Le centre Pétion Bolivar, dirigé par le
cinéaste haïtien Arnold Antonin, a organisé à l’hôtel Le Plaza, à
Port-au-Prince, jeudi 28 mai 2015, son traditionnel Forum libre du Jeudi, avec
une conférence-débat, ayant pour thème, « l’agenda de la lutte contre la
violence faite aux enfants en Haïti ». FOKAL, représenté par le
responsable de son Programme Initiative Jeunes, s’intéresse beaucoup cette
question de la protection de l’enfant, au point d’avoir collaboré pendant 3 ans
avec une coalition de 15 organisations haïtiennes de droits humains, sous la
conduite de l’Office de Protection du Citoyen, pour rédiger ensemble le rapport
alternatif sur la Convention relative aux droits de l’enfant.
[Ce rapport publié en mai
2015, qui contrebalance les 1er et 2e rapports
périodiques de l’Etat haïtien, constitue le regard de la Coalition sur la
situation des droits de l’enfant en Haïti et leur évaluation de la mise en
œuvre de la Convention dans le pays. Il fait une analyse des avancées et des
défis en matière de promotion et de protection des droits de l’enfant, tout en
ayant à l’esprit les données du rapport pays. Des recommandations sont
formulées vis-à-vis de l’État sur tous les points traités. Les soumissionnaires
espèrent que ce rapport contribuera à une meilleure appréciation de la mise en œuvre
des recommandations du Comité des droits de l’enfant à l’endroit d’Haïti, lors
de l’examen du rapport initial en 2003.]
Le sujet de la conférence a réuni un panel
de 5 personnalités haïtiennes qui, tour à tour, sont intervenus sur un aspect
de cette épineuse question. Bruce Saintil, représentant de l’Unicef, s’est
intéressé l’aspect sociologique et éducationnel de la violence scolaire ; le
directeur adjoint de l’IBESR, Diem Pierre, le volet institutionnel ; la
psychologue Nora Salnave, le versant psychologique ; la militante de la
lutte pour les droits de l’enfant, la psychologue Roseline Benjamin, au coté de
l’impact familial, Roudy Edmé, enseignant et éditorialiste, le volet relationnel
enfant/adulte.
Un public d’une quarantaine de personnes
représentant pour la plupart des organisations ou associations travaillant à la
protection et aux droits des enfants en Haïti, a assisté à la conférence.
La violence scolaire, un prolongement de la violence domestique
Bruce Saintil a considéré, d’une manière
générale, la violence comme « toute
forme d’agression verbale, physique, psychologique, émotionnelle, sexuelle exercée
sur une personne vulnérable ». La violence peut être active ou passive,
porte atteinte aux droits et au respect des personnes, et peut s’exercer sur
les biens, les personnes et les institutions. Puis, il s’est attaché aux causes
de la violence à l’école, à son impact sur les victimes, et aux stratégies de
lutte de l’Unicef contre la violence scolaire.
Selon Saintil, citant le sociologue
français, Pierre Bourdieu (La reproduction), ou Alain Douillon (Quinze
questions de société) à l’école la violence est symbolique ; elle est soit
descendante, c’est-à-dire dans une
relation maître/enfant, soit horizontale,
autrement dit dans un rapport père/enfant.
De g. à d, Arnold Antonin, Bruce Saintil, Diem Pierre, Nora Salnave, Roudy Edmé |
Les causes de cette violence scolaire sont
nombreuses. Selon lui, elle serait issue de la reproduction de schémas et
de modèles mentaux acquis à la maison, de l’absence de contenus liés à la
prévention de la violence contre les enfants, de la faible capacité des acteurs
dans la résolution de conflits, des problèmes académiques, de la tolérance de
la violence en milieu scolaire, de l’absence de mécanismes de dénonciation des
cas d’abus, à l’absence d’informations sur les sanctions appliquées contre les
agresseurs, de la révolte contre l’institution scolaire quand il n’y a pas de
support à l’apprentissage.
L’impact de la violence en milieu scolaire
sur l’enfant est tout aussi multiple : risque de délinquance en fuyant
l’école, passage d’école en école, simulation de maladies, abandon ou
décrochage scolaire, perte de confiance et d’estime de soi, futur bourreau dans
la société, remords des agresseurs.
Pour une société plus solidaire, pour une école aimée des élèves
Bruce Saintil a expliqué à l’assistance la
stratégie de l’Unicef pour lutter contre ce problème en collaboration avec les
autorités haïtiennes, allant des mécanismes de prévention de la violence
(établissement de codes de conduite pour les acteurs et de sanctions), de
détection des signes de la violence (viols, abus sexuels), de dénonciation, de
protection, au renforcement du climat scolaire sans violence et à l’intégration
de curricula et des couleurs de genre et aux mécanismes.
