordonnateur leur demande : « C’est quoi un dictateur ? » C’est « un despote qui viole les lois constitutionnelles », dit l’un ; « un tyran qui ne respecte pas les droits humains », dit une autre, « …qui ne garantit pas les libertés », renchérit un dernier. « Ce que je trouve étonnant, c’est que les habitants des pays du Maghreb chassent leurs dictateurs, tandis que nous accueillons un ancien dictateur en Haïti », conclut une jeune fille.
Ces réactions ont suscité 2 questions de débat proposées par l’animateur du club, sur lesquelles les jeunes ont été invités à réfléchir en atelier: 1. Doit-on accepter l’intégration le dictateur Jean-Claude Duvalier sur la scène politique haïtienne ? 2. Un dictateur peut-il devenir un démocrate ? Les jeunes se sont librement répartis en 2 groupes, un Pour et un Contre, selon leur souhait.
A la question 1, le rapporteur des « Pour » argue que a) si nous voulons construire la démocratie et favoriser une réconciliation nationale, il faut éviter l’exclusion des partisans du dictateur; b) depuis son départ, le 7 février 1986, le pays n’a pas fait de progrès significatifs (fatras dans les rues, corruption dans l’administration, instabilité politique) ; c) le fait qu’il a réalisé de grandes choses dans le pays (infrastructures modernes, services publics efficaces, tourisme florissant), il a une vision et des capacités dont le pays pourrait en profiter. Sur ce point, le rapporteur du groupe « Contre » lui rétorqua que c’est justement le tourisme qui a entrainé la corruption des mœurs dans le pays et qu’il fallait qu’il lise Dany Laferrière et Gasner Raymond qui ont écrit sur les horreurs de ce régime.
Les « Contre » continuent pour dire que a) même si J-C Duvalier a le droit de revenir dans son pays, puisque la Constitution interdit l’exil, le devoir de mémoire doit nous forcer à réclamer justice pour les victimes, contre les crimes et les horreurs de ce régime ; b) le regard de la communauté internationale et le jugement du peuple seront sévères si nous tolérons sa réintégration à la vie politique; c) que cela n’a pas de sens de donner voix à un dictateur alors que des pays comme la Tunisie et l’Egypte chassent le leur. « Haïti n’a pas de mémoire » a répliqué le rapporteur des « Pour ».
A la question de savoir si un dictateur peut devenir un démocrate, le groupe répondant par l’affirmative avance 2 raisons : a) dans la mesure où il échoue à être dictateur, il n’a d’autre choix que de s’ouvrir (le cas de l’Egypte); b) s’il a été un tyran qui a voulu assurer le progrès de son peuple, il peut chercher l’apaisement par l’ouverture (le cas Pinochet). Les NON, par contre, affirment qu’un tyran est un égoïste qui ne pense qu’à ses intérêts, qui ne veut que dominer, en citant l’exemple d’Adolf Hitler, dictateur de l’Allemagne nazie qui a préféré se suicider plutôt qu’abdiquer.
Les uns et les autres ont voulu poursuivre le débat, mais la tombée de la nuit a empêché cela. Ce thème sera repris samedi prochain, promit l’animateur principal du club.
Le coordonnateur du projet VDF
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