Nous comptons nos morts, chaque jour. Ceux et celles fauchés.es trop tôt par des balles assassines… Ceux et celles emportés.es par la pandémie de Covid19. Et ceux et celles qui apprennent un jour, au détour d’une banale visite médicale, qu’un mal insidieux s’est glissé dans les cellules de leur corps, et le mine irrémédiablement, trop souvent jusqu’à l’extinction. Jean-Marie Pierre était de ceux-là. Il nous a quittés ce matin, après avoir lutté contre la maladie, jusqu’à espérer s’en sortir ou tout au moins atteindre le palier où une possible rémission lui donnerait un sursis.
Il y croyait ferme Jean Ma, la dernière fois que je l’ai vu en février dernier. Une vraie joie de le retrouver debout, animé, affaibli certes, mais déterminé à gagner sur ce corps si beau qui était le sien. Sportif convaincu, il en avait pris soin tout au long de sa vie et c’est sans doute pour cela qu’il en conservait encore l’élégance malgré les ravages subis depuis le diagnostic. Il avait su passer sa passion du foot à des générations de jeunes. Car Jean-Marie était avant tout un éducateur. Professeur de français et de littérature dans différents lycées de la capitale, il entretenait chez lui une passion de transmettre, mais aussi de provoquer la réflexion, de stimuler l’intelligence, et susciter la curiosité de ses élèves. Convaincu de l’importance et du rôle de l’éducation, en ce temps de post-dictature qui avait créé tant d’espoir, il s’était très tôt engagé dans la Confédération nationale des éducateurs haïtiens (CNEH) dès sa création en 1986. Conscient des lacunes, des manques et des difficultés du système éducatif haïtien, mais tout aussi conscient de ses potentialités et du poids que pourrait représenter un syndicat national d’enseignants.es structuré et actif dans sa refondation, il s’y était donné sans réserve jusqu’à tout récemment, malgré les défaites et les désistements, et la dégringolade du pays tout entier.
Je n’arrive pas à me souvenir de notre première rencontre tant cela remonte dans le temps. Mais j’ai encore en mémoire les multiples occasions où nous nous retrouvions « sur le béton » à manifester contre le CNG, l’arbitraire des militaires, les coups d’État, contre l’exclusion et les inégalités, pour la justice et la dignité. Le rêve d’un changement réel hantait encore nos imaginaires.
Et lorsqu’en 1995, tout un concours de circonstances m’a permis de créer FOKAL, Jean-Marie est tout de suite venu me voir pour me dire qu’il nous fallait investir dans l’éducation, surtout des enfants et des jeunes. C’était chose faite, car nous en avions déjà décidés ainsi. Regagnant notre petite équipe de l’époque, Jean Ma a été le premier coordonnateur de notre programme d’éducation. La priorité ayant été donnée d’aller vers les communautés rurales les plus éloignées, nous avons parcouru le pays, formant des professeurs.es, introduisant de nouvelles méthodes pédagogiques, équipant les écoles et les bibliothèques, construisant de nouvelles infrastructures, appuyant les initiatives des parents en agriculture, santé, etc. A Panndiassou, Pliché, Dame-Marie… que de souvenirs de nos expéditions, de nos échanges, de nos rencontres, de nos rires aussi, car avec JeanMa, l’humour était une constante.
Mais, au cours des quinze dernières années, là où il s’est déployé sans réserve, c’est dans le Programme de débats aujourd’hui rebaptisé Initiative Jeunes. Créé en 1997 et s’adressant aux élèves du secondaire, ce programme avait pour but de leur apprendre comment construire un argument et effectuer une recherche documentaire autour de sujets controversés, en travaillant aussi l’écoute et la tolérance dans le respect de l’autre, et en mettant en scène de vrais débats.
Des milliers de jeunes se sont passionnés pour cette activité parascolaire, Jean-Marie aussi. Il se donnait vraiment, particulièrement dans les camps que nous organisons chaque année en été dans une région du pays, auxquels participe plus d’une centaine de jeunes débatteurs et débatteuses pendant toute une semaine. L’occasion de se connaître, de discuter, d’échanger, de se détendre et d’apprendre. JeanMa a toujours été de toutes les activités. Désireux de voir ces jeunes se saisir des thématiques proposées et maîtriser les méthodes d’argumentation et de réfutation, mais aussi soucieux qu’ils et elles aient une meilleure compréhension du pays, de son histoire, des éléments importants de sa culture, de sa littérature. Il avait bien compris que le monde avait changé, que les jeunes d’aujourd’hui avaient de nouvelles préoccupations, de nouveaux outils, mais il tenait à partager avec eux les valeurs qui pour lui traversent le temps, le sens de soi-même et de sa propre dignité, la soif d’apprendre pour avoir une culture générale, les jeux d’antan qui socialisaient en inculquant un esprit d’équipe…
Les jeunes s’en souviendront, j’en suis certaine. Et nous aussi à FOKAL. L’annonce de sa disparition nous peine profondément. Nous garderons en mémoire le souvenir de l’ami, du frère, du collègue, de l’éducateur, toujours souriant, toujours affable. Une très belle personne, en vérité.
A sa famille, ses amis, à toute l’équipe du programme Initiative Jeune, nous transmettons nos sincères sympathies.
Repose en paix, JeanMa. Nou renmen w anpil ! Nou pap janm bliye w !
Michèle D. Pierre-Louis
Présidente de FOKAL
3 octobre 2020
1 commentaire:
Ce si beau cerveau, ce si bel esprit... Ame profonde, homme de coeur que fut Jean Marie. Son corps a sombré, mais sa memoire demeurera toujours et son travail prolongera le chemin de sa vision!
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