La politique en Haïti
est considérée comme quelque chose de mauvaise, la plupart des familles haïtiennes
ne veuillent pas se mêler à la politique. Elles laissent la politiques aux
politiciens, ce qui du coup constitue un vide d’engagement pour la majorité des
jeunes dans les affaires juridico-politiques du pays. L’amendement de la
Constitution, les accords politiques, la crise électorale, tels sont des sujets
que beaucoup trop de jeunes ignorent ou bien évitent d’émettre aussi leurs opinions.
C’est pour cette raison
que le club de débat de Christ-Roi qui se donne pour mission de développer la
capacité intellectuelle des jeunes à travers des débats contradictoires, a
organisé samedi 18 juin 2016, à FOKAL, un match de débat sur le thématique
« Amendement de la constitution » suivi d’une conférence-débat sur le
même sujet. Une demi-journée de réflexion, tant avec les débateurs qu’avec les
intervenants de la conférence.
Dans un premier temps,
vulgariser la question de débat dans le pays, dans un second temps permettre
aux jeunes de traiter des thématiques essentiellement dans le domaine du Droit
et de la politique pour contribuer à l’éveil de leurs connaissances. Les
matches de débat permettent aux jeunes débateurs et débatteuses de partir
eux-mêmes à la recherche des problèmes et de proposer des solutions appropriées.
Le
duel cote-Plage-Christ-Roi, de la revanche dans l’air
Le match a opposé le
club de débat de Christ-Roi et celui de Cote Plage. Il y avait de la revanche
dans l’air car Cote-Plage avait perdu dans un duel antérieur contre ce même
club. Les débatteurs et débatteuses des 2 équipes ont fait preuve de faire Play
et de maturité en nous offrant un bon match de débat. Le sujet était :
« L’amendement de la Constitution
1987 est une source d’instabilité politique.» .
L’équipe de Christ-Roi,
constituée de Rose Gyrlène REGIS, Christie MOREAU, Samanka LEDOUX, défendait la position
affirmative en avançant avec un seul argument « L’amendement de la Constitution de 1987 est une violation même de la Constitution »,
qui s’explique par « le non-respect de la
hiérarchie des normes, le non-respect du principe parallélisme des formes, le
non-respect de la dualité linguistique ».
L’équipe entendait par
là que l’amendement en soi n’est pas une mauvaise chose. Mais la procédure
tracée par la Constitution pour son amendement qui n’a pas été respectée
conduit à l’instabilité politique. Le non-respect de la procédure est une
violation flagrante des principes constitutionnels. Donc selon elle,
l’amendement entamé sous la présidence de René Garcia PRÉVAL est une source
d’instabilité politique et les conséquences sont jusqu'à maintenant flagrantes.
De son coté, l’équipe de
Cote-Plage, formée de Joseph Kempez LAFOND, Wood Kervens DOMERÇANT, Salaëta
Yvenaïdie MONVAL, soutenait la position opposée. Elle s’est défendue avec un
seul argument qui disait : « L’amendement
de la Constitution de 1987 n’est pas une source d’instabilité politique parce
qu’elle garantit la stabilité ». En fait, l’équipe négative a voulu faire
comprendre que l’objectif de l’amendement est de rendre meilleure la
Constitution, et qu’ainsi un amendement ne saurait créer un état d’instabilité
politique.
L’équipe de Cote-Plage
poursuit en disant que l’instabilité qui règne en Haïti n’est pas le fruit de
l’amendement de la Constitution de 1987, mais plutôt à une crise économique,
une crise sociale, une crise électorale. La crise politique est plutôt est le
résultat à une absence de volonté de compromis entre les acteurs politiques, de vivre en ensemble, du manquement du sens
patriotique. Au contraire l’amendement a résolu pas mal de problèmes, notamment
la question de la nationalité des personnes nés à l’étranger de parents
haïtiens.
