Samedi 22 décembre 2014, a eu lieu au centre Culturel Katherine Dunham dans
le Parc de Martissant, le match de débat tant attendu par la communauté des
débatteurs, entre les clubs de Diquini et de Darbonne, les 2 champions des
tournois régionaux respectivement de l’Ouest et du grand Sud.
Si l’équipe de Darbonne a gardé la même composition qu’au tournoi
régional (Kindro Cadet, Gayle
Sloane Saint-Louis et Charlancia RÉmy), celle de Diquini a été remaniée
(qui voit l’introduction de Jean-Pierre FENDY aux cotés de Mardoché Barthelus et Stanley Pierre JEAN). Les 2 meilleurs
débatteurs des tournois régionaux s’affrontaient également, Gayle Sloane Saint-Louis et
Stanley Pierre Jean.
Le centre culturel Katherine Dunham au Parc de Martissant |
Environ une centaine de jeunes venues en délégation pour leurs clubs
(Cote-Plage, Diquini, Darbonne, BMC, Fond Parisien, Martissant) ont assisté à
cet important match qui s’annonçait
excitant, tant le sujet faisait déjà des vagues dans les 2 clubs en
compétition, sur WhatsApp entre les animateurs dans le programme.
Une partie du public assistant au match de débat |
Après le tirage au sort, l’équipe de Diquini a décidé de défendre la
position affirmative qui soutient le sujet tandis que l’équipe de Darbonne a
joué la position négative qui rejette la résolution qui est la suivante : « Les produits locaux sont à privilégier chaque fois
que possible, même si les recettes de l’Etat dépendent des taxes sur les
produits importés ».
Sécurité alimentaire vs baisse
des revenus de l’Etat
D’entrée de jeu, Diquini a contextualisé le débat en évoquant le
problème d’insécurité alimentaire dans les pays en voie de développement, une
façon habile de placer d’emblée l’enjeu du débat à une échelle internationale. L’équipe
a pointé également le déséquilibre des revenus de l’Etat haïtien provenant à
96% de recettes fiscales sur les produits importés et 4% seulement des recettes
non fiscales. Puis, l’équipe a fourni deux arguments :
L'équipe du club de Diquini |
Leur premier argument stipule que privilégier les produits locaux « permettrait de développer l’économie locale ».
Cela augmenterait, selon eux, l’investissement pour la création d’entreprises
locales, qui auront un impact significatif sur l’augmentation du nombre
d’emplois créés et des revenus en hausse pour la population. Tout ceci
contribuerait alors à l’expansion de l’économie locale.
Darbonne a rejeté cet argument en expliquant que « privilégier les produits locaux ne développera
pas l’économie locale, puisque ce serait dire non aux produits importés alors
que les revenus de l’Etat dépendent largement des taxes prélevées sur eux. […]Cela conduirait à une augmentation des prix
de ces produits que nous ne produisons évidemment pas ». Ainsi, l’Etat
se privera de 96% de ses recettes.
Jean-Pierre Fendy (Diquini) interroge Gayle sloane St-Louis (Darbonne) |
Diquini a soutenu dans leur 2e argument que privilégier les
produits locaux « … garantirait la
sécurité alimentaire de la population », laquelle qui repose sur 4
piliers : la disponibilité de la
nourriture, l’accès à la nourriture, la stabilité de la production de la nourriture
et la régularité satisfaisante de la nourriture ». Pour arriver à ce
résultat, L’Etat doit subventionner ou rabaisser les prix des produits locaux,
investir dans l’agriculture.
L’équipe de Darbonne a réfuté l’argument en montrant qu’il n’y a aucune
protection de nos produits sur les marchés locaux [NDR : là, ils ont confondu
protection sanitaire des produits et sécurité alimentaire]. La situation
sanitaire est alarmante car nos produits alimentaires sont exposés à même le
sol et dans des endroits insalubres, tandis que les produits importés sont dans
des emballages, bien protégés. Ils ont aussi cherché à savoir où L’Etat
trouvera l’argent pour financer un tel projet.
Privilégier ou améliorer,
telle est la question
L’équipe de Darbonne a, par contre, affirmé que « favoriser les produits locaux aura une répercussion négative sur
les recettes publiques », dont la mesure « …causerait une diminution des revenus de l’Etat », autrement
dit une baisse de ses recettes fiscales qui, ont-t-ils précisé, s’élèvent à
44.6 milliards de gourdes pour l’exercice de 2012-2013. Ils ont cité
l’économiste haïtien, Evens Prosper, qui a informé dans un article que l’Etat
haïtien récolte au total 300 millions de dollars américains sur la taxation des
produits importés de la République dominicaine.
Stanley Pierre Jean (Diquini) interroge Kindro Joseph (Darbonne) |
Ce qu’a contesté Diquini qui précise que les taxes de l’Etat ne
dépendent pas seulement des produits importés. Par ailleurs, ils ont fait
comprendre que non seulement « …l’importation
des produits étrangers ne sera pas interdite », mais encore « l’Etat peut prendre aussi des taxes sur les
produits locaux ».
Darbonne a poussé plutôt pour une amélioration des produits locaux dans
leur présentation, leur conditionnement, l’empaquetage et le transport, mais non
pour leur accorder un privilège par rapport aux produits importés. Les produits
locaux sont présentés et vendus dans de mauvaises conditions d’hygiène. Il faut
les améliorer pour pouvoir les vendre aussi à l’étranger pour susciter une concurrence
nécessaire à l’avantage de nos produits.
