vendredi 19 décembre 2014

BMC, champion des champions : présentation d’une “dream team”

La semaine dernière, l’équipe de débat de la Bibliothèque Monique Calixte (BMC) a confirmé sa réputation. En effet, il a remporté, le samedi 13 décembre 2014 dans les locaux du centre culturel Pyepoudre à Fourdon, le fameux ultime duel des champions tant attendu par la communauté des débatteurs, contre l’équipe de Darbonne (champion régional -Sud), vainqueur d’un premier duel contre l’équipe de Diquini (champion régional-Ouest). Les débatteurs de notre équipe ont une fois de plus fait état de leurs talents et se sont servis de leurs expériences pour remporter haut la main ce duel qui risquait de mettre en péril le prestige de leur titre de champion national.

BMC, club champion au tournoi national été 2014 aux Gonaives

Avec cette écrasante victoire (les trois juges ont voté pour la BMC), cette équipe a donné la confirmation de son statut de meilleure équipe de l’année. Cependant, on aurait tort de penser que ces exploits ont été réalisés sans beaucoup d’efforts, sacrifices et travaux assidus. Si cet article se propose de rendre hommage à ses débatteurs et ses débatteuses pour avoir écrit cette belle page dans l’histoire du club de la Bibliothèque Monique Calixte, elle vise aussi à attirer l’attention des autres débatteurs et débatteuses du Programme Initiative Jeunes de FOKAL sur la nécessité de prendre au sérieux les séances de formations dont ils/elles ont la chance de bénéficier. Car le débat constitue une introduction à la pensée critique et un espace d’apprentissage de la citoyenneté.

Nous retracerons l’histoire de cette équipe, désormais considérée comme une « dream team », puis nous présenterons séparément les débateurs la constituant, et enfin nous expliquerons les avantages que peuvent tirer les jeunes à travers la pratique du débat.

 Toute une histoire

-          Les échecs

Cette génération de débateurs peut être appelée « génération post-Cap ». Ils font en effet partie des jeunes recrutés-es dans le club après le camp de débat qui s’est tenu au Cap-Haitien, en juillet 2012. Ce recrutement réalisé en septembre de cette même année a été très important dans la mesure où il a permis au club de pallier le vide laissé par le départ des anciens membres d’alors qui étaient tous des universitaires. Le club a donc vu l’émergence d’un ensemble de jeunes très motivés et déterminés à donner au club un titre de champion national. Après avoir suivi des séances de formation sur les techniques de débat Karl Popper et sur la recherche documentaire, joué plusieurs matchs d’essais au sein du club, ils ont participé à un premier tournoi local (tournoi organisé avec des équipes au sein du club) qui ont attiré notre attention sur leurs nombreuses faiblesses.
 
La finale perdue au tournoi régional face au club de Diquini
Ce tournoi a aussi permis de découvrir les débatteurs talentueux qui représenteront le club dans le tournoi régional organisé par la coordination en mai 2013. L’équipe de la BMC alors composée de Nerva Noel, Berry Piverger et Joseph Pierry, trois bons débatteurs d’après les commentaires des juges durant le tournoi, s’est fait éliminer en demi-finale par une équipe du collège de Cote-plage qui sera sacrée championne de ce tournoi.

L'équipe de BMC au tournoi national été 2013 à Jacmel
La même année se tiendra en juillet, le tournoi national dans la ville de Jacmel. Cette fois Berry est remplacé par Wilbert Fortuné qui fera ses premières expériences dans le débat. Il est déjà un débatteur super intéressant, maitrisant ses rôles de deuxième affirmatif (2A) et de premier négatif (1N). Malheureusement cette équipe quoique talentueuse sera éliminée dès la première phase du tournoi. Ces jeunes ont néanmoins appris beaucoup de choses sur l’art d’argumenter, sur l’esprit d’équipe et sur la maitrise de soi dans un match de débat, apprentissage qu’ils ne manqueront pas de partager avec leurs camarades dans le club.

