Ce n’est pas un constitutionnaliste qui écrit, c’est un enseignant qui s’exerce à une analyse de texte, comme on le triture en classe, en considérant son organisation, sa forme et le vocabulaire.
Le texte de la Constitution haïtienne se présente, d’abord, avec un préambule exprimant avec 7 objectifs. Viennent ensuite 16 titres ou thèmes qui réunissent 298 articles et 199 alinéas. Et pour enfin en sceller le caractère officiel caractère officiel, 59 signatures de l’Assemblée Nationale Constituante.
Le préambule annonce un État solidaire misant sur la participation de toute la population. On peut, pour illustrer, reprendre le préambule 7 : «Pour instaurer un gouvernemental basé sur les libertés fondamentales, le respect des droits humains, la paix sociale, l’équité économique, la concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions engageant la vie nationale, par une décentralisation effective ».
Les 16 titres suivent par rapport aux objectifs fixés dans le préambule. Le tableau suivant établit le nombre d’articles pour chaque titre par ordre de grandeur. Sur les seize titres, neuf (les plus importants) sont retenus pour servir le parti pris du texte, c’est-à-dire, son orientation. Le travail vise à montrer la disproportion dans la composition du texte, disproportion pour fixer que les enjeux politiques prévalent sur les enjeux sociaux. Il se profile une définition de la démocratie calibrée sur la séparation du pouvoir, davantage que sur la solidarité et le partage du savoir.
Répartition par ordre de grandeur
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Pas moins de 133 articles sont consacrés à la souveraineté nationale, alors que seulement quatre sont prévus pour la famille, « baz kote sosyete a chita », précise la traduction en créole. De ses 133 articles, le pouvoir législatif se taille la part du lion avec 44 articles, l’Exécutif, 39, la décentralisation, 26, le pouvoir judiciaire, 12. Ils précisent qui doit gouverner, légiférer, exercer les prérogatives de la puissance publique. Les articles sur les Finances Publiques (titre VII), par exemple, fixent la répartition des revenus publics aux collectivités, aux ministères, le rôle de la banque centrale. On voit que l’ensemble des 17 articles du titre VII pourrait y être accolé au titre : « De la Souveraineté de l’Etat ».
La Constitution semble restreindre le politique à sa dimension institutionnelle, si on soupèse les quatre seuls articles consacrés à la famille. Il faut fouiller pour trouver des considérations sur la jeunesse. Elle n’ouvre pas le champ des grands débats sur l’emploi, la famille, l’éducation, l’environnement, la culture. Cela peut aider à comprendre le fonctionnent du Parlement, excellent à gratter les procédures pour les nominations et les votes de censure. La compétition pour le pouvoir est plus importante que celle contre la misère. Le texte consacre le régime parlementaire. On croirait être en présence d’un texte sur le droit parlementaire à contre-courant des motifs du préambule mettant en avant les droits au bonheur, à l’éducation, au travail, à la culture.
Pour tous, à l’exception des 0 à 6 ans.
Le contour des droits fondamentaux se dessine avec 37 articles, dont 3 articles consacrés à l’éducation et à l’enseignement. Trois articles mais pas moins de 11 alinéas. Ils consacrent la gratuité de l’éducation pour tous, à l’exception des 0 à 6 ans. L’éducation préscolaire n’est pas obligatoire mais encouragée. Il est étonnant que l’initiative privée soit encouragée dans ce domaine.
Académie de culture « an zoblod »
Parmi les institutions indépendantes (le Conseil électoral, la Cour supérieure des comptes, la Commission de conciliation, l’Office de Protection du citoyen), on retrouve aussi une académie de culture. Article21.3 : « Une académie haïtienne est créée en vue de fixer la langue créole et de permettre son développement scientifique et harmonieux.» En attendant cette institution, une langue se forme dans la dynamique sociale, se créent des trouvailles heureuses ou malheureuses. « Ye menn ! Sa kap fèt ? An zoblòd, blodè ! » La population est en droit d’attendre une autre académie sur la protection de notre patrimoine immatériel (art du spectacle, du vestimentaire) pendant que des pantalons tombent en accordéon, livrant en spectacle, non plus nos visages, mais nos fesses comme un refus du face à face pour un ki mele bouda m.