Mardoché Barthelus de Diquini, en plein discours |
Diquini s’inscrit en faux contre ce raisonnement en expliquant que les
produits étrangers ne sont pas mieux lotis que les locaux, en rappelant
l’exemple du salami dominicain largement importé et consommé en Haïti, mais dont
les problèmes d’hygiène ont valu une interdiction à ce produit par le
gouvernement actuel, ou encore des fruits importés cueillis avant leur
mûrissement pourrissent à leur arrivée sur le marché local.
L’équipe de Diquini a fait valoir également qu’améliorer les produits
locaux, c’est déjà leur accorder une forme de privilège : « L’Etat donne un privilège aux produits
locaux en les améliorant », confirma un membre de l’équipe, voulant
montrer par ce retournement que Darbonne les a rejoints dans leur position.
Mais la controverse sur la définition des mots privilégier (donner des avantages) et améliorer (rendre meilleur) a rendu le jury et l’auditoire
plutôt confus.
Une confrontation idéologique
L’équipe de Diquini a milité clairement pour la création d’un fonds de soutien
à la production locale et à l’exportation des produits locaux, car pour eux,
« l’Etat peut créer des débouchés
pour des produits et les entreprises locales », pour permettre le
développement du pays. « Il faut
transformer les produits locaux, les valoriser ».
L'équipe du club de Darbonne |
L’équipe a livré en quelque sorte un plaidoyer pour la sécurité
alimentaire de la population, mise à mal selon eux par « …le libéralisme économique qui a amplifié
les problèmes du pays ». Mais il faudra rendre le pays capable de
produire, comme le recommande la FAO, le Fonds des Nations Unies pour
l’Alimentation et l’Agriculture, dirent-ils.
L’équipe de Darbonne a insisté sur l’idée que « pour privilégier, l’Etat doit augmenter les
taxes sur les produits importés ». Or, ce n’est pas la panacée,
puisque cela va créer l’inflation. Elle croit au contraire que les importations
peuvent faciliter la croissance et contribuer à améliorer le niveau de vie de
la population.
Les débatteurs serrant les mains de leurs adversaires et du jury |
Puisqu’aucun pays ne peut empêcher l’importation de produits sur son
territoire et que le pays n’a pas les moyens pour financer la politique
préconisés dans la résolution, l’équipe conclut qu’« il faut panser le malade là où il est blessé ».
Si confrontation idéologique il y a, comme l’équipe affirmative l’a fait
comprendre, ce serait une victoire du libéralisme, défendue par les débatteurs
de Darbonne, sur le protectionnisme promu par ceux du club de Diquini.
Un verdict contrasté
L’équipe défendant la position négative (Darbonne) a gagné le débat par
2 à 1. La seule des 3 juges qui a voté pour l’équipe de Diquini a été
convaincue par « la cohérence
d’ensemble de leur position, qui s’est surtout reflétée dans le discours du 3e
orateur ». Elle a aussi souligné sur son bulletin que l’équipe « a su gérer les moments-clés du match,
notamment la confrontation sur les notions d’amélioration et de privilège ».
Le jury |
Un autre juge a mis en avant « la
bonne présentation et les nombreux supports » aux arguments de
l’équipe de Darbonne qui ont motivé son vote. Il a déploré le fait que « le discours affirmatif n’est pas assez
travaillé ». Il a relevé les contradictions de l’argumentation de
Diquini, se demandant « si on taxe
les produits locaux, où sera le privilège », ou encore l’incapacité de
l’équipe à fournir des réponses satisfaisantes aux contre-interrogatoires.
L'équipe de Darbonne fêtant leur victoire avec leur coach |
Le dernier juge a voté pour Darbonne, car il a trouvé que leur
argumentation a le mérite d’être clair, simple et constante (particulièrement
le 1er argument). Il a pointé le manque de lien de causalité du 1er
argument de l’équipe affirmative (Diquini), jugé trop imprécis. Il a sanctionné
leur suivisme à l’égard de Darbonne qui les a enfermés dans un discours sur la
protection des produits alimentaires alors qu’elle défendait la sécurité
alimentaire (qui a été mal interprétée par Darbonne). Diquini a raté ainsi une
belle occasion de pousser hors du débat leurs adversaires.
Les leçons de ce duel
Les filles confirment encore une fois leur puissance dans le débat.
Charlancia RÉMY de l’équipe de Darbonne a gagné le titre de meilleur débatteur
du match, remportant de justesse le titre face à Stanley Pierre JEAN de Diquini. Elle a fait la
démonstration de ses capacités par le tranchant de ses questions à son
adversaire, par la maîtrise du dernier discours pour son équipe (voir son profil
sur notre page Facebook et le blog du PIJ).
Charlancia Rémy, meilleure débatteuse du match |
Ce duel donne sans nul doute plus de piment à la confrontation de débat
entre le club de Darbonne et le club de BMC, champion national 2014 en titre.
Ce dernier sait à quoi s’attendre vu qu’il a eu le temps de voir venir une
redoutable équipe de Darbonne, rassurée et renforcée par sa dernière victoire.
Ce ne sera pas un concours de beauté !
Jean-Gérard Anis
Coordonnateur du Programme Initiative Jeunes
FOKAL
Points des débatteurs
Charlancia Rémy = 86
Stanley Pierre Jean = 85
Gayle Sloane Saint-Louis = 81
Kindro Cadet = 80
Jean-Pierre Fendy = 78
Mardoché Barthelus = 78
Points des débatteurs
Charlancia Rémy = 86
Stanley Pierre Jean = 85
Gayle Sloane Saint-Louis = 81
Kindro Cadet = 80
Jean-Pierre Fendy = 78
Mardoché Barthelus = 78
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