La 4e édition du grand salon
technologique E2Tech, organisé tous les 2 ans à Port-au-Prince par l’Association
Haïtienne des Technologies de l’Information et de la Communication (ATHIC), a
eu lieu mercredi 29 mai 2013 au Karibe Convention Center, à Pétion-ville. Ce
salon qui se veut une sorte de vitrine technologique des acteurs de ce secteur
en Haïti, qu’ils soient des compagnies de télécommunication, des vendeurs d’équipements
électroniques et de matériel informatique, des fournisseurs d’accessoires et de
services internet, des entreprises, attire à chaque édition un public avide ou
curieux de technologies, des professionnels de tous bords, et de plus en plus
de jeunes.
Le salon a offert une palette d’activités
allant des expositions aux démonstrations, des activités de ventes aux annonces
publicitaires, dans une ambiance de grand bazar. Pour cette édition 2003, le
salon était particulièrement orienté vers les jeunes, et a fait la part belle
aux conférences thématiques telles que la lecture numérique, la téléphonie sur
IP, la finance et les technologies mobiles, la mobilité des services de
télécommunication... Le jour de l’ouverture d’E2Tech, huit conférences ont été
programmées sur des thèmes aussi variés que disparates.
E-gouvernance, la vedette du
salon
Justement, un thème a particulièrement émergé
puisqu’il a fait l’objet de 2 conférences-débat consécutives la même journée :
l’e-gouvernance. Deux conférences, deux approches différentes tant par leur
objectif que par leur approche méthodologique. La première, animée par
Jean-Marie Althema, conseiller du Premier ministre haïtien Laurent Salvador
Lamothe, a été une présentation du projet de Plateforme Intégrée du Gouvernement
Haïtien (PIGH). La seconde, assurée par Frantz Pierre-Louis, responsable de
projet à la compagnie haïtienne de solutions technologiques, XPERTIK, a eu
comme approche de questionner l’opportunité d’un système d’e-gouvernance en
Haïti.
Jean-Marie Althema, a exposé la nature, les
objectifs, les opérations en cours et les enjeux du projet PIGH de l’Etat
haïtien qui a démarré en 2008, sous le gouvernement de Michèle Pierre-Louis. Ce
projet est financé en majeure partie par la Banque Interaméricaine de Développement,
et par la firme Microsoft (sous forme de licence), et exécuté par la firme britannique
Infusion opérant pour la multinationale américaine. Selon les propos d’Althema,
l’objectif de cet ambitieux projet est de rapprocher l’administration publique
haïtienne des besoins de l’usager à travers des outils technologiques, en vue
d’assurer l’efficacité, la qualité et la transparence des services offerts.
Le projet PIGH veut entrer
l’Etat dans la modernité
PIGH est une plateforme intégrée de services (enregistrement
des sociétés en ligne, hébergement d’e-mails, data center, carte dynamique
d’Haïti, espace collaboratif de travail) et d’applications (système de gestion
des projets par géo-référence pour fournir de l’information en temps réel, un
tableau de bord qui réunira les indicateurs de performance de la vie nationale,
répertoire des institutions publiques haïtiennes …), et un portail unique
d’information pour l’usager haïtien. Selon Althema, l’intégration de ces
capacités au PIGH donne au gouvernement des moyens plus efficaces pour
gouverner et offrir des services aux citoyens, et aide à améliorer la qualité
de ces services.
Selon le conférencier, la plateforme offre l’avantage
au gouvernement de l’aider à moderniser l’Etat, de rapprocher l’Etat du citoyen
et des entreprises, d’améliorer la qualité de l’administration publique, de favoriser
et de promouvoir la transparence, de développer le secteur technologique comme
domaine d’activité économique, de simplifier les procédures au sein de
l’administration publique, d’harmoniser les infrastructures technologiques du
gouvernement, et de renforcer les capacités technologiques des ministères et
des organismes déconcentrés de l’Etat.
E-gouvernance, l’atlas du
gouvernement haïtien
Haïti, ou plutôt les autorités étatiques
haïtiennes sont-elles prêtes pour cette révolution dans la gestion et la
gouvernance du pays? Le projet PIGH en cours de mise en œuvre montre déjà ses
limites, car les conditions de son implémentation ne sont pas tout à fait
réunies : aucun cadre légal n’est actuellement disponible, des projets de
lois sur le e-commerce et la signature électronique pour faciliter et accélérer
et les transactions financières sont en souffrance au Parlement, des
parlementaires opposés au régime retardent la consultation sur ces lois pour
torpiller les réalisations du gouvernement Martelly, selon les propos du
conférencier…
Des incertitudes, pour ne pas dire des inquiétudes,
sur le projet PIGH demeurent, comme par exemple la légèreté des fonctionnaires
et des représentants de l’Etat (un ministre confie à son petit cousin la
création et la gestion de son compte e-mail, un autre continue d’utiliser un
compte sur Hotmail). Comment seront gérés les sites web de l’Etat ? Les
informations échangées sur internet entre les membres de l’Etat et le partage
de données entre les ministères sont-ils protégés ? Les serveurs de
l’Etat sont-ils sécurisés? Quelle entité sera en charge de la
plateforme ?...
