Une table ronde, organisée par l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), le 17 mai 2011 à l’Université Épiscopale d’Haïti (UNEPH) au Champ-de-Mars, à Port-au-Prince, a réuni une cinquantaine d’universitaires haïtiens, recteurs, doyens, directeurs et professeurs d’universités et autres institutions d’études supérieurs de la capitale et de la province. Le thème de cette conférence était : « Systèmes comparés d’enseignement supérieur et de recherche. Quelle université demain pour Haïti ?».
Quatre (4) panélistes étrangers, haut représentants des universités du Canada, d’Europe et d’Afrique ont constitué l’essentiel des conférenciers.
Après les mots de bienvenue du vice-recteur de l’UNEPH, puis des propos de circonstance de son recteur, la Directrice de l’enseignement supérieur au Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP), Mme Florence Pierre-Louis, a placé le contexte de la Table ronde : s’inspirer des expériences des universités étrangères pour répondre aux inquiétudes et défis qui pèsent sur les universités et l’enseignement supérieur en Haïti, et pour les placer dans une grande démarche internationale. Ces travaux s’ajouteront à d’autres, promet-elle.
Abderrahmane Lellou, le chef de la délégation étrangère et Vice-recteur à la politique scientifique de l’AUF, a présenté les panélistes et les objectifs de cette Table ronde : appuyer une réflexion par le partage d’expériences pour aboutir à des effets positifs en Haïti, et pour atteindre les objectifs du Millénaire grâce à l’enseignement supérieur. Puis, les exposés ont démarré avec la présentation d’Hélène David, Vice-rectrice des affaires académiques et Rectrice suppléante de l’Université de Montréal (Canada-Québec) sur l’architecture du système d’enseignement supérieur au Québec.
L'enseignement supérieur au Québec-Canada
Le système universitaire québecquois est entièrement public et financé en majorité par les fonds publics, les droits de scolarité annuels des étudiants (bloqués depuis 40 ans à 3500 $CAN) et les donateurs privés finançant la recherche. La langue dans le réseau d’enseignement supérieur de la province du Québec (5 universités, 20,000 étudiants) demeure le français à 86%. L’architecture de l’enseignement supérieur comprend un niveau collégial (CEGEP) qui offre une éducation pré-universitaire et une formation technique sur une période de 2-3 ans, et un niveau universitaire disposant de 3 cycles terminant sur un doctorat professionnel (la thèse de sortie est supprimée et remplacée par des travaux dirigés).
Ce qui caractérise selon elle le système universitaire québecquois est qu’il est orienté vers une formation rapide, concrète, tangible dont on voit rapidement la fin, vers une approche pédagogique pratique et interactive (pas d’amphis) favorisant la coopération et le travail en équipe, vers une disponibilité et un encadrement uniques offerts aux étudiants (prêts et bourses disponibles pour eux), un corps professoral composé de professeurs-chercheurs en majorité (4500) et de chargés de cours qui assurent l’essentiel de l’enseignement, vers la qualité et la pertinence des programmes de l’enseignement supérieur évalué chaque année par la conférence des recteurs, enfin vers une augmentation des publications scientifiques qui l’élèvent au 10e rang mondial.
L'enseignement supérieur en France
Selon Pierre-Yves Boissau, Vice-président du Conseil d’Administration de l’Université de Toulouse 2, le système de l’enseignement supérieur français est majoritairement public, car financé presque entièrement par l’État (les universités privées sont inexistantes). Ce système, en pleine mutation, regroupe plus de 80 universités, Instituts universitaires de formation des maitres (IUFM), et Instituts universitaires de technologies (IUT). Le cursus des universités françaises débouche soit sur la Licence en 3 ans, le Mastère (encore 2 ans de plus), le Doctorat (encore 3 ans et davantage). Par contre, les IUT délivrent un diplôme professionnel en 2 ans. Néanmoins, les diplômes français sont en passe de s’harmoniser avec les diplômes des autres pays européens.
La transformation amorcée de l’architecture de l’enseignement supérieur français se caractérise par l’autonomie (l’université s’émancipe de la tutelle de l’État), la concentration (les universités se regroupent en pôles régionaux d’enseignement), l’orientation professionnelle (davantage tournée vers l’entreprise). Cependant, les structures de pilotage demeurent encore compliquées et stratifiées, et s’appuient toujours sur une administration lourde et complexe. Néanmoins de réelles opportunités sont créées pour les universités françaises aujourd’hui: une liberté d’initiative inouïe, une attention accrue au devenir des étudiants, une ouverture au monde socioéconomique, à l’environnement territorial et aux enjeux internationaux.
L'enseignement supérieur au Sénégal
Abdou Salam Sall, ancien Recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) a effectué une présentation qui collait le mieux aux objectifs de la Table ronde et les attentes de l’assistance, au regard de nombreuses questions qui lui ont été posées à l’ouverture des débats.
Le système universitaire sénégalais s’inspire largement du dispositif du système français auquel sont adjointes des innovations intéressantes. Une vision guide le système d’enseignement supérieur du Sénégal : elle mise sur la recherche de la qualité, la pertinence de programmes adaptés, la coopération internationale, l’internet et la communication, la bonne gestion des finances et une mission de travail à 70% tournée vers l’étudiant. Le cursus universitaire délivre 3 diplômes : une licence, une licence professionnelle en tourisme, énergie, communication, environnement, un mastère obtenu après 4 semestres d’études.
