Wedly Mozart Mozeau |
On compte sur les doigts les bons troisièmes que le programme de débat a
connus. Il est rare d'entendre un juge féliciter un 3e affirmatif ou
négatif pour son travail et les jeunes s'en plaignent assez souvent. Tout porte
à croire que le travail de synthèse apparemment simple est le plus difficile du
format Karl Popper et que les coachs eux-mêmes ne s'entendent pas sur la
méthode idéale puisque d'un juge à l'autre les commentaires diffèrent.
En
effet, les juges ont souvent des remarques contradictoires sur le même travail
et les débatteurs et débatteuses se perdent trop souvent en confusion face à
cette situation. Il y a donc un réel souci de standardisation à ce niveau -
comme à d'autres niveaux d'ailleurs - et cet article se donne pour objectif de
poser les premières pierres.
Voici donc trois idées inédites dans le programme, et surtout drôles
puisqu'elles peuvent étonner et même brouiller, mais une lecture attentive
permettra de comprendre leur bien-fondé.
1- Un(e) troisième
parle avec des boites
Je n'ai pas arrêté de le répéter dans les derniers tournois officiels,
mais je crois que les jeunes n'ont pas encore saisi le sens de cette assertion.
Pour moi, parler avec des boites, c'est pouvoir rassembler les idées éparpillées
de l'équipe adverse et les mettre dans des paniers où elles se confortent. Une
équipe, dans un match donné, a toujours une approche du sujet en question et
quelque soit les détours qu'elle prend au cours du match, cela la ramènera
toujours à son approche de base.
C'est la raison pour laquelle je suis d'avis que les jeunes doivent, dans
le cadre de leur formation en techniques de débat, apprendre les grands
courants de pensée et les grandes visions du monde. Il leur faut apprendre,
en d'autres termes, l’histoire des idées politiques, économiques et sociales
puisqu'ils (elles) font des débats qui reviennent à la base à ces mêmes idées.
Le libéralisme, l'humanisme, l'idéalisme, le socialisme, l'impérialisme, le
protectionnisme, la mondialisation, la démocratie populaire, la démocratie
libérale, les valeurs républicaines, l'Etatisme, les rapports Nord-Sud, etc.
sont autant de termes et de concepts (je les ai notés pêle-mêle comme ils
viennent dans ma tête) qui devraient être familiers aux débatteurs des 2
sexes.
Bien sûr, il ne s'agit pas d'essayer de leur inculquer à tout prix des
notions trop compliquées pour leur niveau, mais de leur donner une formation de
base à partir d'ateliers de lecture et d'exposés qu'ils (elles) peuvent
eux-mêmes présenter. A ce moment n'importe quel troisième devrait pouvoir
identifier l'approche d'une équipe et montrer ses limites dans le contexte du
débat, tout en proposant la sienne comme meilleure en attirant l'attention sur
ses avantages. En ce qui a trait aux limites des approches, il s'agit bien sûr
de les étiqueter à partir des connaissances de base qu'on a et des utilisations
qui en ont été faites dans le débat. Ainsi deviennent t-elles simplistes,
réductionnistes, alarmistes, trop idéalistes, etc. dans le cas de l'équipe
adverse et réalistes, globales, concrètes, etc. dans le cas de son équipe.
Et c'est ce que j'appelle parler avec des boites !!! Ça peut paraître
compliqué, mais en réalité c'est très simple. Et je vous assure que ça fait de
l'effet sur les juges (Anizabelle, une débatteuse de Jacmel, membre de l’équipe
championne du tournoi mixte, peut en témoigner) car ce que vous faites au fond,
c'est clarifier le débat pour ces juges!
2 - Un(e) troisième ne
cherche pas à se faire comprendre
Cette idée - un peu plus drôle que la première - je l'ai lancée pour la
première fois dans le cadre du dernier tournoi mixte alors que je coachais la
Team B : "Annie, en tant que troisième tu n'as pas à te faire
comprendre". Elle a souri et j'ai su qu'elle avait compris. En effet,
cette idée traduit l'esprit du travail de troisième qui n'est autre qu'un travail
de synthèse. Le plus grand danger pour un(e) troisième - et ça arrive
souvent - c'est de tomber dans la réfutation. Face à ce problème, on
doit se mettre en tête qu'on travaille en tant que troisième sur des idées qui
ont déjà été développées dans le match. On n'a donc pas à les ré-expliquer et
encore moins y ajouter de nouveaux éléments. Le travail du troisième à ce
niveau se résume à rappeler les points essentiels et ce faisant les porter dans
le camp de son équipe.
