mercredi 17 août 2016

Trois idées drôles sur le travail du troisième orateur d'une équipe de débat

Wedly Mozart Mozeau
On compte sur les doigts les bons troisièmes que le programme de débat a connus. Il est rare d'entendre un juge féliciter un 3e affirmatif ou négatif pour son travail et les jeunes s'en plaignent assez souvent. Tout porte à croire que le travail de synthèse apparemment simple est le plus difficile du format Karl Popper et que les coachs eux-mêmes ne s'entendent pas sur la méthode idéale puisque d'un juge à l'autre les commentaires diffèrent. 

En effet, les juges ont souvent des remarques contradictoires sur le même travail et les débatteurs et débatteuses se perdent trop souvent en confusion face à cette situation. Il y a donc un réel souci de standardisation à ce niveau - comme à d'autres niveaux d'ailleurs - et cet article se donne pour objectif de poser les premières pierres. 

Voici donc trois idées inédites dans le programme, et surtout drôles puisqu'elles peuvent étonner et même brouiller, mais une lecture attentive permettra de comprendre leur bien-fondé.

 1- Un(e) troisième parle avec des boites 

Je n'ai pas arrêté de le répéter dans les derniers tournois officiels, mais je crois que les jeunes n'ont pas encore saisi le sens de cette assertion. Pour moi, parler avec des boites, c'est pouvoir rassembler les idées éparpillées de l'équipe adverse et les mettre dans des paniers où elles se confortent. Une équipe, dans un match donné, a toujours une approche du sujet en question et quelque soit les détours qu'elle prend au cours du match, cela la ramènera toujours à son approche de base. 

C'est la raison pour laquelle je suis d'avis que les jeunes doivent, dans le cadre de leur formation en techniques de débat, apprendre les grands courants de pensée et les grandes visions du monde. Il leur faut apprendre, en d'autres termes, l’histoire des idées politiques, économiques et sociales puisqu'ils (elles) font des débats qui reviennent à la base à ces mêmes idées. Le libéralisme, l'humanisme, l'idéalisme, le socialisme, l'impérialisme, le protectionnisme, la mondialisation, la démocratie populaire, la démocratie libérale, les valeurs républicaines, l'Etatisme, les rapports Nord-Sud, etc. sont autant de termes et de concepts (je les ai notés pêle-mêle comme ils viennent dans ma tête)  qui devraient être familiers aux débatteurs des 2 sexes.

Bien sûr, il ne s'agit pas d'essayer de leur inculquer à tout prix des notions trop compliquées pour leur niveau, mais de leur donner une formation de base à partir d'ateliers de lecture et d'exposés qu'ils (elles) peuvent eux-mêmes présenter. A ce moment n'importe quel troisième devrait pouvoir identifier l'approche d'une équipe et montrer ses limites dans le contexte du débat, tout en proposant la sienne comme meilleure en attirant l'attention sur ses avantages. En ce qui a trait aux limites des approches, il s'agit bien sûr de les étiqueter à partir des connaissances de base qu'on a et des utilisations qui en ont été faites dans le débat. Ainsi deviennent t-elles simplistes, réductionnistes, alarmistes, trop idéalistes, etc. dans le cas de l'équipe adverse et réalistes, globales, concrètes, etc. dans le cas de son équipe.

Et c'est ce que j'appelle parler avec des boites !!! Ça peut paraître compliqué, mais en réalité c'est très simple. Et je vous assure que ça fait de l'effet sur les juges (Anizabelle, une débatteuse de Jacmel, membre de l’équipe championne du tournoi mixte, peut en témoigner) car ce que vous faites au fond, c'est clarifier le débat pour ces juges! 

2 - Un(e) troisième ne cherche pas à se faire comprendre 

Cette idée - un peu plus drôle que la première - je l'ai lancée pour la première fois dans le cadre du dernier tournoi mixte alors que je coachais la Team B : "Annie, en tant que troisième tu n'as pas à te faire comprendre". Elle a souri et j'ai su qu'elle avait compris. En effet, cette idée traduit l'esprit du travail de troisième qui n'est autre qu'un travail de synthèse. Le plus grand danger pour un(e) troisième - et ça arrive souvent - c'est de tomber dans la réfutation. Face à ce problème, on doit se mettre en tête qu'on travaille en tant que troisième sur des idées qui ont déjà été développées dans le match. On n'a donc pas à les ré-expliquer et encore moins y ajouter de nouveaux éléments. Le travail du troisième à ce niveau se résume à rappeler les points essentiels et ce faisant les porter dans le camp de son équipe.

