Chronique d’une tragédie annoncée
Le mot aurait pu
s’appliquer à l’ensemble des communes du sud frappées par le cyclone Mathieu,
aux dires de gens qui arrivent à Camp-Perrin après maintes difficultés dues
notamment aux arbres arrachés qui jonchent les routes.
Pianissimo, pianissimo, pianissimo…
Pourtant, tout a commencé de façon tellement
calme, ou disons-mieux, malgré les nouvelles faisant état des dégâts causés à
la Jamaïque, à la Martinique par Mathieu, jusque fort tard dans l’après-midi du
Lundi 3 Octobre, aucune menace n’était encore visible dans notre ciel. Vers les
5 heures P.M, Jean-Gérard Anis, responsable du Programme Initiative
Jeunes de FOKAL m’appelé pour s’enquérir de l’évolution de la situation tout
en m’informant que la Jamaïque est déjà fortement touchée, et que prudence est
recommandée. Je l’ai rassuré, car, à part qu’il pleuvinait et ce, depuis la
matinée, rien de grave n’était à signaler. D’ailleurs, les paysans (j’habite
dans une région agricole) se réjouissaient déjà que le cyclone soit venu
sous forme de pluie. Les plus jeunes cependant
ne sont pas contents. Ils rêvaient tant de voir ce que c’est qu’un
cyclone dont ils ont seulement entendu parler par les plus âgés. Patientez mes
enfants, vous allez vivre un cyclone, un vrai ; vous allez vivre l’horreur, vous allez vivre
l’enfer…
Piano, piano, piano
Une heure environ après l’appel d’Anis,
j’observais attentivement le paysage. Je regardais en particulier les cocotiers
dont les plus hauts secouaient la tête de gauche à droite et de droite à
gauche. Cela me parait inquiétant. J’adresse un SMS à Anis :
« Timidement, les premières rafales nous parviennent. » Il était 5h43
P.M.
Mais des cyclones, j’en ai vu : Allen,
Gordon, Eric etc… et je pense que celui-ci n’en est qu’un de plus, avec son lot
de misères certes, mais tout de même supportable. Camp-Perrin est allé
s’endormir avec l’espoir que le Soleil se lèverait le lendemain, timidement
certes, mais après tout, les bonnes pluies n’allaient-elles par remplir les
sources, gonfler nos rivières et nos canaux d’irrigation et augurer de bonnes
récoltes ?
Et les inquiétudes commencent…
Mais les rafales se sont intensifiées.
Vers les dix heures du soir, elles commençaient à être inquiétantes. Passé
minuit, la situation a persisté. Mais je ne sais pas quel espoir nous fit
croire qu’avec le lever du soleil elle s’améliorerait. Et les heures ont passé. On appelle ça et là
des amis s’informer de leur situation et pour leur dire de bien s’abriter.
La tragédie est à nos portes…
Tout a commencé à se dégénérer réellement
mardi entre 4 et 9h du matin. Les bruits
les plus surréalistes étaient entendus. Tantôt, on croyait qu’il arrivait un
gros camion, tantôt on entendait ou plutôt, on croyait entendre des sifflements
ou des grondements. Ma femme semblait même s’en amuser un peu. Elle et moi
observions à travers les fenêtres de ma bibliothèque le noir qu’illuminaient à
chaque instant les éclairs et commentions avec désolation le sort de ceux qui abritaient
les taudis dans les bidonvilles des Cayes et des montagnes avoisinantes, quand
nous entendîmes deux détonations. J’ai rien vu. Mais ma femme m’assure qu’il a
vu deux feuilles de tôles frapper le câble haute- tension de l’EDH. La
situation est passée à « un autre niveau. » Je texte encore une fois
à Anis : « Jamais on n’a enregistré une telle catastrophe. »
Rescapés de l’enfer…
« Entendre et voir, c’est deux », dit le vieux proverbe
créole : « Tande ak wè se de. »
A quatre heures, on ne pouvait plus dormir ; les enfants réveillés et pris de panique, pleuraient.
