Le club de débat de Jérémie a organisé, samedi 5
mars 2016 au Lycée des jeunes filles de la ville, une enrichissante conférence présentée
par Gladice Saint-Jean LUNDY sur les droits de la femme, à l’occasion de la
Journée Mondiale de la Femme. Madame Gladice est professeur de littérature
depuis quinze ans. Avocate de formation, elle milite au Barreau des Avocats de Jérémie
depuis cinq ans environ, et est directrice du Bureau du Ministère à la
Condition Féminine de la ville depuis 1995.
Cette conférence visait un double objectif :
1- d'apprendre
aux jeunes les droits des femmes d’aujourd’hui
2-
de traiter
le thème de l'année dans les activités de débat proposé par le Programme Initiative Jeunes : « Quand la démocratie est en
danger ».
Quarante-six jeunes ont assisté à la rencontre. La
conférencière a présenté son exposé sur la lutte des femmes pour leur
émancipation sous 2 plans : le plan national et le plan international.
Sur le plan
national
Dès l’introduction de son intervention, Gladice
déplore qu’on cite toujours les héros de l’histoire d’Haiti, mais qu’on oublie trop
souvent les femmes qui ont contribué à notre Histoire. Même la reine Anacaona
qui, bien avant l’Indépendance, s’était fait remarquer dans l’histoire
nationale. On a simplement mis deux héroïnes sur le billet de 10 gourdes. Ensuite
Passons aux différentes dates qui ont marqué la lutte des femmes en Haïti.
En 1910, des professionnelles de la santé ont fondé
l’Association des Infirmières Licenciées, qui a eu une reconnaissance légale en
1929. Ce n’était pas forcément pour défendre les droits des femmes, mais pour
défendre les avantages sociaux.
La lutte des femmes va réellement commencer en 1934. Ainsi Alix Garoute, Jacqueline
Silvéra (une Jérémienne) et Madeleine Sylvain ont créé la Ligue Féminine
d’Action Sociale dont l’objectif était de revendiquer les droits civils et
politiques des femmes. En 1944, on a
reconnu aux femmes, considérées auparavant comme des mineures, le droit d’avoir
un salaire.
Avant 1946, les femmes ne pouvaient ni voter ni être
votées, mais en 1946, elles ont élues en Haiti pour la première fois comme
mairesses. En 1948, la lutte des femmes s’est concentrée sur la reconnaissance légale
des droits de la femme.
En 1957, malgré la rupture brutale de la lutte de la
femme pour des droits sous le régime dictatorial de Duvalier père, les femmes
ont eu quand même le droit de voter et de se faire voter. Plus tard, on va
avoir les premières femmes-sénateurs: Bouchereau et Madeleine Sylvain.
En 1975, on a reconnu aux femmes le droit de
participer aux assises criminelles. Le 3 avril 1986, on va assister à une 2e
indépendance des femmes en matière de droits: le droit à la présidence. Ainsi,
entre 6 et 10 000 femmes ont pris les rues de Port-au-Prince pour revendiquer
leurs droits. C’est ce jour-là qui a inauguré la Journée nationale du mouvement
des femmes.
En 1982, Michèle Benett Duvalier, l’épouse du
dictateur Baby Doc, avait fait signer un décret pour reconnaître l’émancipation
des femmes mariées. En 1988, sous le gouvernement de Lesly François Manigat, on
a eu la première Secrétairerie d’Etat à la Condition féminine, organe gouvernemental
qui doit veiller au respect des droits des femmes.
L’adultère de la femme mariée était gravement sanctionné
(2 ans de prison) alors que celui de l’époux l’était moindre. Il était
seulement condamné à payer 200 à 300 gourdes. Le viol était puni d’une
réclusion de 3 à 9 ans. Et, en vertu du pouvoir discrétionnaire du juge, il pouvait
décider de donner au violeur 3, 4, 5…ans de prison. Mais, avec le décret du
président Boniface Alexandre (2004-2006), les femmes vont être soulagées :
Le viol est élevé désormais au rang de crime et l’agression sexuelle punie
sévèrement, selon les conditions suivantes:
a)
Si
un homme majeur viole une femme majeure, il est puni de 10 ans de prison.
b)
Si
une personne majeure viole une personne de moins de 15 ans, elle est alors punie
de 15 ans de prison.
c)
Si
la personne a une influence, une autorité sur la victime, elle est condamnée à
perpétuité.
d)
Si
un homme majeur viole une femme majeure jusqu’à ce que mort s’ensuive, il sera
condamné à perpétuité.
Sur le plan
international
Au début du XXème siècle, des femmes
de tous les pays du monde se sont unies pour défendre leurs droits.
La légende veut que l’origine du 8 mars, date
de la Journée mondiale pour les droits des femmes, remonte à une manifestation d’ouvrières
américaines du textile en 1857, événement qui n’a jamais eu lieu en
réalité! En revanche, l’origine de cette journée s’ancre dans les luttes
ouvrières et les nombreuses manifestations de femmes réclamant le droit de
vote, de meilleures conditions de travail, le droit de vote et l’égalité entre
les hommes et les femmes, qui agitèrent l’Europe au début du XXème siècle.
