Dans le cadre de notre
rubrique mensuelle « Profil de débatteur », dans la newsletter de
FOKAL, ’Nouvèl Fokal’, parue tous les mercredis, mon collègue Yvens Rumbold et
moi-même, avions interviewé vendredi 27 février 2015,dans les locaux de la
fondation, 2 jeunes débatteurs du club de Christ-Roi, Théodore Bronson (21 ans)
et Clarisse Altidor (16 ans).
Ils ont tous les deux ont
assisté à la causerie sur la discrimination sexuelle en Haïti, donnée par la
sociologue et militante féministe Danièle Magloire, le 31 janvier 2015, à une
quarantaine de jeunes de ce club, au centre culturel Pyepoudre (Bourdon), en
prélude à une compétition de débat qu’allait organiser le club sur le sujet. [Lire
le compte-rendu de cet article publié en février dernier dans le blog et dans ‘Nouvèl
Fokal’].
Théodore Bronson est
étudiant en 2e année de Droit à l’Université d’Etat d’Haïti. Clarisse
Altidor est en seconde au lycée technique Elie Dubois à Port-au-Prince. Nous
avons voulu connaitre leurs réactions sur le sujet et ce qu’ils ont appris de
la conférence.
Verbatim.
1. Pourquoi avez-vous participé à cette
causerie ?
THEODORE BRONSON : C’est
un fait de société dans laquelle nous vivons. Il y a une très forte tendance à
la discrimination où les femmes sont exclues. Or dans notre société, ce sont
nos femmes qui font tourner l’économie. La plupart des activités commerciales,
ce sont des femmes qui le font. Or, on ne les reconnait pas à leur juste valeur.
Les femmes ne sont pas appréciées pour ce qu’elles font. C’est la raison de ma
présence à conférence.
Thédore Bronson (21 ans) |
2. Vous sentez-vous discriminée comme jeune
fille dans la société ?
CLARISSE ALTIDOR : Personnellement
non. Mais je sais voir des filles discriminées. Sans faire de personnalité, je
vais prendre l’exemple dans des écoles congréganistes. Je sais que dans une
école, si une fille vit dans un quartier comme Cité soleil, il sera difficile
pour elle d’être acceptée dans cette école-là. Donc je peux prendre cela comme
exemple.
3.
Est-ce que la discrimination sexuelle ou de genre est un sujet débattu ou
discuté à la faculté de droit entre les étudiants, ou bien entre les
étudiants et vos profs?
THEODORE BRONSON : Pas
tout à fait. Mais dans le cadre du cours de droit international de
l’environnement, notre professeur Maitre Aviol Fleurant a l’habitude de
comparer les différentes sociétés, de prendre en exemple la société malienne où
la discrimination sexuelle est beaucoup plus élevée par rapport à d’autres pays ;
on y pratique encore l’excision, qui selon moi est une barbarie. C’est seulement
ça. Mais par rapport à Haïti, on n’a pas l’habitude de discuter de la
discrimination sexuelle. C’est de préférence généralement [NDR : indirectement].
CLARISSE ALTIDOR : A mon
école, on sait en parler brièvement si on entre dans un sujet qui le nécessite,
mais on ne prend pas une journée pour en parler.
Clarisse Altidor (16 ans) |
4. Qu’avez-vous appris d’une manière générale de
cette causerie de Danièle Magloire sur la discrimination sexuelle en Haïti
?
THEODORE BRONSON : Nous
avons appris qu’il y a beaucoup de choses, c’est nous qui sommes venus avec, ce
ne sont pas des choses naturelles. Mais c’est nous qui les créons. Par exemple,
la définition que nous donnons au mot « différence » n’est pas en
vérité la bonne. « Différence » signifie quelque chose qui n’est pas
semblable, mais ne veut pas dire « inégalité ». Donc sur ce point-là,
les hommes, plus particulièrement dans notre société, ont l’habitude de prendre
la différence comme un élément pour asseoir leur supériorité. Donc, à partir de
là, ils pensent qu’ils sont supérieurs à la femme.
A part cela, j’ai aussi pris
conscience de moi-même puisque, en tant qu’individu qui vit dans la société, je
ne suis pas imperméable à ce qui s’y passe. J’ai moi-même subi cette
socialisation machiste. Je ne vais plus penser comme j’avais l’habitude de le
faire auparavant. Je pense que je vais alors travailler pour diminuer certaines
tendances machistes chez moi.