Le financement du système (27 milliards de francs CFA soit environ 60 millions de USD) est assuré par les fonds publics (20 milliards), les ressources dégagées par l’université (5 milliards), et les fonds privés venant de fondations, de la coopération internationale, de la diaspora sénégalaise (2 milliards).
Abdou Salam ne s’embarrasse pas pour fournir de précieux conseils aux autorités universitaires présentes, à partir des expériences réussies du Sénégal. Selon lui, l’université doit être au cœur des transformations de la société, le lieu par excellence des débats de la société. Les étudiants sont les transformateurs de la société.
L’université est la recherche.
Les innovations du système universitaire sénégalais se distinguent dans la mutualisation des ressources informatiques entre les universités concentrées à Dakar; la création de camps citoyens qui imposent aux étudiants une immersion en milieu rural pendant 15 jours pour effectuer des travaux d’intérêt civique (reboisement, alphabétisation des paysannes, protection de l’environnement, initiation à l’informatique des habitants des localités, partage de savoir avec les communautés rurales); création de la fonction l’Ombudsman qui intervient dans la résolution des conflits et qui prône une culture de paix à l’intérieur de l’université.
Si on veut transformer la société, éduquez les femmes!
Le système universitaire sénégalais est en train d’impulser des mutations dans le management de l’enseignement supérieur, en introduisant une politique d’évaluation des pratiques et des objectifs des universités, une refonte des structures de gouvernance avec la création d’une Commission de l’enseignement supérieur, d’une Direction générale de l’enseignement, d’une Agence d’accréditation, et une Direction de la recherche scientifique.
Trois conditions sont nécessaires, selon Abdou Salam Sall, pour transformer une université et l’élever au rang international : des enseignants et étudiants issus du monde entier, des ressources financières étendues, une gestion flexible et reddition des comptes.
Il conclut son exposé par ces mots : « La raison d’être d’une université est d’inciter à la création d’entreprises et d’emploi ».
L'enseignement supérieur en Belgique
Jean-Louis Vanherweghem, ancien Président de l’Université libre de Bruxelles (Belgique) a effectué la dernière présentation de la Table ronde. Dans la Belgique francophone, les communautés (wallonnes et flamandes) gèrent l’enseignement et la recherche fondamentale, les régions la recherche appliquée. L’architecture de l’enseignement supérieur se décompose en 3 entités : les universités (qui captent 50% des étudiants), les Hautes écoles (46% de l’effectif), et les institutions artistiques (4%). L’université a un cursus s’étalant sur 3 cycles : le 1er cycle de 3 ans débouchant sur un diplôme de licence, le 2e cycle qui aboutit à un mastère après 2 ans supplémentaires, puis le 3e cycle qui consacre un doctorat obtenu sur 4 ans.
Certaines universités ont un statut public (sous la tutelle des communautés francophones), d’autres sont privées (gérées par l’Église catholique), un dernier groupe a un statut privé autonome. Cependant, il n’existe pas de réelle différence entre les universités publiques et privées en ce qui a trait à la gouvernance et le financement. Le libre accès à l’enseignement supérieur est garanti à tout étudiant ayant obtenu son diplôme de fin d’études secondaires : pas d’examen ni de concours d’entrée. Les droits d’inscription sont fixés par décret.
Les principes qui gouvernent l’enseignement supérieur public et la recherche en Belgique sont l’autonomie (un conseil d’administration souverain élit les recteurs, doyens et nomme le personnel), la démocratie participative (dans les débats sur les orientations à l’intérieur des universités), un financement public différencié (selon le nombre d’étudiants par université) et diversifié (allocations de l’État, droits d’inscription des étudiants, contrats de recherche, ventes de patrimoine, mécénat).
Zoom
Certains propos tenus par les panélistes lors des débats qui se sont ensuivis après les exposés, méritent une attention particulière. Morceaux choisis.
« Les universités privées ne se donnent pas des missions de service public, c’est du business! […] Il n’y a pas de recommandations internationales pour atteindre un standard international. Il y a des expériences nationales dont un pays peut s’inspirer en partie pour construire son enseignement supérieur. C’est à Haïti de construire son modèle, en se donnant du temps et en cherchant à s’améliorer sans cesse. Le standard international, il faut aller le chercher en faisant de la recherche, en questionnant sans cesse ses certitudes. » Abdou Salam Sall
« Une université cloisonnée dans son monde, qui ne rend pas de compte au pays, est vouée à l’échec. Il faut en finir avec les concurrences stupides entre universités sur les mêmes créneaux, alors qu’il faudrait une coopération entre elles pour bâtir les filières. […] Les universités ne doivent pas se fondre dans une même moule. Mieux vaut l’autonomie et s’auto-évaluer. Les universités devraient se questionner sur leurs forces et leurs faiblesses.» Jean-Yves Boissau
Synthèse
La synthèse des recommandations qu’ont fournies les panélistes peut s’exprimer en ces termes :
Il n’y pas une norme universitaire. Il y a des modèles imparfaits, des exemples en mutation.
Il faut partager les expériences.
Les universités haïtiennes devraient avoir une structure de gouvernance collégiale autonome, à travers une conférence des recteurs, des responsables de l’enseignement supérieur.
Pour prétendre à la qualité, les universités haïtiennes devraient accepter l’évaluation du regard des autres. Pour reprendre les mots de conclusion de Mme Florence Pierre-Louis, du MENFP, cette Table ronde a été utile pour « confronter les expériences afin d’apporter un éclairage sur nos vides et nos carences pour se réaliser ».
Jean-Gérard Anis
Coordonnateur du projet VDF
19 mai 2011