La création d’une Journée internationale des
femmes est proposée pour la première fois en 1910,
lors de la conférence internationale des femmes socialistes, par Clara Zetkin, enseignante, journaliste et femme politique marxiste allemande, figure
historique du féminisme, plus précisément du féminisme socialiste. Cette journée s’inscrivait
alors dans une perspective révolutionnaire.
La
date n’est pas tout d’abord fixée, et ce n’est qu’à partir de 1917, avec la
grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg, que la tradition du 8 mars se
met en place. Le 8 mars 1921, Lénine décrète cette
journée, la journée des femmes. Après
1945, la Journée internationale des femmes devient une tradition dans le monde
entier. Elle est officialisée par les Nations Unies en 1977.
Jusqu’à nos
jours...
La date est réinvestie avec le regain féministe des
années 70 et la Journée internationale des femmes est reconnue
officiellement par les Nations Unies en 1977,
puis en France en 1982.
C’est une journée de manifestations à travers le monde, et l’occasion de faire
un bilan des avancées de la lutte des femmes pour les revendications et la
jouissance pleine de leurs droits. Traditionnellement les groupes et
associations de militantes préparent des manifestations, pour fêter les
victoires et les acquis, faire entendre leurs revendications, afin d’améliorer
la situation des femmes.
« La
Journée des femmes reste aujourd’hui d’une brûlante actualité. Car tant que
l’égalité entre les hommes et les femmes ne sera pas atteinte, nous aurons
besoin de la célébrer », a martelé la conférencière.
En somme, pour arriver à ce qu’on est aujourd’hui en
ce qui concerne l’équité de genre, on a eu un long parcours. Mais, notre but
sera atteint quand nous, les femmes, aurons été considérées égales aux hommes
dans la pratique des choses.
Autres faits
marquants des journées du 8 mars dans le monde
Réactions
des participants
« N’y a
t-il pas eu de figures masculines qui ont marqué l’émancipation des femmes ? »,
a demandé le jeune Milord Peterson.
Il y a bien sûr des hommes qui nous sont venus en
appui. Mais, ils ne s’étaient pas impliqués dans la lutte comme l’ont été les
femmes.
Wogensky a ajouté : « Suite aux élections qu’on vient
d’avoir, on a 96 députés et 24 sénateurs. Il n’y a même pas une femme parmi
eux. Peut-on dans ce cas parler de d’équité de genre ? »
Comme je l’ai dit pour conclure, c’est à ça qu’on
veut justement arriver. Avant 1944, les femmes haïtiennes étaient considérées
comme mineures, et avant 1946, elles ne pouvaient ni voter ni être candidates à
une élection. Aujourd’hui, elles ne sont plus considérées comme telles. Elles
ont droit à un salaire, elles peuvent voter et être candidates. On a eu des femmes-sénateurs, des femmes-députés dans les
législatures précédentes ; on a même eu une femme présidente [NDR :
Ertha Pascal Trouillot]… Un jour, on arrivera à 50 % de femmes et 50 % d’hommes
aux postes décisionnels. On y arrivera, je l’espère.
La jeune Ivonia a voulu savoir si « les femmes d’Haïti sont traitées de la même
manière que les femmes étrangères. »
Ça varie d’une société à l’autre. Par exemple, c’est
culturel de frapper une femme mais, aux Etats-Unis, on ne peut oser le faire.
« L’équité
de genre n’implique-t-elle pas des obligations aux femmes ? », s’est
interrogée Taynaïka.
Bien sûr ma fille ! Si autrefois c’était à nous
de nous occuper des travaux domestiques, aujourd’hui nous avons l’obligation de
rester sur les bancs de l’école, d’apprendre un métier, d’aller travailler, de
contribuer aux dépenses de la famille, de ne pas accepter de rentrer dans un
bal gratuitement pendant que les hommes payent 100 gourdes, 200 gourdes…
La conférencière a conclu ainsi : « Les hommes ne peuvent vivre sans les femmes,
les femmes ne peuvent vivre sans les hommes. Nous sommes donc complémentaires.
L’essentiel maintenant c’est de travailler pour qu’un jour l’équité de genre
puisse être atteinte car la société démocratique dont nous rêvons tous ne sera
jamais possible tant que les hommes et les femmes n’auront pas été égaux. »
Remerciements
Pour clore la rencontre, l’animatrice Madrine GAY a
remercié l’assistance dont la présence a rendu possible la conférence et a remercié
la conférencière Gladice Saint-Jean Lundy pour qui les jeunes ont chanté un
refrain de remerciement qui l’a beaucoup émue :
«Je me sens
émue par les mots de remerciement et surtout le refrain que vous venez de me
chanter. Je vous l’avoue, ce refrain m’a fortement traversé. Mais,
permettez-moi de vous le dire : C’est à moi de vous remercier, Madrine et
Waldinde, à moi de vous remercier, chers jeunes, car vous m’avez donné la
possibilité de vous servir en vous présentant les droits de la femme
d’aujourd’hui. Et, si vous faites bien l’effort de les respecter, cela
contribuera à la matérialisation de la démocratie dans notre société. Car
l’harmonie parfaite d’une société n’est pas possible si les droits des femmes
sont bafoués. Donc, chers animateurs et jeunes, je vous retourne ces
remerciements au centuple ! » a conclu la conférencière.
Waldinde Germain
Animateur
du club de débat de Jérémie
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