Quelqu’un frappe à la porte et criait. Avec beaucoup de difficultés, car l’eau
entrée à travers les fenêtres démontées et les persiennes rendaient le sol
glissant ; on est allé ouvrir la porte, ma femme et moi. On luttait avec
la porte qu’une force extraordinaire, attirait et repoussait tout à la fois. « Entrez
vite », nous dimes, sans savoir qui c’était. C’était un jeune de 17 ans qui,
paniqué, est parvenu à courir un kilomètre sous les tôles qui volaient comme
des feuilles et des arbres qui tombaient comme de vulgaires châteaux de cartes,
sans parler de la constante menace
d’être charrié et jeté dans la falaise creusée par la Ravine du Sud et qui
borde la route. « Je ne vois pas la vie pour les miens, ils
sont sans doute morts à l’heure actuelle. Oh ma pauvre maman ! Pourquoi
n’avez-vous pas voulu me suivre ? » Tant bien que mal nous
l’avons consolé, l’assurant que Dieu finirait par leur accorder la vie et que
point n’était besoin de se tracasser alors que lui, il était sauvé. Dehors, l’Apocalypse continue.
On frappe à la porte à
nouveau. Ma femme et moi allons ouvrir. C’est mon frère Benjamin dont la maison
est à quelques mètres de la mienne. Les tôles de ma maison commencent à
s’envoler : « Eh bien, va vite
chercher les autres et reviens au plus vite. Fais attention ! »
Il revient. Nous allons rouvrir. Mais cette fois-ci le vent a dit :
« Non. Vous ne laisserez entrer
personne. » C’était une véritable bataille entre ma femme et moi d’un
côté et les éléments déchainés. Ils sont enfin entrés après mille efforts.
Maintenant, le hic est de refermer la porte. On risquait, si on sortait d’être
emportés par le vent et jetés dans la falaise de la farine du sud qui est à 100
m de la maison. La Ravine du Sud qui depuis des mois, à cause de la sécheresse,
était tarie et qui maintenant se faisait à peine entendre. Et quand la Ravine
du Sud ne fait pas de bruit, cela veut dire que son lit est rempli, cela
signifie qu’elle est dans ses mauvais jours, qu’elle est dangereuse. « La force est calme », avait un jour dit un de nos dirigeants.
« Tiens bon, on va la fermer
enfin ! » Car le vent, a lâché la porte. Mais ce n’était qu’une
feinte. Brusquement la porte est attirée, comme happée de l’extérieur et en une
fraction de seconde est repoussée en sens contraire avec la même violence. Il
ne restait dans ma main que les débris de ce qui fut autrefois la porte
principale de la maison. En même temps, les murs du porche qui recouvraient
l’escalier et dont la toiture en tôles ondulées étaient emportée deux heures
auparavant, s’est effondrée et a failli ensevelir sous les décombres, ma femme
et moi qui étions en train d’accueillir des voisins qui ayant abandonné leur
maison, arrivaient de plus en plus nombreux. L’un d’eux, une jeune femme
appelée Nounoune et ses deux garçons qui, habite 100 mètres derrière notre
maison a vu s’envoler les tôles de sa maison depuis 4h am. Ils étaient restés
accroupis sous une table, ravagés par la peur se croyant à leur dernier jour.
Profitant d’une brève accalmie et ils ont abandonné la maison ou plutôt ce qui
en restait cherché refuge. Et les tôles ci-haut mentionnées qui ont percuté le câble
haute-tension de l’EDH provenaient de leur maison, complètement dépouillée à
l’instant. Pour une fois, on s’est réjoui qu’il n’y ait pas d’électricité, car
dans la panique générale, plusieurs personnes seraient mortes, électrocutées.
Il fait presque jour maintenant, et
j’écris encore une fois à Anis : « Catastrophe indescriptible ».
Le message roule encore sur l’écran du téléphone à l’instant où j’écris sans
pouvoir partir. Toute communication était depuis longtemps devenue impossible
par téléphone.
