Bertolt Brecht, poète et dramaturge allemand (1898/1956)
L’état déplorable des facultés de l’UEH ne manque pas de consterner les étudiants qui les fréquentent. Il est inacceptable de fonctionner dans de telles conditions, alors que tout le monde se sent offusqué. D’aucuns chuchotent dans leur coin; on critique, on déplore, on fustige et rien de plus… Faut-il se faire complice du statu quo par notre attentisme et notre silence?
 A force de se battre sans obtenir aucun résultat, toute tentative de combat parait vaine avec le temps. Il faut juste laisser aller les choses, et le temps dira son mot pense-t-on.
Combien nous faut-il de forums supplémentaires, d’interminables débats sans issus? De vaines conférences et des colloques où priment les rhétoriques creuses sur les actions concrètes?  Faut-il à la République déclarer davantage de journées de prières pour implorer le pardon des cieux à concéder en notre faveur?
Quatre ans après le séisme, les conditions de fonctionnement à l’UEH ne cessent de se dégrader. Des protestations d’étudiants aux grèves des professeurs, aucun écho n’a atteint les oreilles de nos dirigeants. Ou du moins, la vibration qui leur est parvenue n’est pas suffisamment intense pour les porter à pencher dans le sens de leurs revendications.
Il s’agit pourtant de vingt six mille (26 000) âmes, qui, chaque jour, laissent leur toit pour aller s’entasser dans des baraques, recevant une formation destinée à former de piètres professionnels et des intellectuels de pacotille qui ne cessent de grossir la masse d’individus aux avenirs fichus en Haïti.
Notre génération est la grande victime d’un quart de siècle d’amateurisme politique soigneusement mis en place par des forces obscurantistes qu’un simple effort d’intelligence peut certainement nous aider à identifier. On nous clame par exemple, que la République ne dispose pas de moyens, que l’Etat est tellement pauvre qu’il ne peut se préoccuper du  bonheur des générations futures.  Pourtant, cette misère d’Etat ne fait que raviver l’avarice des politiciens qui ne cessent de s’entrégorger, alors qu’ils ne se donnent même pas la peine de planifier nos lendemains. Pourquoi?
On mine notre éducation pour céder la place à leurs enfants…
A force de miner le système éducatif pendant plus d’un quart de siècle, les tenants du système vont jusqu’à croire que le bon sens nous manque au point que nous oublions que un plus un font deux! Il nous rient au nez d’être suffisamment tarés, que nous ne nous demandons même pas pourquoi un pays qui peut se payer deux carnavals en une année, ne peut pas se pourvoir d’une salle de cours digne de son nom. Tout comme le bon sens n’arrive jusqu’à présent à expliquer ce qui a pu bloquer la route de Martissant pendant plus de vingt ans!
Cette attitude à trébucher sur les calculs les plus simples, porte nos dirigeants à nous mépriser sur les questions les plus primordiales, voire existentielles. Pourquoi doter une population d’un bon hôpital alors qu’elle ne se permet même pas de revendiquer le droit à la vie?!
En effet, le luxe d’Etat qui défile quotidiennement sous nos yeux, cette petite cohorte de jet setters publique qui nous nargue, sans provoquer des questionnements prouve notre incapacité à comprendre sérieusement la profondeur de l’abime dans lequel nous sommes.
Quel rapport entre les Ford Raptor du cortège présidentiel et une bibliothèque de faculté? Ou du moins, quel rapport existe-t-il entre la Patrol rutilante de l’assistante du chef de service du bureau de tel ministère… et les sièges qui manquent dans nos facultés?
Pourquoi questionner le fait qu’un député de la République ait fait nommer sa copine infirmière comme première secrétaire de l’Ambassade d’Haïti en France? Ou pourquoi le président de la République a nommé la fille du grand speaker de radio de la Métropole haïtienne, à peine majeure, fraichement sortie de la philo, première secrétaire de l’ambassade d’Haïti à Taiwan?
A qui profite l’effort de torpiller une jeunesse si pleine de dynamisme et de talents?
Des anciens de l’UEH, parvenus au plus grandes fonctions de l’Etat ont démantelé l’université au profit de leurs écoles privés. Par ce jeu habile, ils légitiment un argument qui demain, favorisera leur rejeton sur nous, dès qu’il s’agira d’occuper une fonction.
Pourquoi certains programmes de bourses ont soigneusement déviés les facultés de l’UEH? Pourquoi existe-t-il moins de coopération dans les programmes de recherches avec les universités étrangères? Où sont les bourses de spécialisation? Pourquoi faut-il plus d’un mois à l’étudiant miraculeusement licencié de décrocher son certificat? Pourquoi? Pourquoi..? Pourquoi..?
Les résultats sont plus que parlants. En effet, Haïti est classé 142ème sur 148 pays pour la qualité de son système éducatif, dans le dernier Index de Compétitivité Globale. Et le plus surprenant, c’est qu’on n’a pas pu faire la distinction entre le privé et le public pour classer notre pays en matière d’éducation.
Avec des diplômes insignifiants, nous serons de paisibles chauffeurs de taxis dans le froid des grandes villes d’Amérique du Nord
Nous sommes en effet les mauvais produits d’un mauvais système. Mais nos tares ne nous empêchent pas de comprendre qu’une voiture de 75 000 USD aurait pu garnir nos pauvres bibliothèques de plus de 3000 livres que plusieurs générations d’étudiants pourraient utiliser. Alors que notre faculté de Droit ne dispose même pas de tous les codes qui sont essentiels pour la formation de  ses étudiants!