CLARISSE ALTIDOR : A
vrai dire, de cette causerie, j’ai beaucoup appris. Avant, je ne cernais pas
vraiment le sujet de la discrimination. Maintenant, j’ai pris conscience que
c’est à cause de cette mauvaise tendance à donner des définitions brèves des
choses qu’on peut avoir ce grand problème. Comme Bronson l’adit, c’est à cause
de cette petite différence [NDR : biologique] qu’ont les hommes et les
femmes que cela donne naissance à l’inégalité et qui ensuite entraine la
discrimination.
C’est à cause de cette
différence biologique, car les hommes et les femmes sont différents
biologiquement parlant, que les hommes prennent un malin plaisir à rabaisser
les femmes. Je pense qu’avec cette causerie, j’ai pris conscience, en
commençant par poser des actions et à penser autrement de façon à lever les
femmes dans la société.
5.
Selon vous, qu’est-ce que les hommes devraient faire pour en finir avec ce
genre de discrimination envers les femmes ?
CLARISSE ALTIDOR : Je
pense que la première chose qu’ils doivent faire, c’est d’arrêter de penser
qu’ils sont supérieurs aux femmes. D’ailleurs, ils ne le sont pas. On est tous
humains. Et tous les humais sont égaux… en droit et en dignité, selon l’article
1 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Ils doivent commencer à croire
et à voir réellement qu’on a comme eux
la capacité de réfléchir et d’avoir un
poste important comme les autres. Donc, ils doivent commencer vraiment à voir
que les femmes sont humaines comme eux.
6. Théodore, comme tu as dit que tu as pris
conscience maintenant, comment vas-tu pouvoir agir au quotidien pour éviter de
tomber dans la discrimination sexuelle ?
THEODORE BRONSON : Personnellement, cela va être facile pour moi. Je
suis élevé dans une famille monoparentale. C’est ma mère seulement qui m’a
élevé. Donc, je suis plus enclin à apprécier la femme en elle-même, à la voir à
sa juste valeur. Tenant compte de tous les efforts que ma mère a consentis pour
nous élever, cela me porte à respecter ma mère en particulier, et les femmes en
g général. Compte tenu de leur courage, cela ne va pas être difficile pour
moi de considérer les femmes telles qu’elles sont vraiment.
7. En tant que jeune, êtes-vous pour qu’on
applique en Haïti l’action position en
faveur des femmes soit en politique soit dans d’autres sphères importantes de
la société?
THEODORE BRONSON : Comment ne pas être pour ? Dans une société où
il y a inégalités, il va y avoir forcément des problèmes. Puisque la classe qui
subit l’inégalité ne va pas rester comme ça. Il va y avoir des griefs. Bien
entendu, je suis pour l’action positive, parce que cela va apporter une sorte
d’équilibre dans la société, cela va remédier à beaucoup de problèmes que nous confrontons.
Je pense que l’action positive va apporter beaucoup de progrès dans la société, un changement dans les mentalités, puisque
selon moi beaucoup de problèmes qui se posent, par exemple les violences
faites aux femmes sont dus par le fait que l’homme se croit supérieur à la
femme. Une fois que la femme peut jouir des mêmes privilèges que l’homme, je
pense que tout ça va diminuer, et j’espère qu’au fil du temps cela va
disparaitre, être éradiqué totalement.
8. Clarisse, est-ce que tu
crois toi-même que l’action positive est une mesure qui sera appliquée
pleinement en Haïti, dans les institutions politiques et administratives ?
CLARISSE ALTIDOR : Oui, je le pense. Parce que on sait que la mentalité
sexiste est ce qu’il ya de plus difficile à effacer dans le cœur …d’une femme.
Cela date bien des années. Donc, elles pensent qu’elles sont vraiment
inferieures aux hommes. Avec une mesure prise de manière radicale dans un pays,
la femme verra bien que c’est une barbarie, elle verra bien qu’il y a des
dispositions qui sont mises en place afin qu’elles puissent vraiment s’élargir
de façon honnête. Et elles pourront vraiment être égales aux hommes.
9. A votre niveau, que pensez-vous pouvoir
faire, que ce soit dans des associations, dans des groupes, pour permettre à
plus de jeunes d’être conscients du problème de la discrimination en Haïti, et
aussi comment vous voulez qu’ils voient la discrimination positive ?
