Cette affirmation a été le sujet débattu dans le club de Jacmel, samedi
14 novembre 2015, dans les locaux de l’Université Notre-Dame d’Haiti dans la
métropole du Sud-est. En présence de parents de membres du club, de
journalistes de divers médias de la ville, et des jeunes curieux d’apprendre davantage
sur le débat, environ une trentaine de personnes, ont assisté à cette
démonstration de débat, dans le format Karl Popper*, qui a opposé 2 équipes de
jeunes, et arbitrée par 3 juges formés par FOKAL.
L’équipe affirmative* composée de Ralph, de Claudia, et de Mardoché
soutenait cette thèse de rendre le vote aux élections obligatoire en Haiti,
tandis que l’équipe négative*, formée de Lovely, de Kimy et de Kerline,
défendait la position contraire. Ce sont tous des jeunes du secondaire, cinq
d’entre eux ayant déjà participé à un tournoi de débat au niveau régional ou
national organisé par FOKAL.
L’objectif de ce match d’exhibition (et conjointement de ma mission) a
été de faire découvrir le débat aux journalistes des médias de la ville, de
faire connaitre les activités du club aux parents souvent réticents à laisser
leurs progénitures représenter le club à l’extérieur, et d’inciter d’autres
jeunes de la ville à intégrer le programme de débat. Des dépliants d’information sur le programme leur ont été
distribués.
‘Quand l’abstention est élevée,
c’est la démocratie qui perd’
L’équipe affirmative a défini le vote comme « un acte par lequel une personne participe à une prise de décision collective
en faisant un choix politique. C’est le suffrage exprimé dans une élection ».
Son caractère obligatoire établi par une loi ferait que le citoyen ne peut pas
s’y déroger. L’équipe a soutenu 2
arguments. En premier lieu, elle a stipulé que voter devrait être obligatoire
« pour garantir la participation
d’un plus grand nombre de citoyens aux élections ».
Ralph, Claudia et Mardoché de l'équipe affirmative |
Ils ont expliqué « …que dans
tout régime démocratique, l’unité fondamentale pouvant assurer la bonne marche
de la démocratie repose sur les élections. Nul ne peut parler d’élection sans
soulever la question du vote, (…) démarche indispensable pour la bonne marche
d’une société démocratique. Mais lorsque c’est une minorité qui s’adonne au
vote, on ne peut donc plus tout à fait le voir comme un acte de bonne santé
pour la démocratie, parce qu’il s’agit [dans ce cas] de faire participer le plus grand nombre, voire toute la population en
âge de voter… .
C’est quelque chose
d’inacceptable que les représentants de la population soient élus par une
minorité. Parce que ce sont eux qui vont prendre des décisions au nom de la
masse populaire, en ce sens ces représentants devraient être élus par la
majorité.
Si de nos jours, les gens
manquent d’engouement pour aller voter, c’est parce que cela est devenu une
question de « si je veux », parce qu’il manque une incitation forte
comme l’obligation de voter. Il serait risqué de laisser le vote périr entre
les griffes du principe « je vote si je veux ». Il faut empêcher cela, dirent-ils « en faisant du vote une obligation pour s’assurer que tous les efforts
déployés, les dépenses effectuées, les sacrifices consentis ne vont pas droit
au mur ».
Ils ont précisé que « Plus
de 70% des Australiens, quelque soit leur milieu social se sont déclarés en
faveur du vote obligatoire dans leur pays, pourcentage qui n’a pas varié depuis
40 ans. Or, le taux d’abstention dans les récentes élections générales en Haiti
a été de 82%. Une tragédie. Le vote est un devoir du citoyen ».
‘Voter est un droit avant d’être un devoir’
L’équipe négative s’est opposée fermement à ce raisonnement en faisant
valoir qu’obliger les gens à voter ne garantit pas la démocratie. « Voter est d’abord un droit, avant
d’être un devoir ». Le principe démocratique reconnait le vote comme
un droit qu’on a la liberté de jouir ou pas. « La volonté de voter ou de s’abstenir lors des élections est ce qui
entre dans une démocratie véritable. (…) L’abstention ne tue pas la
démocratie ; c’est une expression de la démocratie…», puisque « la démocratie octroie à tout citoyen le
droit de voter ou pas ».
Kerline, Kimmy et Lovely de l'équipe négative |
Ils supportent cet argument en citant l’exemple de pays européens où
voter aux élections est obligatoire sous peine d’amende (13 € au Liechtenstein,
de 27 à 55 € en Belgique, 137 € en cas de récidive, de 500 à 1,000 € au
Luxembourg) ou au risque d’être rayé des listes électorales, pendant 10 ans
comme en Belgique. Or, la participation dans ces pays n’a jamais atteint 100%.