Plus quart de siècles depuis que des fossoyeurs s’activent ingénument à hypothéquer notre avenir. En l’an de grâce 2013, la jeunesse haïtienne peine à voir la lumière au bout du tunnel. L’Université qui est censée être la gardienne des valeurs et le creuset d’une élite responsable et compétente a piteusement failli, à cause de la mauvaise foi de nos dirigeants.
Les dernières élections nous portent sérieusement à réfléchir sur les causes réelles de cette descente dans l’absurde. Les luttes de pouvoirs, la chaise musicale politique et les politicailleries n’ont donné qu’un ensemble de succédanés. Que faut-il faire? Comment faire? Où commencer? Et quelles stratégies définir?
Faut-il davantage de casses, d’incendies et de graffitis pour exprimer notre ras-le-bol? Ou faut-il définir de nouvelles stratégies qui peuvent se révéler plus efficaces?  Telles sont les questions que nous devrions nous poser en ces moments critiques.
Il ne suffit plus de porter les plus beau jeans et les meilleurs baskets pour simplifier la vie étudiante et l’ambiance des facultés à de simples espaces de défilé de mode. Il faut rompre avec cette fiction d’intellectuels, qui s’activent à bien prononcer des combinaisons de mots dont ils ont peine à en saisir les sens.
Comment leurs propagandes vont soulager la conscience de l’ingénieur, qui, par une mauvaise maitrise de sa science efface l’existence de gens pleins d’avenir? Comment soulager la conscience du médecin médiocre, qui, par la pratique d’une science mal acquise endeuille des familles en dépit de sa bonne volonté?
Un diplôme d’université doit pouvoir signifier quelque chose dans un monde de compétition globalisée. Se rabattre au silence, c’est accepter tacitement qu’à la prochaine catastrophe nous travaillons sous la direction d’étrangers sans expériences et sans connaissance de notre réalité, puisque nous sommes incompétents à la gérer nous-mêmes.
Cinq millions pour le carnaval à Gonaïves et pas un sou pour l’Université!
Vingt trois ministres et quatorze secrétaires d’Etat dont on questionne la pertinence de certains, grèvent le budget de l’Etat. Les longs  cortèges de 15-20 véhicules flambant neufs et super chers qui défilent chaque jour, écrasant les longs embouteillages, donnent l’impression à un observateur externe que l’Etat met de la diligence à résoudre nos problèmes.
Aux carnavals, nous ne manquons pas d’observer qu’à coté du budget officiel,  des organismes publics subventionnent des groupes et brocardent fièrement sur leurs stands, les préférences de l’Etat à la bamboche : BNC, ONA, APN, DGI et ministères…
Faut-il simplement continuer l’exercice dans lequel nous excellons le plus: se plaindre, fustiger, déplorer, dénoncer et critiquer? Ou bien, faut-il agir pour épargner les générations futures des calamités que la notre a le malheur de connaitre?
Il faut nous indigner, se ressaisir ou autrement ne pas agir, cautionnant ainsi l’éradication totale du savoir en Haïti.
Pour s’indigner, il suffit de regarder autour de vous, l’inconfort de vos salles de cour, la puanteur de vos toilettes, la pauvreté des rayons de vos bibliothèques, la condescendance de quelques cuistres qu’un système légitime à vous torpiller l’esprit.
Quand le salaire du fils du président, à coté d’autres avantages alléchants, s’élève à 200 000 gourdes/mois, et celui de sa femme 250 000 HTG/mois, alors qu’un docteur de l’université, après plusieurs années d’enseignement perçoit seulement 38 000 Gourdes, il y a de quoi s’indigner!
Quand on nous dit que l’Etat n’a plus les moyens, et que le trésor publique peut donner au Président 10 millions de dollars pour distribuer voitures, motos et enveloppes… il y a de quoi s’indigner!
Quand un Etat pauvre comme Haïti, peut se payer le luxe des frais de déplacement d’une délégation de 45 personnes à l’Assemblée générale des Nations Unis, il y a de quoi s’indigner!
Quand un premier ministre se permet le luxe de visites privées avec ses  treize copains aux frais de l’Etat, ca doit vous indigner!
A compter de treize heures, allez devant les meilleures écoles privées de la place pour constater combien nombreuses et clinquantes sont les voitures officielles qui font le babysitting privé! Ca doit vous indigner…
Quand les arguments justifient que l’Etat n’a plus les sous pour meubler nos cerveaux alors qu’il en trouve cinq millions de dollars pour nos déhanchements, nous comprenons très biens, qu’il leur sied que nous soyons des piètres diplômés, mais d’excellents chauffeurs de taxis dans le froid des grandes villes d"Amérique du nord.
On se fait  stupides en croyant mieux se tirer en se faisant complices du jeu.
"La pire des attitudes est l’indifférence, dire "je n’y peux rien, je me débrouille". En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des composantes essentielles qui fait l’humain. Une des composantes indispensables: la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence"
"Créer c’est résister, résister c’est créer"
(Stéphane Hessel, Indignez-vous!)