-          La dream team
A l’exception de Laudney Ambroise, la dream team est issue de la même génération. En effet, cette équipe est composée de cette dernière qui est arrivée dans le club en octobre 2013, de Wilbert Fortuné qui a joué dans le tournoi national à Jacmel et de Ruth-Sara Monteau qui a accompagné l’équipe à Jacmel en juillet 2013. Cette équipe avait la particularité d’être très expérimentée et d’avoir un degré de confiance remarquable. Ces atouts leur ont permis de jouer ensemble trois finales pour l’année 2014, d’être donc primés trois fois de suite et de soulever deux trophées.

En effet, après avoir été battue en finale lors du tournoi régional-Ouest face à l’équipe de Diquini, ils ont tous promis à leur façon de corriger leurs erreurs et de remporter le tournoi national à Gonaïves en juillet 2014. C’est peut-être la raison pour laquelle aucun d’entre eux n’a manifesté des signes d’inquiétude, quand ils ont perdu leur tout premier match au tournoi national face à l’équipe de Darbonne. Au contraire ils ont rassuré leurs coaches et renouvelé leur promesse. De fait, ils ont gagné tous leurs autres matchs et ont été sacrés champion national pour l’année 2014 !
Préparation d'une intervention

Ce duel des champions était donc une occasion pour eux de prendre leur revanche sur l’équipe de Darbonne. Là encore, ils ont promis une victoire et ont réalisé leur promesse. Mais ce qu’il faut retenir par rapport à ce match, c’est l’autonomie de pensée dont nos 3 débatteurs ont fait montre. Ce résultat a été obtenu sans l’aide de leurs animateurs : ils ont eux-mêmes planifié leurs rencontres de travail et préparé tout seuls le match. Cela nous prouve combien l’activité  du débat peut développer chez les jeunes non seulement le sens de responsabilité mais surtout la capacité de réfléchir par eux-mêmes, d’effectuer des recherches et de produire des idées tout à fait rationnelles.

Cependant, si la relation entre les trois débatteurs parait harmonieuse durant les matchs et dans les autres espaces, elle n’est pas toujours ainsi durant les heures de travail. Fortuné se plaint toujours du caractère insouciant de ces coéquipières, alors que ces dernières le trouvent trop agressif ; tout peut être l’occasion d’une discussion qui ralentit le travail. De plus, Sara et Laudney, ayant fréquenté pendant longtemps la même école, ont toujours des histoires à se raconter, ce qui ne plait pas à Fortuné qui est toujours concentré sur son travail. Heureusement, ils ont la capacité de dépasser ces petits conflits et de se donner à fond pour réaliser un travail d’équipe. Par ailleurs si le public a noté l’assurance avec laquelle ils ont abordé leurs matchs, pour mieux comprendre ce qui fait la force de ce trio, il faut connaitre leurs qualités respectives.

Présentation du trio

-          Laudney Ambroise, la révélation
Laudney a 18 ans et vient de terminer ses études classiques. Au club, on l’appelle « Man lolo » pour avoir joué avec brio le rôle de Marie Laurence Jocelyne Lassègue dans un baloon-debate [exercice d’art oratoire et d’argumentation qui consiste à se mettre dans la peau d’un personnage public et à argumenter sur la base des contributions de ce personnage dans son environnement pour rester en vie sur un bateau imaginé]. Elle s’est fait remarquer dès ses premières réunions dans le club par sa participation active aux séances de travail, par ses interventions remarquables et par sa capacité à apprendre rapidement.
Par contre, elle a tardé à s’imposer comme débatteuse, car elle a été approximative dans les matchs qu’elle a joué au sein du club. Appliquant les conseils de ses coaches, ses progrès sont mis en évidence lors du tournoi local de son club dans lequel elle a été désignée deuxième meilleure débatteuse, son équipe ayant été finaliste du tournoi.