Gouvernement en ligne ou E-gouvernance ?
Le gouvernement haïtien balance…
Frantz Pierre-Louis, dans sa conférence titrée « E-gouvernance : vers la modernisation
des administrations publiques », contrairement à Althema, est sorti
des sentiers du prosélytisme étatique pour s’orienter vers un questionnement de
ce projet gouvernemental d’e-gouvernance. Selon toute vraisemblance, les propos
de Pierre-Louis ont laissé croire à l’assistance que le gouvernement place la
charrue avant les bœufs.
L’une des nombreuses faiblesses du projet qu’il a
pointées est que le gouvernement se fourvoie à vouloir considérer la
technologie comme la solution aux problèmes d’efficacité de l’administration
publique haïtienne, autrement dit que la technologie est plus fiable que
l’humain. Le gouvernement fait donc l’erreur d’investir dans l’outil au lieu de
le faire dans l’humain.
La 2e faiblesse est que le gouvernement
confond e-gouvernance qui concerne
davantage un système de management permettant aux citoyens d’avoir accès aux
services du gouvernement n’importe où, n’importe quand en utilisant n’importe
quel canal, et gouvernement en ligne
qui priorise l’utilisation des technologies pour améliorer le processus de
travail et automatiser les taches récurrentes et faciliter la communication.
Chronique d’un échec annoncé
Frantz Pierre-Louis croit que ce projet
d’e-gouvernance, bien qu’il soit ambitieux et nécessaire pour le pays, contient les germes de son échec. Un état des
lieux fournit, selon lui des raisons multiples et justifiées à cela.
Technologiquement, le pays n’est pas encore prêt
pour ce saut en profondeur à cause de sa faible connectivité internet, des
réseaux de communication encore balbutiants, du manque d’environnement
favorable au développement des innovations, d’un accès limité des citoyens au
web, le plus faible dans le monde.
Au niveau légal, le pays dispose de lois inadaptées
ou obsolètes, des projets de lois en sont en souffrance au Parlement. Sur le
point organisationnel, le pays ne dispose pas d’une masse critique de personnel
qualifié, les procédures sont lourdes et décourageantes, sa structure
d’organisation est inadéquate pour introduire un tel projet.
Le plus grand obstacle à un pareil projet est que
le gouvernement et l’administration publique sont en général contre l’information.
L’Etat n’a pas la tradition, le réflexe de fournir l’information aux citoyens, aux
contribuables au point qu’il refuse même de la donner. Soit l’information n’est
pas disponible soit l’accès est difficile. D’ailleurs, la transparence n’est
pas son souci encore moins dans sa nature.
De la vision avant toute chose
Bien qu’il faille moderniser l’Etat, F.
Pierre-Louis croit ce qu’il faut absolument changer dans l’administration
publique, ce sont d’abord les comportements, les mauvaises pratiques (avoir des
fonctionnaires plus responsables) et le management (transporter l’information
et les services physiques dans l’espace virtuel). Donc, il faut moderniser
d’abord pour avoir un meilleur service dédié aux citoyens.
Le processus de modernisation doit se faire selon
lui en 3 étapes : d’abord l’automatisation des taches, puis la création
d’un système d’information, enfin la conception d’un système de gestion des
connaissances, orienté e-business et e-gouvernance. Selon le conférencier, si
de nos jours les besoins ont changé, le besoin de changement s’accompagne aussi
d’un besoin de modernisation qui passe par un processus d’adaptation, de
rénovation en fonction des besoins et
des tendances actuelles.
L’e-gouvernance n’est pas la
panacée
Sur ce projet, le gouvernement a besoin par contre
de dégager un leadership visionnaire, de définir un plan stratégique (définir
les priorités en fonction des ressources, fournir un cadre légal ambitieux,
concevoir un projet orienté vers les citoyens, créer un centre de formation adapté,
et effectuer la ré-ingénierie des procédures), puis de passer à l’action (former
les utilisateurs, impliquer le secteur privé, développer des services
multicanaux au profit des utilisateurs).
En résumé, nous devrions réformer d’abord ce que
nous faisons habituellement pour aller au changement, sinon la résistance sera
rude, et le projet d’e-gouvernance va courir droit à la catastrophe. Le circuit
de modernisation doit prioriser d’abord les gens, puis le processus et en
dernier lieu la technologie. Le gouvernement a donc intérêt à revoir son cahier.
Jean-Gérard Anis
FOKAL, Juin
2013
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