Le Forum libre jeudi, sous les auspices de la Fondation Friedrich Ebert de la République d’Allemagne et du Centre Pétion-Bolivar, a organisé une conférence-débat sur les problèmes économiques des jeunes d’Haïti, jeudi 28 avril, à partir 4h30 pm à l’hôtel Le Plaza au Champ de Mars, et présidée par le cinéaste haïtien, Arnold Antonin.
Cette 217e rencontre d’une longue série a ouvert un cycle thématique de forums autour des problèmes de la jeunesse d’Haïti. Ces forums, comme le souligne A. Antonin, n’ont pas la prétention d’aboutir à des conclusions, mais plutôt à des résolutions. Les cycles thématiques annuels vont des sujets sociaux, culturels à la politique et à l’environnement, en passant par la religion.
Un panel de 5 intervenants, dont 3 hommes et 2 femmes, tous des jeunes (étudiant, entrepreneur, cadre), présentent différentes problématiques du thème, mais qui se tiennent par leur complémentarité.
Vario Sérant, journaliste, établit pour l’assistance la définition et l’environnement du sujet « jeune ». Il fournit des statistiques : les jeunes constituent 70% de la population haïtienne, dont 52% vivent en milieu rural. Sur chaque 15 jeune, 4 sont analphabètes. 14 jeunes sur 100 ont un emploi rémunéré, mais 73 filles sur 100 sont sans emploi rémunéré (contre 66 sur 100 pour les garçons). 88% des jeunes en milieu rural ont un statut d’indépendant (contre 73% en ville). La fraction la plus importante de la population a un âge médian de 22 ans. La jeunesse qui devait être un atout majeur pour le pays devient un handicap, un fardeau qu’elle traine difficilement.
Les raisons avancées par les autres panélistes sont abondantes. Rousseau Max Gary, statisticien, les trouve dans l’économie. Selon lui, le pays se caractérise par une carence d’entreprises donc de production de richesses, qui affaiblit considérablement le pouvoir d’achat des jeunes, victimes du chômage, de sous-emploi ou de faible rémunération. Il a identifié 3 problèmes posés à l’emploi des jeunes : une formation mal orientée en décalage constant avec les besoins réels de l’économie haïtienne ; une sous utilisation des compétences haïtiennes à cause des ONG qui les détournent vers des taches décalées; une économie peu adaptée au système haïtien miné par l’absence de vision des décideurs politiques. Ce qui aboutit à une impasse, ou plutôt à un paradoxe : pas de débouchés en Haïti pour certaines formations, mais plutôt à l’étranger.
Puis, Rousseau enchaine avec les solutions : L’Etat haïtien devrait stimuler la création d’entreprises, créer un environnement favorable à l’investissement, orienter des jeunes vers des domaines à forte demande, créer davantage de centres de formation professionnelle, susciter chez les jeunes l’esprit et la culture d’entreprise, créer un fond d’investissement pour les jeunes qui veulent se lancer dans l’entrepreneuriat.
La 3e intervenante, Nadine Louis, spécialiste en genre et développement au Ministère de la Jeunesse et des sports, a insisté sur l’insertion économique des jeunes, mais davantage sur l’autonomisation des femmes. Pour elle, les jeunes, plus particulièrement les jeunes femmes, sont les catégories les plus vulnérables de la population. Ils partagent les mêmes problèmes, auxquels s’additionnent certaines spécificités pour le sexe féminin : elles sont perçues défavorablement dans la société, elles y ont souvent des rôles socioéconomiques désavantageux, sont confinées plus volontiers à la maison, et plus durement frappées par le chômage.
Nadine décline ensuite les freins à l’accès des jeunes femmes au travail : le manque de modèles féminins, la grossesse précoce, les taches domestiques, la discrimination sexuelle (qu’elle considère comme le plus grand frein des femmes à l’emploi), encadrement parental inadapté, exigence élevée des offres de travail et l’absence de vision et de politique d‘insertion économique des femmes.
Le 4e panéliste, Emmanuel Charles, étudiant finissant en économie, a par contre énoncé 7 défis que vont devoir relever les gouvernements haïtiens pour satisfaire les attentes des jeunes : des formations adaptées et orientées vers l’emploi ; freiner les migrations des jeunes à la recherche d’emplois ou tout simplement d’une vie meilleure à l’étranger ; encourager l’esprit d’entreprise en facilitant l’accès des jeunes au capital ; faciliter l’accès aux technologies de l’information et de la communication pour nourrir le potentiel créatif des jeunes ; assurer une meilleure couverture santé pour diminuer la vulnérabilité des jeunes face aux maladies sexuellement transmissibles ; impliquer les jeunes dans la protection de l’environnement par une sensibilisation accrue ; prioriser les jeunes dans les politiques publiques en les impliquant dans leur élaboration et dans les processus décisionnels.
Vanessa Jean-François, ingénieur, a partagé avec l’assistance son expérience de jeune entrepreneur et les obstacles qu’elle a traversés pour créer son entreprise : la peur de partager son idée avec autrui ; la qualification limitée des partenaires éventuels ; la reconnaissance des pairs sur la base du patronyme familial ; le marronnage des banquiers envers les jeunes ; manque de confiance des jeunes en eux, lié à leur faible capacité de convaincre. Cependant, ces problèmes qui sont généralement le lot des jeunes créateurs d’entreprise haïtiens, loin de la décourager, ont décuplé sa volonté de réussir.
Vanessa n’a pas manqué de souligner, chiffres à l’appui, que le secteur informel recueille la majeure partie des entreprises haïtiennes, lequel génère des emplois de survie, mais ne crée pas de réelles opportunités. Ainsi, elle croit que l’Etat haïtien a la nécessité de créer les conditions-cadre pour structurer les entreprises de l’informel, de former les créateurs d’entreprises via l’université, d’encourager les jeunes à créer leur propre entreprise, d’apprendre aux jeunes à trouver des solutions concrètes, réalisables et durables, d’impulser un changement de paradigme dans l’action des entrepreneurs en insufflant de nouvelles valeurs (discipline, honnêteté, respect de la clientèle et de soi-même).
Ces exercices de réflexion, pour cerner les problèmes économiques des jeunes Haïtiens, ont le mérite d’être tenus par des jeunes (et non par des spécialistes ou experts), de parler davantage des solutions plutôt que des problèmes, de faire découvrir l’amorce d’une détermination et de résolutions nouvelles, d’un changement comportemental chez les jeunes : ils veulent créer et se prendre en charge, au lieu de se plaindre et d’être dépendants.
Jean-Gérard Anis
Coordonnateur du projet VDF
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