THEODORE BRONSON : Ce n’est pas quelque chose qui va être facile puisque
c’est ancré dans notre mentalité. Vous imaginez quelque chose que vous avez apprise
depuis votre prime enfance. On vous a appris à distinguer ce qui est fait pour
les femmes de ce qui est fait pour les garçons. Tel comportement est un
comportement de femme, tel autre est un comportement d’homme. Donc nous avons
grandi avec cette mentalité. Pour arriver à la changer, cela va demander beaucoup de volonté.
Je ne sais pas précisément ce qu’on va entreprendre
pour arriver ce changement, mais il faudrait que dans les groupes, on commence
à mettre en valeur les capacités des femmes, à ne pas les regarder inférieures
à nous. Cela ne va pas résoudre immédiatement le problème. C’est déjà un
commencement. Cela exprime quand même une certaine volonté à vouloir voir
disparaitre cette discrimination.
10. Et toi Clarisse, qu’est-ce que tu peux faire à ton niveau pour
promouvoir la discrimination positive par exemple dans tes cercles d’amis, sur
ton réseau social ?
CLARISSE ALTIDOR : Pour moi, être écolière, c’est déjà un premier pas.
Parce que de là c’est le meilleur chemin à prendre pour faire voir aux autres
femmes qu’elles ne sont pas inférieures, et que je puisse dans le futur
devenir une grande économiste ou politicienne, afin d’être un modèle pour
toutes les femmes qui pensent que tel métier est fait pour les hommes, et les
taches ménagères pour les femmes.
Je pense qu’être écolière, j’arriverai encore plus à
parler de la discrimination et de l’action
positive avec les autres (filles) afin qu’elles puissent vraiment prendre
conscience et voir l’état dans lequel elles sont en voulant s’abaisser devant
les hommes.
11. Après avoir suivi la
conférence, as-tu abordé la question avec tes amies ?
CLARISSE
ALTIDOR : Oui, au lundi matin à
l’école, j’ai effectivement débattu du sujet avec mes amies. Elles ont donné
leurs points de vue, et j’ai vu vraiment que c’est le fait que la mentalité
ancienne existe qu’elles pensent vraiment qu’elles sont inférieures. Mais si
elles avaient vraiment des personnes comme Danièle Magloire qui parlaient de ça
avec elles, elles sauraient qu’elles
peuvent occuper n’importe quelle place dans la société.
Il y en a qui ont dit que
les femmes sont faites pour être à la maison, qui pensaient qu’elles sont
vraiment inférieures. En leur expliquant à l’aide de la conférence, elles ont
vu que rien ne peut les empêcher à être égales aux hommes, puisqu’ils sont tous
les deux des êtres humains. Elles croient maintenant que cela peut changer si elles
le veulent vraiment.
12. Vous avez un groupe mixte d’amis
dans lequel vous voudriez monter une structure. Est-ce que vous vous dites que
telle position doit être occupée par un garçon à la place d’une fille.
THEODORE
BRONSON : Non. Cela va dépendre de
la capacité de la personne. Je n’ai pas l’habitude de tenir compte du sexe de
la personne pour lui attribuer telle tache. Il suffit que je voie qu’elle a la
capacité, et puis la personne fera ce qu’elle a à faire.
13. Veux-tu dire que tu n’as jamais eu une attitude sexiste envers une
fille ?
THEODORE
BRONSON : Il hésite et cherche dans son esprit. Hum non ! En tout cas,
pas consciemment. Je me rappelle quand j’étais à l’école, je trouvais cela
anormal qu’une fille soit la première de la classe. Maintenant, pendant que je
suis à l’université, les choses ont un peu changé. A la faculté [NDR : de
droit], il y a des choses qui paraissent un peu normales, comme par exemple, il
y a des femmes qui ont déjà étudié d’autres choses, c’est tout à fait normal
qu’elles soient plus brillantes que moi. La réalité a changé et j’ai grandi
également. Je ne pense pas de la même façon qu’avant.
14. Clarisse, quand un garçon a une attitude sexiste envers toi, comment tu
réagis ?
CLARISSE
ALTIDOR : Tout d’abord,
je tiens à signaler que je suis une personne très calme. Mais le plus souvent,
je me contente de ne pas réagir au même moment, et dans le futur de poser une
action de façon à ce que la personne en elle-même puisse prendre conscience,
puisse vraiment regarder et dire qu’il a fait fausse route.