Je sais que c'est facile à dire et que c'est beaucoup plus difficile sur
le terrain, mais j'ai pensé à une technique que je vous propose d'expérimenter
: Et si vous parliez avec une phrase par point? L'idée c'est de noter dans
votre feuille les points essentiels que vous aller toucher et de n'en faire
qu'une phrase pour chacun de ces points, pas d'explication, pas de
raisonnements donc pas de réfutation. Un(e) troisième ne cherche pas à se faire
comprendre, un(e) troisième est là pour aider aux juges à mieux comprendre
l'approche de son équipe !!!
3- Montrer les enjeux,
c'est être hors-du-sujet
Bon, c'est l'idée la plus drôle des trois, mais on va quand même s'en
sortir...
La question des enjeux a pris beaucoup de place depuis quelques temps
dans le programme. On gagne même des matchs pour avoir simplement parlé
d'enjeu(x) sans toutefois maitriser ce que c'est au fond. C'est en effet toute
un casse-tête pour les débatteurs-euses de montrer le fameux " enjeu du
match" et de fait, peu d'entre eux y arrivent. C'est que cette notion
n'est inscrite dans aucun document du programme et aucune formation formelle standard
n'a été faite à date sur la question.
En ce qui me concerne, les idées basiques sur la question des enjeux sont
les suivantes:
a) Il n'y a pas d'enjeu du match, mais les enjeux du débat qui devraient
être définis dès le début du match par 1A et 1N.
b) Le/la troisième n'a pas à montrer l'enjeu du match, mais à faire
ressortir le(s) enjeu(x) qui ont été les plus importants à partir des points-clashs
relevés.
c) L'enjeu se définit comme ce qu'il y a à perdre ou à gagner dans
un pari. Dans le cadre d'un débat, on parle d'implications donc d'avantages
concrets et de risques.
Mais par dessus tout, il faut être hors du sujet et j'explique : dans
l'une de nos rencontres on faisait un exercice au club de débat de la BMC et il
s'agissait de prendre position pour ou contre le fait que Tony Mix ait été
nommé ambassadeur de la culture. Ce fut un débat très controversé et les
arguments étaient solides des deux côtés. À la fin de l'exercice on m'a demandé
de faire une sorte de synthèse à partir des discussions qui ont été faites.
J'ai commencé mon discours de la manière suivante : " La semaine dernière,
je regardais la cérémonie des Grammy awards à la télé et Joe Biden (vice-président
des Etats-Unis d'Amérique) était venu passer un message sur la violence faite
aux femmes, phénomène qui était très en vogue dans son pays au moment de la
cérémonie.
Après son speech de moins de deux minutes, il a lui même présenté Lady Gaga
qui devait chanter une chanson sur le même thème...". Si vous m'avez bien
suivi, je fus à priori hors sujet au début de mon discours, mais j'ai dû
prendre cet exemple pour faire ressortir le rapport que l'Etat développe avec
la culture populaire et comment il peut au besoin utiliser cette dernière à des
fins concrètes. Et c'est justement là l'un des principaux enjeux du débat sur
Tony Mix. Etre hors du sujet, c'est donc déplacer le débat le temps de le
ramener à des principes beaucoup plus globaux et de rebondir sur le sujet qui
nous concerne. Il faut donc souvent aller chercher ailleurs pour mieux
comprendre les implications réelles des débats que l'on fait.
En guise de
conclusion
En lieu et place de conclusion, je voudrais reprendre le canevas que je
propose à chaque match pour le travail des troisièmes :
- Approche de mon équipe et ses avantages/Approche de l'équipe
adverse et ses limites
- Force de mon équipe tout au long du match/Faiblesse de l'équipe adverse
tout au long du match
- Rappel de mes arguments et des raisonnements; ce que l'équipe n'a pas
pu comprendre au final/ rappel des arguments et raisonnements de l'équipe
adverse; ce que l'équipe n'a pas pu montrer au final
- Points clashs du match, pourquoi c'est mon équipe qui a gagné sur ces
points; les enjeux qui découlent de ces points
- Ouverture pour l'équipe affirmative/Alternative pour l'équipe négative
- Citation finale si possible
Voilà! Ça a été assez long, mais j'espère que ce ne fut pas trop lassant
et que cela contribuera à monter le niveau des prochains matchs !!!
Wedly Mozart
Mozeau
Juge, coach et animateur du club de débat de la
BMC
1 commentaire:
Excellent travail Mozeau!!!
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