mercredi 16 mars 2011

Les pieds dans le plat: Haiti, 20 mars 2011, par Gary Victor

I l faut le répéter, le marteler. Jamais sortis des miasmes du duvaliérisme en dépit des gesticulations des uns et des autres, tous les gouvernements qui ont suivi ont repris les mêmes postures, les mêmes comportements, à la seule différence, qu'avec la nouvelle conjoncture internationale et les côtes américaines proches, il y a des choses qu'on ne peut plus faire. Mais on a fait peut-être pire avec la distribution des armes et de la drogue à des enfants qui allaient devenir des chefs de guerre, des chefs de gang et les nouveaux chiens de garde des nouveaux pouvoirs. On a perverti le fonctionnement de nos universités publiques jusqu'à ce qu'elles soient devenues maintenant. Une classe politique nulle, sans imagination, méprisant la population, soucieuse seulement de glorieuses manœuvres d'antichambre pour négocier, avec les princes du moment, postes et privilèges, a creusé la tombe de ce pays. 

Le dernier épisode de ces doctes politiciens rassemblés pour demander le départ du président Préval, allumant des bougies et faisant des professions de foi nationaliste, était pitoyable à en pleurer. Le peuple dans la rue s'est esclaffé de cette comédie surtout après avoir entendu les propositions dérisoires, pour ne pas dire démentielles de ce groupe.  










Beaucoup de gens en regardant le débat de mercredi soir ne se sont pas rendu compte que tout s'est joué dans cet espace de refus, de rejet, de dégout de cette classe politique dont René Préval est vu comme l'aboutissement absolu. Madame Manigat a été égale à elle-même, calme, maîtrisant ses dossiers mais sans comprendre ou sans vouloir entrer dans la sphère essentielle de cette confrontation électorale, c'est-à-dire la sanction des politiques. Michel Martelly a été comme toujours provocateur, brouillon dans ses propos, brandissant la menace de la rue dans un mauvais style aristidien, agités, visiblement pas sûr de lui dans certains moments. Il a seulement compris qu'il devait profiter des cadavres de cette classe politique que la rivière du dégout populaire entraine vers la mer. La population veut que ces cadavres disparaissent vite de leur vue. Alors Martelly martèle, répète à satiété qu'il faut mettre fin à l'ancien système et qu'il représente le «nouveau, une autre manière de penser » . Il reprend des réflexions de la rue : ceux qui étaient au pouvoir ont vu comment les pays étrangers fonctionnaient. Ils sont revenus comme s'ils étaient aveugles. Il continue : des gens du Cap sont morts durant le tremblement de terre à Port-au-Prince parce qu'ils étaient obligés de venir faire leur passeport à Port-au-Prince. 

Bref mais dévastateur dans un contexte où on ne veut plus de ceux qui ont piloté l'échec patent de ces vingt dernières années. Qu'on ne parle même pas de ceux qui ont fait le coup de feu contre le peuple en 1992-1993. Ceux qui avaient cinq ou dix ans à l'époque ont aujourd'hui 20, 25, ans et sont à l'université et ont le droit de vote. Seul ce quotidien ignoré des politiques les intéresse. Les incapables, les imposteurs qui ont gouverné ce pays durant ces vingt dernières années n'ont même pas compris qu'une société change au fil du temps et que le discours politique ainsi que les pratiques doivent se mettre au diapason. Sauf que, niveau discours et pratique politique, cela avait été toujours sans consistance.
 

Le drame dans cette histoire c'est que tout comme en 1991 ou le slogan était aussi le rejet des 29 années de duvaliérisme, et maintenant le rejet de ces 20 ans de maffia de gauche lavalassienne, le raz de marée des électeurs n'a que son ressentiment dans sa djakout, sans les outils lui permettant d'analyser les vraies causes de l'échec et surtout les mécanismes mis en place pour sa propre manipulation. On ne se pose pas cette question dans la rue- on ne lui permet pas de poser cette question-Pourquoi à chaque période électorale, parmi les candidats en présence, c'est toujours le plus incapable qui passe la rampe ? 

On pense immédiatement à Tonton Nord et Firmin, Déjoie, Jumelle et Duvalier, Aristide et Marc Bazin, Préval et Manigat. Avant de parler de l'échec des intellectuels, il faudrait avant tout parler de cette bourgeoisie affairiste haïtienne, bouffeuse de diplomates, de journalistes et d'experts internationaux, bourgeoisie qui ne veut s'accommoder que de valets et de médiocres au pouvoir pour qu'elle puisse continuer à faire des affaires sur le dos de la population. Il ne faudrait pas aussi oublier l'international qui tient toujours, sous couvert d'une non-ingérence hypocrite- à avoir un Yes sir à la présidence.
 

L'histoire va-t-elle se rejouer à partir des élections du 20 mars ? Celui ou celle qui passe, bien avant la capacité intellectuelle, aura-t-il ce mouvement d'humeur salvateur contre la crasse, la boue et la corruption ? Acceptera-t-il de s'imprégner de ce dégout légitime de la population pour ces pratiques cadavériques pour donner des coups de balai permanents dans son entourage proche, pour en chasser les traditionnels requins et prédateurs salivant à l'idée des contrats juteux qui vont suivre, afin que finalement on ait un gouvernement dont la priorité devienne le relèvement de la nation ? Un relèvement qui ne peut passer que par des politiques visant à faire de chaque haïtien quelqu'un d'autre, un autre citoyen, certain qu'un mieux-être est possible, que la merde qu'on veut lui offrir n'est pas son seul horizon, un citoyen capable de se prendre lui-même en main, et surtout ayant le bagage intellectuel suffisant pour que dans les années à venir nous puissions avoir une classe politique déjà capable de jouer son rôle.
 

Pour casser le cercle vicieux, on ne peut pas être gentil.
Il faut casser !


Gary Victor
Tiré du journal haïtien Le Nouvelliste du 11 mars 2011

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