Cependant,
quand j’étais plus petite, s’il ya a quelque chose de vraiment lourd à
soulever, s’il y a plusieurs filles et un garçon parmi elles, je dis :
« C’est toi qui es l’homme ici, tu
dois… ». [Eclats de rire]. Avec la conférence, je peux bien le dire,
j’ai pu bien comprendre que la force n’est pas pour l’homme et la faiblesse
pour la femme.
15. Est-ce que vous croyez tous les deux qu’effectivement
la question de diminuer la disparité envers les femmes en Haïti est un sujet
qui fait son chemin dans la société ? Avez-vous le sentiment que cela est
en train de changer dans la société haïtienne ?
THEODORE
BRONSON : Pour qu’on
observe véritablement un changement dans la société, il faut qu’il y ait des lois et des règles, et les sanctions
qui vont avec lorsqu’on les enfreint. Avec le ministère des femmes (de la
condition féminine), qui est là maintenant comme recours pour les femmes qui
sont victimes, donc je pense que sur le point de la violence [NDR : exercée
sur les femmes], cela a un peu diminué. Avant qu’un homme frappe une femme, il
doit réfléchir d’abord à ce que la femme va faire. Est-ce qu’on ne va pas venir
m’arrêter ? Il y a quand même un changement sur ce point. Sur d’autres
angles, comme au travail, je ne sais pas.
Nous vivons
dans une société pauvre qui rend les femmes vulnérables. Imaginez-vous une
femme qui n’a pas les moyens pour vivre et qui est à la recherche d’un travail.
Si cette femme n’a pas un haut niveau de moralité, elle pourrait succomber aux
propositions indécentes que le patron lui proposerait pour lui donner ce
travail. Sur ce point, ce n’est pas un problème qu’on peut envisager simplement
comme cela. Il faut tenir compte de la société, il faut le voir d’un point de
vue général.
Le changement s’opère lentement dans certains
secteurs.
CLARISSE
ALTIDOR : Il y a des
forces qui poussent au changement dans ce domaine-là, comme le ministère de la
Condition féminine qui est une instance qui est là pour ça. Malheureusement, il
y a des femmes qui trop souvent, par peur, ne veulent pas porter plainte quand
elles sont agressées. Ceci est un grand problème dans le pays. Si on ne veut
plus qu’il y ait de la discrimination, il faut qu’il y ait la volonté. C’est ce
qu’il faut vraiment.
Il y a des
mesures qui sont prises vraiment. Par exemple, la Condition féminine fait la
promotion pour cela. Dans mon quartier,
je sais voir des gens qui viennent pour parler aux femmes. Mais c’est la
volonté qui manque…
16. Si une collègue de travail gagne plus vous,
comment allez-vous réagir ?
THEODORE
BRONSON : Je
l’accepterai comme un fait normal.
17. Clarisse, est-ce que tu es prête à voter une femme
parce qu’elle est une femme ?
CLARISSE
ALTIDOR : NON. En tant
que femme, je suis pour qu’une femme devienne candidate à la présidence. Parce
qu’elle est femme, je ne vais pas voter pour elle. Cela dépend du programme
qu’elle veut entreprendre. Si je ne me retrouve pas dans le programme, je peux
catégoriquement voter pour celui avec lequel je me sens mieux.
MOT DE LA FIN
THEODORE
BRONSON : Je suis
content de ce genre d’initiative, une initiative qui sert à instruire les gens
sur ce qu’ils vivent chaque jour. Un sujet comme la discrimination positive est
un sujet très intéressant. Cela va porter les hommes, ou du moins quelques-uns,
à prendre conscience d’eux-mêmes,…et les
filles à entreprendre certains changements chez elles, à se voir différemment.
CLARISSE
ALTIDOR : Merci pour
cette interview et cette conférence. J’ai bien cerné le sujet et je vais
commencer par prendre conscience moi-même et inviter les autres à prendre
conscience, et à faire voir à tout le monde que le féminisme n’est pas un
combat contre les hommes, mais un combat pour les femmes.
Propos recueillis par
Jean-Gérard ANIS
Coordonnateur des Programmes Initiative Jeunes
Yvens RUMBOLD
Responsable de Communication
27 février 2015
– FO KAL
N.B. : Vous pouvez lire aussi un compte-rendu commenté de
cette interview dans ‘Nouvèl Fokal’, la newsletter de la fondation parue chaque
mercredi.
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