Ce qui fait la force de Laudney c’est sa vigueur et la profondeur de ses raisonnements. Dans le rôle de première affirmative (1A) comme dans celui de première négative (1N), elle accomplit toujours le travail nécessaire. Si on lui reproche des fois son débit qui est trop rapide et le fait de se perdre des fois dans ses explications, elle possède une grande maitrise de soi, une très bonne capacité de rebondissement qui lui permet de surprendre ses adversaires lors des contre-interrogatoires.

Elle a par ailleurs une qualité exceptionnelle : la culture de l’autocritique. Laudney sait toujours reconnaitre ses failles, après ses matchs, revient sur ses erreurs et en discutent afin d’éviter de les commettre à nouveau au lieu de chercher à les justifier. Cette attitude lui permet de s’améliorer sur chaque match. Aussi, accepte t-elle toujours ses défaites et s’en inspirent pour progresser.

-          Fortuné Wilbert, un modèle
Il est le plus jeune débatteur du club, il a 17 ans et est en classe de Seconde. Fortuné est agressif, très sûr de lui-même et fait des fois peu de confiance en ses coéquipiers. Si ce dernier point est sans conteste un grand défaut, il est difficile de trancher sur les deux premiers. En fait, Fortuné est un débatteur exceptionnel. Dès son arrivée au club, il s’est procuré le guide pédagogique de débat de la FOKAL et s’est comporté en autodidacte. Il a de ce fait bénéficié plus que n’importe quel autre débatteur des formations organisées dans le club, car il s’agissait pour lui de compléter ce qu’il avait déjà appris dans le livre.

Malheureusement à cause d’un période d’absence dans le club, il n’a pas pu participer au premier tournoi local ni au régional non plus. Il a par contre participé à son premier tournoi national en été 2013 à Jacmel, dans lequel il est passé inaperçu alors qu’il était déjà un très bon débatteur. En effet, Fortuné prend toujours au sérieux ses matchs, il effectue beaucoup de recherches et maitrise toujours le sujet qu’il doit débattre. En juillet dernier, deux semaines avant le tournoi à Gonaïves, il a présenté un exposé complet et très intéressant sur le thème de réchauffement climatique, qui était retenu pour le tournoi.

Fortuné a un esprit critique très développé qui lui permet de réfuter assez facilement les arguments de ses adversaires. De plus, sa riche culture  générale lui donne une certaine spontanéité, ce qui est très important pour un débatteur. Dans son rôle de deuxième orateur (affirmatif ou négatif), il arrive toujours à convaincre les juges avec la force de ces raisonnements et sa capacité à mobiliser des supports soutenant ses affirmations. Il est souvent désigné comme meilleur débatteur dans les matches. Comme ce fut le cas au tournoi national à Gonaïves.

-          Ruth-Sara Monteau, l’incarnation du progrès

Tout comme sa grande amie Laudney, Sara vient de terminer ses études classiques et elle a 18 ans. C’est sous l’influence de son frère qui est un ancien débatteur du club qu’elle a décidé d’intégrer le club, manifestant dès lors son désir de devenir une grande débatteuse. Cependant une fois membre du club, elle n’arrive pas à s’imposer malgré ses potentialités. C’est que Sara se révèle des fois un peu trop désinvolte et semble ne pas prendre au sérieux le débat. En 2013, elle est choisie par ses coachs malgré ses faiblesses parmi les quatre jeunes qui vont représenter le club au tournoi national à Jacmel. Malgré sa déception de ne pas avoir été choisie comme débatteuse dans l’équipe, elle en a profité pour apprendre de ses camarades et se préparer pour l’année suivante.