Sauf cas de force majeure
Le titre IX Sur l’économie, l’agriculture et l’environnement témoigne d’une vision passéiste de l’agriculture, traduite par « travay tè » en créole. L’agriculture semble ne plus être une composante de l’économie. Les mots élevage, pêches, sont absents du texte. On s’étonne de lire à l’article 251 : « L’importation des denrées agricoles et leurs dérivés produits en quantité suffisante sur le territoire national, est interdite, sauf en cas de force majeure. »
Entre rêves et clairin trempé
Les seuls quatre articles consacrés à la famille mettent à nu une constitution qui ne peut servir de mémento au citoyen sur la protection sociale. C’est vrai qu’on peut m’opposer que leur nombre restreint laisse plus de liberté aux législateurs. Mais depuis, pas beaucoup de lois sur la protection de la famille, de la petite enfance et du troisième âge. La jeunesse, agent au centre des mobilisations de l’époque, n’est pas personnalisée. Cette absence jure avec le discours des politiciens misant sur le fait que c’est elle qui vote, qui occupe le béton. C’est donc une pièce maitresse pour les enjeux électoraux. Il faudrait éviter de se la mettre sur le dos depuis que, abandonnée à leur désarroi, elle se « barricade », s’envoie en l’air, boit. Et, entre compas et rap, entre rêves et clairin trempé, elle jette quelques croquis de l’avenir assombri par tant de nuages. On peut espérer que les lois vont leur garantir un droit au logement, au transport, à un revenu minimum, aux loisirs. Faudrait penser à une académie de jeunesse parmi les institutions indépendantes, même si je me dis que l’office du citoyen n’a rien à foutre de la protection du citoyen.
Je convie mes lecteurs à continuer cet exercice d’analyse de texte. La structure d’un texte avant même le contenu, est significatif. Elle trahit les ambitions et les aspirations de ceux qui la proposent et de ceux qui l’adoptent.
Titre de maitre et de docteur
Enfin un regard sur les 59 signataires de la proposition de texte pour souligner que 12 membres de l’Assemblée constituante nationale tenaient à leur titre de maitre, de docteur. Parmi les 54 membres, une seule femme, Chantal Héricourt. Dans cet environnement du pouvoir masculin, la féminisation n’a pas joué. On écrit Maitre Hudicourt, comme Maitre Reynold Georges. Les trois docteurs Georges Michel, Louis Roy, Georges Greffin. Et puis la gamme des noms et prénoms précédés d’un M (monsieur) ou d’un Mme (madame). J’aurai préféré retrouver des citoyens et des citoyennes dépouillés de leur livrée professionnelle ou de leurs attaches maritales, sans contrainte aucune, pour signer sans titre, sans établir de différence qualitative. Insolite que les noms et prénoms aient été traduits en créole. Pierre Th. Pierre se mue en « Pyè T. Pyè ». Pour les besoins de la traduction, on ne peut faire l’économie d’un jugement, il faut respecter la graphie de l’acte de naissance d’autant plus qu’on ne modifie les noms propres. J’anticipe. Attendons l’académie.
Azor à son tambour
Rendez-vous pour l’analyse de la prochaine constitution avec des enjeux sociaux plus affirmés dans un texte sans disproportion et en corrélation avec les objectifs annoncés au préambule. Et avant que les ombres de la mort ne m’accompagnent vers ma dernière demeure, je rêve d’une campagne pour la culture aussi animée et passionnée que celle de la compagne électorale, et qu’Azô reviendra à son tambour.
Jean-Marie PIERRE
Enseignant
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