Selon l’équipe négative, « rendre
le vote obligatoire pour les citoyens haïtiens plongera le pays dans la ‘démocrature’ »,
un néologisme résultant de la fusion des mots démocratie et dictature. Ils
entendent par ‘démocrature’, « une
forme de dictature camouflée sous l’apparence de la démocratie ». Le fait de penser à introduire le vote
obligatoire ne va plus garantir la jouissance des droits humains et des libertés
individuelles, précisèrent-ils.
Ils rappellent que les néerlandais en 1970 et les italiens en 1993 ont
renoncé au vote obligatoire, car pour eux, « voter sous la contrainte n’est pas une vraie solution à la
participation. C’est en quelque sorte un suffrage censitaire à l’envers.
Avec le suffrage censitaire, seuls
ceux qui avaient les moyens pouvaient voter. Avec le vote obligatoire, seuls
ceux qui ont les moyens peuvent s’abstenir de voter. Les italiens et les
néerlandais ont conclu que cette motivation civique forcée rabaisse l’expression
civique à son plus bas niveau, celui du portefeuille ».
Pour eux donc, « il est
préférable que les politiques gagnent la confiance qu’ils ont perdue auprès de
leurs concitoyens afin de les amener vers les urnes. Il ne faut surtout pas
penser à rendre le vote obligatoire ».
Le devoir de participer
contre la liberté de voter
L’équipe affirmative a réfuté leur argumentation en marquant que, pour
synthétiser leur discours, en matière d’enjeu électoral, le devoir doit primer
sur le droit, car si la majorité des électeurs ne vote pas, cela dégrade la
démocratie. « Obliger les gens à
voter ne viole pas leurs droits. Au contraire, cela protège leurs droits ».
Si pour cette équipe, la forte participation citoyenne garantie
conséquemment par le vote obligatoire, consacrerait la crédibilité du scrutin
et donnerait une vraie légitimité aux élus, l’équipe adverse y voit déjà son
effet déstabilisateur sur les résultats, avec la forte probabilité d’un vote
blanc massif qui n’est pas pris en compte dans nos élections, et doute par
avance de la sévérité et de l’efficacité de la sanction contre les
contrevenants. Autrement dit, où placer le curseur ?
Pour contrer cette idée de la négative, l’affirmative a fait observer, à
juste titre, que le taux d’abstention aux élections en Haiti ne fait
qu’augmenter, passant de plus de 50% de votants en 1990 à moins de 20% en 2015.
« Quand une minorité vote seulement,
cela empêche l’avancement de la démocratie. Ce n’est pas acceptable qu’une
minorité choisit pour une majorité ».
« Ne pas voter est un droit,
qu’on peut exercer comme on veut »,
a rétorqué l’équipe négative. « A quoi sert de forcer les citoyens à voter
si on ne peut garantir 100% de participation ?! », s’est exclamée
une débatteuse de l’équipe. « Le taux
d’abstention montre que la démocratie est en marche. Le peuple n’a pas à être
en soumission ». Mais plutôt en résistance, serait-on tenté d’ajouter
aujourd’hui.
Mobilisation pour convertir
la jeunesse jacmélienne au débat
A la fin du match, les parents et les journalistes présents,
impressionnés par la performance des 6 jeunes débatteurs, ont questionné le
coordonnateur sur la finalité même du débat : Recherche t-on la vérité ? Quelle conviction sur un sujet peut-on
attendre chez les jeunes ? Depuis quand ce programme existe-t-il à
Jacmel ? Sur quels critères choisit-on les jeunes ? L’entrée au club
est-elle gratuite ? Pourquoi FOKAL n’implante t-elle pas le débat dans les
écoles ? Qu’est-ce que ce programme peut apporter à la ville ?
Deux interviews donnés volontiers à 2 importantes médias* de la ville,
samedi 14 novembre, et une participation à une émission d’information
culturelle de la plus importante station de radio communautaire du département
du Sud-est, dimanche 15 novembre, ont permis au coordonnateur de développer les
réponses à ces questions parmi d’autres, posées par les journalistes, les
parents et les jeunes, et de faire connaitre FOKAL et son programme national de débat à la communauté
jacmélienne.
Les 2 animateurs du club de la métropole du Sud-est, Bettina Perono
Rock et Réginald Raymond-Fils, ont été à l’initiative de toutes ces actions qui
se sont déroulées à Jacmel (interviews avec des journalistes, participation à
une émission de radio, débat de démonstration, reportage d’un site jacmélien d’information
continue en ligne* très branché, réunion avec les jeunes du club). Ce nouveau
leadership entreprenant pour rehausser le niveau des débatteurs de leur club,
depuis leur entrée en fonction en avril dernier, est en train de donner des
résultats certains.
Le club de Jacmel a semé ce week-end. Il aimerait essaimer…
Jean-Gerard Anis
Coordonnateur du PIJ
16 novembre
2015
* Pour plus d’information sur le format Karl Popper,
allez à :
* L’équipe affirmative défend le sujet
* L’équipe négative s’oppose au sujet
* Radio Sound FM
* Radio Télé Express Continental
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