Le juge officiel du
match Dieufaite COLAS a rendu son verdict en faveur de l’équipe affirmative en
s’appuyant sur les discours de la 3e oratrice. L’équipe de
Cote-plage doit encore reporter sa soif de revanche.
Le public, estimé à une
centaine de jeunes, a fait le déplacement en grand nombre pour venir supporter
cette activité. Les débatteurs et les débatteuses des différents clubs de l’Ouest
ont répondu présent à côté du club de Christ-Roi, tels que : le club de
BMC, de Cote-Plage de Fond-Parisien.
Quid
de l’amendement de la Constitution ?
Le sujet de la
conférence-débat était : « La
problématique de l’amendement de la Constitution comme une source d’instabilité
socio-politique ? ». Tel est le questionnement auquel chacun des 3
intervenants du panel aurait à répondre sur un aspect bien précis.
Le premier orateur a été
Monferrier DORVAL, docteur en Droit Public et professeur de droit constitutionnel a la Faculté de Droit
et des Sciences Economique de l’Université d’Etat d’Haïti. Il a traité de la « difficulté et nécessité de l’amendement de la
Constitution ». Dans un second temps la constitutionnaliste, femme
politique et professeure de droit constitutionnel à l’université Quisqueya,
Mirlande H. MANIGAT, a apporté un éclairage sur : « Les causes et les conséquences de
l’irrespect des conditions d’amendement ». Et en dernier lieu,
l’honorable professeur de grammaire française, Jean-Marie PIERRE, président du
syndicat enseignant CNEH qui a mis l’accent sur : « La grammaire de la Constitution citoyenne
face à cette situation d’instabilité ». Le modérateur de cette
conférence était l’animateur du club de débat de BMC, Ricardo NICOLAS.
Monferrier DORVAL a divisé
son intervention en deux parties. D’abord, il a fait un survol historique des Constitutions
d’Haïti., depuis la Constitution impériale de 1805 à la Constitution de 1963
amendée en 1983. Il a ensuite mit l’accent sur les conditions dans laquelle la
Constitution de 1987 a pris naissance, il a aussi souligné le débat qu’il y a
sur la date du 10 Mars et du 29 Mars. Il considère le Droit constitutionnel
comme le droit de l’Etat puisqu’il organise les pouvoir et définit le régime
politique à adopter. La Constitution de 1987 a renforcé les libertés
fondamentales mais a limité de façon exagérée les pouvoirs du président. Pour
lui, le contexte qui a amené à l’élaboration de cette Constitution, a été d’éviter
avant tout retour de la dictature.
Mais très vite, des
personnalités politiques ont soulevé des lacunes que contient cette Constitution.
Dans la deuxième partie, il a démontré les difficultés d’un amendement avec les
erreurs matérielles de l’amendement de l’ex-président Président René Préval, et
aujourd’hui le risque de deux amendements en vigueur, avec les tentatives du
président Joseph Michel MARTELLY d’abroger l’amendement falsifié et de rétablir
un autre. Donc les amendements sont des amendements de faite et non des
amendements de droit, puisqu’il y a eu vice de procédure. C’est anormal de
diriger le pays avec un accord car juridiquement il n’est pas qualifiable.
Trois
plaidoyers pour une nouvelle Constitution
Il a terminé son
intervention en proposant une autre Constitution. Il croit qu’on doit revoir
l’amendent de la Constitution et aussi toucher le véritable problème de la
Constitution qui est le régime politique. Il milite pour un véritable régime
présidentialiste assumé, juridiquement encadré, avec un exécutif monocéphale.
Donc, on doit donner au président son pouvoir et mettre des balises pour l’empêcher
au président de dériver vers la dictature.
Madame Mirlande Hyppolite MANIGAT a d’abord mis l’accent sur
ce qu’est un amendement, ensuite les modalités et les raisons pour lesquelles
on procède à l’amendement. Puis elle a répondu à la question du jour : En
quoi l’amendement est une source d’instabilité sociopolitique?