Je sais que c'est facile à dire et que c'est beaucoup plus difficile sur le terrain, mais j'ai pensé à une technique que je vous propose d'expérimenter : Et si vous parliez avec une phrase par point? L'idée c'est de noter dans votre feuille les points essentiels que vous aller toucher et de n'en faire qu'une phrase pour chacun de ces points, pas d'explication, pas de raisonnements donc pas de réfutation. Un(e) troisième ne cherche pas à se faire comprendre, un(e) troisième est là pour aider aux juges à mieux comprendre l'approche de son équipe !!! 

3- Montrer les enjeux, c'est être hors-du-sujet 

Bon, c'est l'idée la plus drôle des trois, mais on va quand même s'en sortir... 

La question des enjeux a pris beaucoup de place depuis quelques temps dans le programme. On gagne même des matchs pour avoir simplement parlé d'enjeu(x) sans toutefois maitriser ce que c'est au fond. C'est en effet toute un casse-tête pour les débatteurs-euses de montrer le fameux " enjeu du match" et de fait, peu d'entre eux y arrivent. C'est que cette notion n'est inscrite dans aucun document du programme et aucune formation formelle standard n'a été faite à date sur la question. 
En ce qui me concerne, les idées basiques sur la question des enjeux sont les suivantes: 

a) Il n'y a pas d'enjeu du match, mais les enjeux du débat qui devraient être définis dès le début du match par 1A et 1N.

b) Le/la troisième n'a pas à montrer l'enjeu du match, mais à faire ressortir le(s) enjeu(x) qui ont été les plus importants à partir des points-clashs relevés.

 c) L'enjeu se définit comme ce qu'il y a à perdre ou à gagner dans un pari. Dans le cadre d'un débat, on parle d'implications donc d'avantages concrets et de risques. 

Mais par dessus tout, il faut être hors du sujet et j'explique : dans l'une de nos rencontres on faisait un exercice au club de débat de la BMC et il s'agissait de prendre position pour ou contre le fait que Tony Mix ait été nommé ambassadeur de la culture. Ce fut un débat très controversé et les arguments étaient solides des deux côtés. À la fin de l'exercice on m'a demandé de faire une sorte de synthèse à partir des discussions qui ont été faites. J'ai commencé mon discours de la manière suivante : " La semaine dernière, je regardais la cérémonie des Grammy awards à la télé et Joe Biden (vice-président des Etats-Unis d'Amérique) était venu passer un message sur la violence faite aux femmes, phénomène qui était très en vogue dans son pays au moment de la cérémonie.

Après son speech de moins de deux minutes, il a lui même présenté Lady Gaga qui devait chanter une chanson sur le même thème...". Si vous m'avez bien suivi, je fus à priori hors sujet au début de mon discours, mais j'ai dû prendre cet exemple pour faire ressortir le rapport que l'Etat développe avec la culture populaire et comment il peut au besoin utiliser cette dernière à des fins concrètes. Et c'est justement là l'un des principaux enjeux du débat sur Tony Mix. Etre hors du sujet, c'est donc déplacer le débat le temps de le ramener à des principes beaucoup plus globaux et de rebondir sur le sujet qui nous concerne. Il faut donc souvent  aller chercher ailleurs pour mieux comprendre les implications réelles des débats que l'on fait. 

En guise de conclusion 

En lieu et place de conclusion, je voudrais reprendre le canevas que je propose à chaque match pour le travail des troisièmes : 

 - Approche de mon équipe et ses avantages/Approche de l'équipe adverse et ses limites 

- Force de mon équipe tout au long du match/Faiblesse de l'équipe adverse tout au long du match 

- Rappel de mes arguments et des raisonnements; ce que l'équipe n'a pas pu comprendre au final/ rappel des arguments et raisonnements de l'équipe adverse; ce que l'équipe n'a pas pu montrer au final

- Points clashs du match, pourquoi c'est mon équipe qui a gagné sur ces points; les enjeux qui découlent de ces points 

- Ouverture pour l'équipe affirmative/Alternative pour l'équipe négative

- Citation finale si possible

Voilà! Ça a été assez long, mais j'espère que ce ne fut pas trop lassant et que cela contribuera à monter le niveau des prochains matchs !!! 

Wedly Mozart Mozeau

Juge, coach et animateur du club de débat de la BMC

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