En mai 2014, elle a joué le tournoi local du club, mais son équipe est éliminée en demi-finale. Vu ses progrès remarquables, elle est choisie pour représenter le club au tournoi régional de l’Ouest le mois suivant. Sara peaufine son rôle de troisième, elle a une grande capacité de synthèse et possède l’audace qu’il faut pour coincer ses adversaires dans les contre-interrogatoires. Cependant, elle a été très critiquée dans le tournoi régional tant par les juges que par certains camarades. Certains camarades du club pensent qu’elle est le maillon faible de l’équipe et qu’elle ne devrait pas représenter le club au tournoi national.
 
Sara interroge un débatteur au duel des champions, 13 déc. 2014
Sara a gardé quand même la confiance de ses coaches et promet de travailler son rôle. Après son premier match au tournoi national, elle a enfin saisi le sens de la démarche à suivre pour préparer une bonne conclusion : prendre des notes ! Elle s’inspirera en effet du fameux conseil d’un de ses camarades dans le club : chaque équipe a seize (16) minutes de préparation au lieu de huit (8) car il faut aussi profiter du temps de préparation de l’équipe adverse pour se préparer. Faire une synthèse du match, montrer la faiblesse de l’équipe adverse, montrer la force de son cas, revenir sur les points clashs du match, faire ressortir les enjeux et proposer une alternative.

Sara maitrise désormais tout cela et à s’attache à les appliquer. Dans ses matchs ultérieurs, Sara a livré des performances extraordinaires. Elle est sortie deuxième meilleure débatteuse du tournoi national et ses discours de clôture au débat ont impressionné tous ceux qui ont assisté à ce tournoi.

En guise de conclusion

Il est important de signaler que ce programme de débat va au delà des tournois et des trophées. Dans une société démocratique, les pratiques argumentatives sont très importantes dans la mesure où elles peuvent contribuer à une opinion publique éclairée, nécessaire pour faire émerger une démocratie participative. Normand BAILLAGEON, un essayiste canadien, nous rappelle dans son Petit guide d’autodéfense intellectuelle, qu’il est hautement désirable que, dans une démocratie, les citoyennes et citoyens soient informés des questions qui les concernent et qu’ils en jugent et en discutent en s’efforcent de tirer des inférences valides de faits connus ou admis, autrement dit, en faisant preuve de rationalité et de pensée critique. Et pour ce dernier, apprendre la pensée critique, c’est apprendre à évaluer les arguments, à juger les informations et les idées qui nous sont soumises.


Les techniques d’argumentation sont enseignées dans les écoles américaines et européennes, mais en Haïti le système éducatif fait complètement fi de ces pratiques alors qu’on a une démocratie à construire. On comprend à ce moment, tout en faisant un plaidoyer pour l’introduction d’un cours d’initiation à la pensée critique dans les écoles haïtiennes, la nécessité d’un tel programme de débat de FOKAL, vu l’importance des débats contradictoires dans une société. Aujourd’hui encore, le débat contradictoire représente symboliquement le levier qui permet l’émergence d’une solution éclairée. Il  n’y aurait pas de citoyenneté possible sans pratiques argumentatives ; la pratique du débat et la confrontation des idées se signalent comme une contribution pédagogique à l’expression de la démocratie, dixit Grenoble Fortin, un essayiste français.

Pendant plus de dix ans, des milliers de jeunes sont formés dans ce programme de débat de FOKAL, et y puisent ce que l’école haïtienne leur refuse : le développement de leur pensée critique ! Aussi faut-il encourager les jeunes à prendre part à ces activités, car elles ne peuvent être que profitables pour eux. En dehors des valeurs promues telles le respect de l’autre, l’honnêteté intellectuelle et la tolérance, l’esprit critique s’avère un outil important dans une société où la majorité de la population ne sait ni lire ni écrire. Reste à savoir comment ces jeunes peuvent mobiliser cet outil pour se rapprocher des masses populaires laissées dans l’ignorance et pour participer eux aussi a la construction de cette démocratie tant revendiquée.

L’introduction des débats en créole dans le programme ne serait-elle pas un pas vers la réalisation de ce projet ?

Wedly Mozeau
Animateur du club de centre-ville (BMC)

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