L’amendement, selon elle
ce sont des modifications qu’on apporte a une Constitution qui existe dont on
n’est pas satisfait. Et cet amendement peut être fait selon trois formes :
d’abord la suppression de certains articles, ensuite la modification de forme
ou de substance d’articles existants et qui sont opérationnels, enfin l’ajout
d’autres articles.
Toujours d’après elle,
il y a 102 articles qui sont touchés par l’amendement de la Constitution de
1987, dont 29 articles supprimés, 54 articles modifiés et 29 articles ajoutés (13
concernent le conseil constitutionnel). C’est amendement a eu lieu parce qu’il
y a eu insatisfaction et des
revendications. Dans l’histoire constitutionnelle haïtienne, il y a eu 22
constitutions pour 8 amendements seulement.
Que
disent les Constitutions concernant l’amendement ?
Comme premier principe
il y a le moment constitutionnel. La Constitution
de 1987 ne reconnait cette possibilité que dans la dernière session du pouvoir
législatif. Comme deuxième principe, qui
peut introduire un projet d’amendement ? L’exécutif le peut, le Sénat
et la Chambre des députés aussi. L’exécutif a introduit l’amendement en 2009,
mais il n’a pas publié la justification de l’amendement. Par contre, il a
publié un document en 3 colonnes : dans la première, il propose de modifier
tels articles ; ensuite la justification et enfin la proposition, qui n’est pas connue de
tous malheureusement.
Elle poursuit que l’on
doit tenir compte des majorités en Assemblée nationale (2/3 dans chacune des
deux chambres) et du moment que l’amendement peut être mis en œuvre. Elle doit être mise en vigueur par le successeur
du Président qui promulguer l’amendement. Mme Manigat a conclut en disant que
la procédure est trop longue et compliquée, et que donc on doit élaborer une
nouvelle Constitution. La Constitution est un texte de loi, un instrument, mais
elle n’est pas une fin en soi. D’ailleurs, la crise politique actuelle n’est pas
prévue par la Constitution.
La
grammaire de la Constitution : des révélations troublantes
De son coté, le
professeur Jean-Marie PIERRE a montré dès le début du texte constitutionnel
l’incohérence qu’il y a entre le préambule et l’incongruité des titres. Car la
Constitution dit dans son préambule 7 : «Pour instaurer un gouvernemental basé sur les libertés fondamentales,
le respect des droits humains, la paix sociale, l'équité économique, la
concertation et la participation de toute la population aux grandes décisions
engageant la vie nationale, par une décentralisation effective. » un
Etat solidaire misant sur la participation de toute la population.
Neuf des 16 titres que
contient la Constitution sont retenus par le professeur pour analyse. Le nombre
d’articles dans le titre De la
souveraineté nationale sont 133 et tandis que dans le titre Des droits et des devoirs fondamentaux
il n’y a que 37 articles, parmi les autres titres, De la famille qui n’a que 4 articles. Toujours selon lui, la
famille devrait avoir plus d’articles, car elle constitue le socle même de la
société. Cest 4 articles mettent à nu une Constitution qui ne saurait être un
guide pour la population. C’est ce qui explique d’ailleurs le manque de
protection sociale. Et le pire, le législateur ne profite pas pour légiférer
sur cette question.
Il a mis l’accent aussi
sur certaines notions qui ne sont pas trop claires et les figures de style dans
la Constitution. Par exemple, le mot éducation
renvoie à l’enseignement, on parlera
d’enseignement agricole de l’agriculture, professionnel et technique et de formation
préscolaire l’environnement. On définit plutôt par la négation : on
préfère dire les « écoles non
publiques » au lieu « d’écoles
privées », le « chômage »
au lieu de « congé », l’expression
« fêtes nationales » est préférée
à « commémorations nationales ».
Il aussi relevé des
antithèses, où l’on parle par exemple d’échec d’une motion de censure à la
place d’un vote de confiance ; une métonymie (dire la partie pour le tout)
où l’on considère le Conseil électoral pour institution, machine électorale. En
somme, il croit lui aussi qu’on doit avoir une autre Constitution. C’est pour
cela qu’il a affirmé haut et fort que les Constitutions ne sont que du papier.
