Le dimanche 29 mars 2015 s’est tenu à 4 h p.m. au Collège
CUC de Camp-Perrin, un match d’exhibition dont les protagonistes sont des
jeunes du club de débat de Camp-Perrin. Ce match se voulait un exercice pratique visant à
corriger, sur demande des animateurs du club Sony Daudier et Alex Sylné, les
erreurs commises habituellement par leurs débatteurs. Sa finalité est tout
simplement éducative et il prolongeait la formation aux techniques de débat entreprise
depuis plusieurs semaines avec les nouveaux membres du club.
Ainsi, le travail du jury, formé d’Eunice Désanné, Max
Grégory Saint-Fleur et Yvrose Guerrier (accompagnant Jean-Gérard Anis, le
coordonnateur des Programmes Initiative Jeunes, dans sa visite au club) a
consisté à évaluer le respect du format Karl Popper, la qualité des arguments,
le travail de la réfutation et de la reconstruction et le travail de synthèse
des deux derniers orateurs. Les jurés n’étaient pas tenus de donner un verdict
pour ce match de démonstration.
Vingt-neuf (29) jeunes ont pris part à cette rencontre,
sous un temps pluvieux, au collège CUC de Camp-Perrin, local de réunion
officielle du club. Deux équipes improvisées la veille du match se sont
opposées autour de la résolution suivante « on devrait interdire le port de
l’uniforme à l’école ».
L’uniforme à
l’école contre la liberté d’expression de l’élève
L’équipe affirmative, soutenant la résolution, après
avoir défini les mots-clés de l’énoncé (uniforme, interdire, port et école), a
formulé 3 arguments :
Selon eux, le port
de l’uniforme ne contribue nullement à notre avancement intellectuel. L’uniforme
n’aide pas à comprendre les matières ; c’est une imposition, qui met mal à
l’aise, cat toute chose imposée a un impact négatif. En témoigne le taux de
réussite des élèves d’un établissement canadien qui passe de 33 % (avant le
port de l’uniforme) à 65% (après le port de l’uniforme) , d’après un magazine
canadien.
L’équipe négative a rejeté avec force cet argument en
expliquant que « l’attention
soutenue portée sur les vêtements dérange en perturbant la concentration des
élèves » (exemple des journées de couleur). Plus loin, elle a ajouté
que la monotonie et l’universalité de
l’uniforme maintiennent une ambiance d’apprentissage.
L’équipe affirmative a avancé comme deuxième argument que
« Interdire le port de l’uniforme à
l’école contribuera à la sécurité de l’élève lors des manifestations de rue ».
Les manifestations politiques sont fréquentes. Et quand les écoles fonctionnent
en ces moments-là, les élèves issus des écoles privées sont particulièrement ciblés.
Ils citent une intervention médiatique de l’ancien chef de la police nationale,
Mario Andrésol, l’ex-directeur général de la Police haïtienne. L’élève en
uniforme est plus exposé car il est facilement repérable. Il subit des
représailles des manifestants quand il ne respecte pas les ordres des
manifestants.
L’équipe négative a rétorqué que les manifestations sont
annoncées à l’avance, et le jour des manifestations est déclaré « jour de
congé » pour les élèves. De plus, l’uniforme permet de s’identifier
automatiquement en tant qu’élève (contrairement au badge), et l’élève est
toujours protégé. Il faut bien admettre que les manifestants sont des gens
civilisés, tout de même.
Leur troisième argument soutient l’idée que « éliminer le port de l’uniforme à l’école permet aux élèves de développer leur
personnalité. L’uniforme n’encourage pas l’élève pas à s’affirmer. Il
devrait être libre de porter ce qu’il veut pour forger son propre style, sa
personnalité. Car, pour faire écho aux propos de Bernard Debray, « le vêtement donne à l’individu la conscience de soi-même ». L’élève
est plus disposé à apprendre s’il est libre de ses choix vestimentaires ou
autres.
L’équipe négative balaya ce raisonnement d’une
phrase-couperet: « On ne vient pas
à l’école pour montrer son style mais pour aller de l’avant ». Le
style fantaisiste nuit à l’apprentissage. L’uniforme ne distrait plus l’élève
de l’essentiel, à savoir l’apprentissage.
Le port de
l’uniforme pour l’égalité sociale
Par contre, l’équipe négative a invalidé la résolution « on devrait interdire le port de l’uniforme à
l’école » en lui opposant 2 arguments :
Le premier argument maintient qu’ « on ne devrait pas interdire le port de
l’uniforme à l’école parce que c’est une meilleure réussite scolaire sans le
port des habits fantaisistes. L’élève s’intéressera plus à ses études
qu’aux façons d’habiller de ses camarades. Les vêtements peuvent susciter des
moqueries, voire même intimider. Sans les habits fantaisistes, les élèves
apprennent mieux, selon un directeur d’école au Canada.
L’affirmative s’est inscrite en faux contre cet argument
en faisant valoir que « de toutes
façons, tout est sujet à moquerie chez les élèves ». Les moqueries est
une marque de faiblesse de l’élève moqueur envers son camarade moqué. On vient
à l’école pour apprendre, pas pour se moquer des autres. On se moque des
baskets et des souliers d’un élève avec l’uniforme, mais cela ne l’empêche pas
de travailler.