Bruce Saintil, représentant de l'Unicef, intervenant à la conférence |
Toujours selon Saintil, l’Unicef a déjà
mené en Haïti des actions contre la violence à l’école haïtienne :
campagne contre la violence sur les enfants des 2 sexes ; des projets avec
3 composantes : élaboration de codes de conduite pour les acteurs de la
communauté éducative, développement de modules de formation sur la discipline
pour les enseignants, sensibilisation des acteurs sociaux (parents, public) à
cette problématique. L’Unicef continuerait à travailler à l’amélioration de la
qualité des réseaux, de la coopération, des rapports entre les acteurs du
système éducatif.
Changer notre manière de vivre avec nos enfants
Diem Pierre de l’IBESR a informé
l’auditoire que l’Etat a creusé la question et en a sorti 3 conclusions :
la violence est liée à notre façon de
gérer l’enfant, à la vie en famille ; la symbolique de la violence tient à
des manquements de l’Etat à l’égard de l’enfant (il ne fournit pas des actes de
naissance à des enfants, ce qui dès lors rend impossible de tracer leur
filiation, et qui les expose aux maltraitances, aux abus, à des problèmes
divers), et au défi de la prise en charge.
Selon le représentant de l’IBESR, l’Etat
s’est engagé sur un plan en 3 points, pour faire face à cette situation de
violence exercée sur l’enfant : les dispositifs légaux, les plaidoyers et
les services.
En premier lieu, voulant se mettre en
diapason avec la Convention relative aux
droits de l’enfant qu’il a ratifié, l’Etat haïtien a déjà commencé à mettre en
place tout un arsenal législatif pour combattre la violence faite aux enfants.
Il a promulgué une loi en 2001 interdisant les châtiments corporels et toute
forme de violence (mais sans les modalités d’application), a élaboré un Code de
l’enfant, non encore promulgué, mais qui fournit les provisions pour mener des
opérations contre la violence faite aux enfants, une loi en 2011 sur l’adoption
et une autre sur la traite des personnes incluant spécifiquement la traite
d’enfants.
La réflexion de l’Etat sur la situation a conduit
à un plaidoyer aboutissant à la loi sur la paternité responsable. Malheureusement,
Cette loi qui ambitionne de protéger l’enfant contre le problème de l’abandon parental, est considérée par certains secteurs de la
société comme une loi anti-famille.
Enfin, l’Etat haïtien a identifié des
institutions protégeant l’enfant afin d’élargir ses services sur tout le
territoire. Parallèlement, il met en place de nouveaux services pour travailler
sur les changements de comportements. Mais pour être efficace, tout cet effort
exige, d’après Diem Pierre, qu’on redéfinisse du même coup la politique inadaptée
de santé et d’éducation de l’Etat haïtien, qu’on repense le développement du
pays.
La violence crée des trauma qui
modifient notre rapport au monde
La psychologue pour enfants et experte
haïtienne en traumatologie, Nora Salnave a asséné dès l’entrée de son
intervention que « les trauma
qui font le plus de dégâts sont ceux de l’homme sur l’homme », donc la
violence. Le trauma, [NDR : un choc émotionnel pouvant entrainer un
désordre psychique et modifier le comportement d’un individu], a un impact
cognitif en agissant défavorablement sur la taille du cerveau, sur
l’apprentissage, et le comportement (agressivité, refoulement) et cause une
perturbation hormonale.
« La
violence vient de nos peurs, de la colère, de nos manques, de nos frustrations,
a-t-elle poursuivi. Elle crée des ‘lunettes’
qui vont biaiser notre rapport aux autres, nous empêcher de trouver des
réponses intelligentes aux problèmes de la vie. »
La solution à la violence serait, selon
Nora, de prendre conscience des conséquences dévastatrices de la violence sur la
société, sur l’enfant, et de nous rendre compte de nos responsabilités à son
égard, de changer nos constructions familiales et scolaires. En ce sens, les
médias auraient un important rôle à jouer.
La violence exercée sur les enfants, défense et illustration
L’éducateur Roudy Edmé a plutôt contribué
à illustrer les propos de ses collègues du panel. Son intervention s’est muée
en une sorte d’inventaire intéressant, mais non exhaustif, des multiples actes
de violence symbolique que les comportements ou les propos irresponsables des
adultes convertissent dans diverses situations courantes que ce soit à la
maison, dans la rue, et à l’école.
Au final, un petit documentaire élaboré
par la psychologue haïtienne Roseline Benjamin, et réalisé par le cinéaste
haïtien Arnold Antonin, a servi de synthèse aux interventions des panélistes
dans la mesure où il a établi une conjonction des aspects sociaux, éducatifs,
psychologiques du problème, avec interviews des panélistes, de parents, et
illustrations de divers cas à problème dans diverses situations.
Ce documentaire d’une trentaine de minutes,
titré « Simen lanmou rekolte lapè »,
produit en 2014 par la fondation IDEO a été élaboré dans le cadre de sa
campagne pour arrêter la violence verbale, physique et psychologique exercée
sur les enfants. Il est disponible gratuitement à la fondation IDEO.
Jean-Gérard Anis
Coordonnateur du Programme Initiative
Jeunes
FOKAL - Juin 2015
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