Ce
que les jeunes ont retenu
Les jeunes ont manifesté
leur intérêt pour ce genre d’activité, bien qu’ils soient en période d’examen.
Toutes les jeunes présents ont été très satisfaits :, l’atmosphère de
convivialité, le fair play entre les débatteurs et l’attention soutenue dont
les jeunes ont fait montre, le prouvent bien. Les deux sujets ont été très bien
maitrises par tout le monde. L’initiative du coach Alfred DÉSIR et Moi n’est
pas vain. Donc le message est passé.
Verbatim.
Christelle JOLICOEUR,
débatteuse du club de Christ-Roi : « Le samedi 18 juin 2016, j’ai eu la chance d’assister à la Fokal à un
match de débat très intéressant suivi d’une conférence sur un sujet en vogue
« l’amendement de la constitution de 1987 ». Nous avons encore
gagné le match contre cote-Page. Les
conférenciers ont fait un excellent travail en montrant le pourquoi et le
comment de l’amendement. J’ai pu cerner les erreurs et les violations qui y
surgissent. A présent, je vois clairement la situation critique que confronte
Haïti, car amender la Constitution de la loi -mère par une simple loi est
absurde. Je marche dans la logique des conférenciers, je suis pour une nouvelle
Constitution qui sortira Haïti de ce trou sans fond »
Samuel JOZIL, un autre
débateur de ce club: « C’est une activité
enrichissante dans la mesure où elle ouvre notre horizon de réflexion sur la
Constitution. Cette ouverture me permet personnellement de cerner la question
de l’amendement de la Constitution. Elle n’est pas l’affaire d’un groupe qui
pense pouvoir changer les articles sans tenir compte de la réalité sociale. Ce
discours se justifie par rapport à la négligence
et l’ignorance des législateurs dans la façon dont ils font l’amendement, par
exemple le publier dans une seule version sans tenir compte des autres catégories
sociales. Une incohérence que madame Mirlande MANIGAT a soulevé, dans la mesure
où l’on considère la majorité des haïtiens parlent et comprennent le créole.
Dans ce même ordre de pensée, le travail du professeur Jean-Marie m’a beaucoup
plu, parce qu’il a présenté une nouvelle lecture de la Constitution, il la
démocratise, il nous l’a présenté en détail, point par point, afin que tout le
monde cerne les grandes lignes. On devrait réaliser ce genre d’activités plus
souvent, afin que les jeunes puissent soulever les problèmes que pose la Constitution. »
Clarisse ALTIDOR,
débatteuse du club de Christ-Roi : « Concernant
la conférence, j’ai beaucoup apprécié. Grace au match, j’étais déjà bien imbue
de quelques notions sur la Constitution de 1987 amendée. Avec la conférence,
j’ai acquis de nouvelles connaissances, surtout les dates, les processus
d’amendement. C’est bien malheureux qu’elle n’a pas été télévisée parce que
c’était une conférence qui méritait l’attention de tous les haïtiens de façons pour
mieux s’informer sur ce que permet et défend la Constitution de notre pays ».
Pour finir, je dirai
qu’avec le support assuré de notre coordonnateur Jean-Gérard ANIS, mon collègue
Alfred Désir et moi-même avons réussi à réaliser une autre activité de notre
liste de projets. Nous avons montré aux jeunes le pourquoi et comment ils
doivent s’intéresser aux affaires du pays.
Un remerciement spécial
au professeur Marc EXAVIER, qui anime l’émission « Lecture et compagnie» à la radio-télé
ESPACE FM (94.1), qui nous a envoyé un reporter. Grace à lui beaucoup de gens
sauront qu’il y a un programme de débat qui contribue au développement
intellectuel et à la prise de conscience des jeunes du pays.
Joël LAZARD
Animateur
du club de débat de Christ-Roi
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