Ci-git, Camp-Perrin…
De mémoire d’homme, on n’a jamais vécu
pareille tragédie à Camp-Perrin. Ceux qui ont cent ans ou à peu près
l’affirment. C’est un 12 Janvier 2010 en…vent ! Camp-Perrin, dont il ne reste plus aujourd’hui
que le souvenir. Camp-Perrin, jadis l’une des villes les plus vertes du pays !
Camp-Perrin qui faisait l’orgueil de ses fils et le charme de ses
visiteurs ! Partout, où que vous alliez, et même à Brouette, quartier
résidentiel, où l’on trouve le célèbre collège de Mazenod et autres
institutions prestigieuses, oui même à Brouette, toujours un petit protégé des
cyclones grâce aux collines qui l’entourent, le même spectacle désolant s’offre
à l’œil. Ce qui reste d’arbres sont complètement dépouillés de leurs feuilles.
Et la vue porte si loin que des maisons autrefois invisibles, cachés par le
vert feuillage des arbres, sont maintenant visibles à des kilomètres. C’est une
ville fantôme, digne du décor des films les plus apocalyptiques. Des écoles ont
vu leurs toits emportés par la fureur du cyclone et même l’Eglise Sainte Anne, un joyau architectural, s’est effondré. Heureusement, personne n’y était allé
chercher refuge à l’appel du curé qui de bonne foi « pódyab » avait
invité tous ceux qui se sentaient éventuellement en danger, à venir y chercher
« asile ».
Qui pourra évaluer le bilan
des dégâts ?
A l’instant où j’écris, personne ne peut dire
encore le bilan exact de ce cataclysme, les communications par voie terrestre,
ou même par téléphone étant quasi impossibles. On sait seulement qu’aucun mort
direct n’a été enregistré dans la commune de Camp-Perrin : ce qui relève presque
du miracle. On sait surtout, que les jours à venir seront sombres, sombres,
sombres. Camp-Perrin et tout le reste du département est dans l’urgence d’une
aide humanitaire et ce pour longtemps encore, car, les manguiers, les
« véritables », les arbres à pain qui jouent un rôle si important
dans le quotidien des habitants ne sont plus. On se dit maintenant que malgré
le chômage, malgré la misère, trois jours auparavant on était encore très
riche, car on avait au moins un toit, les arbres donnaient leurs fruits.
L'église Sainte-Anne de Camp-Perrin après le passage du cyclone |
Du côté des autorités
étatiques, silence, absence…du moins pour l’instant
Contrairement aux années antérieures, au
lendemain de telles catastrophes, des hélicoptères sillonnaient le ciel à basse
altitude. Les autorités faisaient acte de présence. Au moment où j’écris ces
lignes, rien de ce genre n’est observé, si l’on excepte le cas du Sénateur
Hervé Foucand qui, accompagné de deux opérateurs de la compagnie Estrella tente
de déblayer les rues principales de la commune, complètement jonchées de
branches.
Les
autorités n’ont-elles pas encore pris conscience de la dimension du drame qui
se profile à l’horizon ? Et certainement, vu le rôle que joue Camp-Perrin
dans le domaine agricole surtout, pour le tout le pays, ce dernier ne manquera
pas d’en pâtir.
Certains gardent encore l’espoir
d’une résurrection, mais ce ne sera pas disent-ils, dans trois jours. On
souhaite que, taraudés par la misère les paysans ne coupent pas les arbres
restés debout quoique sans feuilles (ou parce que sans feuilles) et que ces
derniers en repoussent de nouvelles qui redonneront à Camp-Perrin sa verdure
proverbiale et fassent en même temps renaitre l’espoir.
Animateur du club de débat de
Camp-Perrin
Programme Initiative Jeunes - FOKAL
N.B : Nous n’avons pu établir jusqu’à présent aucun contact avec
les jeunes de notre club, et croyez-nous, nous en sommes très tristes, car nous
savons dans quelle situation beaucoup d’eux évoluent.
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