lundi 27 janvier 2020

"Débattre est notre vrai combat où nos armes sont nos mots"

Par Pouchenie BLANC 

Etudiante en médecine
Ancienne débatteuse du club de débat du Cap-Haïtien
Juge et coach de débat au club de Bourdon
Programme Initiative Jeunes - FOKAL

La jeunesse est plus qu’une étape dans la vie, elle est une conception. Et d’aucuns sachent qu’elle traîne tout un package qui est plus que nécessaire dans la vie d’un individu que ce soit personnellement ou socialement. Assez souvent, les institutions sociales primaires (famille, école, église) manquent une partie de leur mission par omission ou manque de savoir-faire. Ce manque peut être fatal s’il n’est pas comblé adéquatement. Ainsi, il peut être réparé par le travail sur sa personnalité, la recherche de ses talents, la pratique de certaines activités comme le débat. Ce dernier s’avère être un atout considérable pour l’épanouissement du jeune par l’éducation et le développement des aptitudes personnelles. On arrive même à dire que le débat change la vie parce qu’elle est impliquée ou du moins elle doit l’être dans toute les sphères de la vie quotidienne car vivre c’est débattre.

Assez souvent, nous voyons le débat comme un simple match à gagner ou un tournoi à remporter. Il est vrai que c’est gratifiant de voir ses efforts récompensés mais au-delà d’un trophée ou d’une distinction, l’éducation à une valeur primordiale au débat. Ce n’est pas sans raison que les sujets choisis nécessitent des recherches plus ou moins approfondies sur des phénomènes socio-politiques ou culturels universels. À travers ces recherches, nous élargissons nos connaissances sur certains problèmes d’ordre mondial et le débat nous permet d’autre part d’aiguiser notre sens critique, notre esprit de discernement pour appuyer ou rejeter une thèse, une proposition. Même après le match, les acquis nous restent et nous serviront tôt ou tard.

En outre, le débat nous permet de développer notre patriotisme, notre citoyenneté notre sens des responsabilités et notre esprit critique. L'éloquence, la fougue, la cohérence, la méthode et le respect sont au rendez-vous. Ces aptitudes sont souvent développées par le débat car celui-ci nous permet de laisser tomber notre timidité pour nous ouvrir et nous épanouir à tous les points de vue. Aussi, dans notre société, l’éducation par le débat s’avère être une priorité. En Haïti, nous manquons de modèles dans les administrations publiques. Le parlement qui devrait être un siège de débat est une arène où les représentants mettent à nu leur bassesse sous ce qu’ils appellent “politique” Il leur est quasiment impossible de discuter dans le respect et l’harmonie comme nous le montre le débat. L’éducation par le débat permettra aux enfants dès leur plus jeune âge de savoir argumenter sans arrogance et de développer des qualités morales et intellectuelles utiles. En grandissant, ils garderont ces valeurs et deviendront des citoyens responsables, dotés d’esprit critique capables de comprendre et de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés ainsi que la communauté dans laquelle ils évoluent.

De nos jours, notre pays, et il n’est pas le seul, est confronté à diverses crises socio politiques mais la corruption est plus criante et selon plus d’un, elle est à la base de tous les maux rongeant notre société. La gabegie ruine notre système administratif et le peuple en sort comme véritable perdant. Par ailleurs, ni le pouvoir en place, ni l’opposition n’arrivent à trouver une alternative avantageuse pour tous qui permettra à la masse populaire de connaître de jours meilleurs. Leur amour du pouvoir, leur orgueil mais surtout leur inaptitude à débattre sur les grands problèmes du pays nous plonge dans un chaos et une instabilité sans précédent.