Le second argument de la négative fait valoir qu’ « on ne devrait pas interdire le port de
l’uniforme à l’école à cause de nos moyens économiques ». Cela coute cher
d’acheter des vêtements, de faire du shopping. Il faut une diversité de
vêtements pour aller chaque jour à l’école, et les exigences vestimentaires
faites aux parents par les élèves ne manqueront pas de peser sérieusement sur
le budget scolaire de la famille, à l’instar de la demande de report de
l’ouverture des classes en septembre 2014, par les parents à cause de problèmes
d’argent.
L’équipe affirmative a réfuté cette logique en affirmant
que « l’élève peut mettre
n’importe quel vêtement de tous les jours pour aller à l’école ». Les
baskets ou les tenues habituelles de sortie peuvent servir de tenues pour
l’école. Finalement, c’est l’éducation, l’intelligence qui compte ; pas la
mode ni les habits fantaisistes.
Recommandations du
jury
Les 3 juges ont déploré les cris, les
gesticulations et l’excès de fougue de 2 débatteuses dans le but d’intimider
l’adversaire, mais ont apprécié le calme, le sang-froid des autres, et le
niveau d’engagement général dans un
match pourtant sans enjeu.
Ils recommandent
de manière générale à tous les débatteurs du club de Camp-Perrin d’améliorer le
travail de réfutation et de reconstruction des arguments (reconstruire, c’est
surtout répondre à la réfutation de votre argument), d’éviter de crier, de
gesticuler et de se toucher au débat (cela est passible de sanction
individuelle), et d’utiliser les réponses recueillies lors du
contre-interrogatoire pour préparer la réfutation.
Ils conseillent d’effectuer une mise en contexte et préciser l’enjeu du
débat à la présentation des cas. L’enjeu
s’inspire très souvent du contexte.
Mise au point du coordonnateur
du Programme Initiative Jeunes
1. Le débat est confrontation d’idées,
d’arguments, pas une guerre. Donc nul besoin
de crier, de gesticuler et de faire pression sur l’adversaire. Il faut
faire montre de fair-play et garder son calme particulièrement lors du
contre-interrogatoire (Lire les pages 86 à 88 du guide pédagogique de débats
de FOKAL).
2. Le débat est démonstration argumentative, pas
affirmation d’opinions. Toute idée doit être expliquée à partir de
raisonnements, et prouvée avec des exemples, des statistiques ou des études
d’experts. (Lire les pages 90-91 et 96 à 100 du Guide pour débattre dans le
style scolaire de IDEA)
3. Il est important, voire nécessaire d’effectuer une
mise en contexte et préciser l’enjeu du débat
à la présentation des cas.
4. Les arguments méritent d’être améliorés en les formulant
plus simplement et plus clairement. Les déclarations doivent être simples,
exprimer une seule idée, déclaratives et formulées avec assurance. (Lire les pages 58 à 60 du manuel Comment
gagner un débat ? ou bien les pages 87-88 du Guide pour débattre
dans le style scolaire de IDEA). Par exemple :
Dire l’uniforme ne rend nullement
intelligent au lieu de l’uniforme ne contribue nullement à notre avancement
intellectuel.
Dire l’uniforme ne
protège pas l’élève au lieu de Interdire le port de l’uniforme à
l’école contribuera à la sécurité de l’élève lors des manifestations de rue.
Dire l’uniforme
améliore la réussite scolaire de l’élève au lieu d’interdire le port de l’uniforme à l’école
parce que c’est une meilleure réussite scolaire sans le port des habits
fantaisistes.
Dire l’uniforme permet aux parents d’économiser dans les
dépenses scolaires au lieu de on ne devrait pas interdire le port de
l’uniforme à l’école à cause de nos moyens économiques.
5. Il faut rechercher des sources précises, crédibles, à
caractère scientifique dans la préparation d’un sujet. Un site internet, les
opinions d’un directeur d’école, un journal quelconque ne sont pas supports
fiables. Il faut s’attacher à connaitre le degré d’autorité et de crédibilité
du nom de l’auteur d’un article, d’un périodique, d’une citation. (Lire les
pages 46-47 et 61-62 du guide pédagogique de débats de FOKAL)
6. Il est nécessaire pour les 3e orateurs des
équipes de mieux comprendre le travail de synthèse à faire. Quand
on parle de rechercher l’enjeu du débat, on veut dire que l’enjeu représente un
domaine précis sur le champ de la réflexion, créé par l’énoncé, par exemple une
valeur (le respect de la vie, la liberté individuelle), un principe (l’égalité
sociale, les droits politiques ou économiques), un objectif général (la démocratie,
amélioration des conditions de vie de la population).
Les points de
controverse précis à l’intérieur d’un sujet représentent les enjeux que soulève
le débat. Les enjeux sont définis par les arguments que les débatteurs avancent
pour étayer leurs positions. Par
exemple, si un débatteur déclare qu’une proposition a un impact économique,
alors la position défendue a un enjeu économique. Si un autre soutient qu’une
proposition nuit aux droits individuels des citoyens, alors il y a un enjeu
portant sur les droits. (Lire les pages 45
à 53 du manuel Comment gagner un débat ? de IDEA).
Dans le cas du débat sur le port de l’uniforme à l’école,
un enjeu du cas affirmatif est le respect de la liberté d’expression, et celui
du cas négatif est la recherche de l’égalité entre les citoyens.
Yvrose
Guerrier
Juge de débat
Avril 2015
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