Nous revenons donc à l’importance de l’éducation par le débat dans notre société. Si tout petits, nos dirigeants avaient été éduqués par le débat, s’ils avaient appris à étaler leur point de vue dans la fraternité nous aurions une meilleure image et nous ne serions pas à notre étiage. Ceci n’est pas seulement valable dans nos grandes institutions, même dans notre vie de tous les jours, à l’école, dans la famille, au travail, nous communiquons et nous ne partageons pas toujours l’avis de l’autre mais est ce que nous argumentons correctement sans arrogance pour faire comprendre notre point de vue ? Beaucoup de disputes seraient épargnées et beaucoup de problèmes seraient résolus. Il importe d’en tenir compte et d’y penser et à ce titre, le plus tôt sera le mieux.

Certains jeunes de mon pays qui pensent que nos problèmes seront résolus par la désobéissance civile et/ ou la violence parce qu’ils estiment que c’est par cette voie qu’ils peuvent faire entendre leurs voix et se venger de leurs droits bafoués par le régime en place. Mes expériences personnelles m’ont montré que le dialogue, à travers le débat qui est le vrai combat où nos armes sont les mots, est la meilleure façon de trouver un compromis favorable pour tous. Si selon eux l’arme de la dialectique n’est pas assez puissante, la dialectique de l’arme n’est que plus arbitraire et viole les droits qu’ils estiment eux même qui leurs sont bafoués.

Détruire les vies et les biens est une violation des droits humains et ne fait que retarder l’état. Les infrastructures et les édifices publics sont créés par leurs impôts et taxes, ce qui prouve qu’ils se détruisent eux même. Les entreprises privées, lorsqu’elles sont détruites ne fait que salir notre image aux yeux des étrangers et ralentir les investisseurs. Dans tous les cas, la violence aggrave notre situation et instaure une instabilité permanente. Ce n’est que par le débat, par l’éducation que l’on peut sauver notre société et ce, dans le respect des valeurs humaines et morales que nous enseigne le débat.

Le débat a fait de moi une bonne oratrice rationnelle, une citoyenne engagée et responsable, je crois donc que comme le débat a changé ma vie et celle de nombreux débatteurs, il peut aussi transformer des sociétés particulièrement la mienne que l’intransigeance, l’intolérance détruit. J’espère vivement et j’y travaille comme je peux pour que l’éducation par le débat atteigne les jeunes et adultes de mon pays et devienne transversale dans toutes les institutions.

“Je me rappelle qu’avant d’entrer dans le programme de débat, j’étais fermée, taciturne, glossophobe et peu sure de moi. J’ignorais une partie de moi et c’est comme si elle attendait d’être éveillée. Surtout dans une société où l'on attend à ce que les femmes gardent le silence, j'ai obtempéré même quand ça ne se raccordait pas avec mes points de vue. De plus, j'étais une élève d'une école congréganiste stricte sur la discipline et peu disposée à discuter. Cependant, je ne peux pas rejeter toute la faute sur la société et mon école car mon entrée dans un club de débat a radicalement changé mon comportement face aux divers problèmes auxquels je me confrontais dès lors.

Avec mon club de débat, j’ai appris à me connaitre, à connaitre les autres et à les accepter avec leurs points de vue. J’ai surtout appris à analyser, réfléchir et faire passer mon opinion tout en la défendant avec conviction, J’ai aussi appris à improviser par mes prises de paroles en public et par-dessus tout J’ai appris beaucoup de choses lors de mes recherches pour préparer les matchs. Débattre est passionnant et excitant mais aussi instructif et important. Aujourd’hui je m’exprime clairement et je suis une jeune leader dans ma communauté et tout ceci c’est grâce au débat. J’ai déjà remporté certains prix dont le plus grand est la découverte de cette partie de moi qui aujourd’hui me définit ainsi que mes prises de positions. Je compte continuer à débattre car je suis persuadée que la vie est un débat.”

Ce sont les idées, bien avant les actions qui peuvent changer le monde. Autant débattre pour les trouver. Edgard Morin l'a si bien dit : "Cette nouvelle humanité qui est en train de naître doit être une humanité de débat. Cela est très fatigant mais très passionnant, c'est la source de la vie."




1 commentaire:

Unknown a dit…

C'est très bien, le débat c'est la vie. Au débat, on apprend à toujours garder une position.

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