mercredi 19 février 2014

« Le débat, un sport de combat ... », dixit une débatteuse

« Le débat, un sport de combat avec les mots pour armes », dixit une débatteuse

FOKAL inaugure ce mois-ci une nouvelle rubrique de Nouvèl Fokal, la newsletter de la fondation qui parait tous les mercredis. En effet, chaque mois, Nouvèl FOKAL va interroger un jeune débatteur d’un club de débat sur un sujet qu’il a eu à traiter dans un débat : qu’a-t-il appris en préparant ce débat ? A-t-il changé de point de vue ?

L’objectif de cette initiative du PIJ est de faire connaitre la parole des jeunes, d’avoir le point de vue des jeunes interviewé(e)s sur des questions de société qui interpellent la jeunesse, les Haïtiens et Haïtiennes en général. Bien qu’on dise que la voix des jeunes est importante, cependant elle est rarement sollicitée et valorisée en Haïti. Nous voulons ainsi rompre avec cet enfermement qui les bride, et libérer leur parole.

Ruth Sarah Monteau (18 ans), débatteuse au club BMC
Pour cette première, Ruth Sarah MONTEAU (18 ans), membre du club de débat de la Bibliothèque Monique Calixte (BMC) à FOKAL, a été interviewée jeudi 13 février 2014. Elle est en Terminale au collège évangélique Maranatha à Tabarre, où elle vit. Son intervention a porté sur son expérience de débatteuse au sein de son club et l’impact que l’exercice du débat a sur sa vie.

Un début enthousiaste

« Mon frère venait souvent au club et je l’accompagnais toujours pour le regarder jouer. Cela [le débat] m’a intrigué. J’étais enthousiaste et je voulais y participer. Un jour, je suis venue faire ma carte de bibliothèque à la BMC et je me suis inscrite au club ». Sa première expérience comme débatteur remonte au mois d’avril 2013 quand elle a participé au tournoi de son club. Cela s’est bien passé même si son équipe n’a pas gagné.

Au tournoi régional de débat en juin à FOKAL, elle a été préférée à un débatteur plus expérimenté qu’elle. Sa participation au tournoi de Jacmel a été, selon elle, un échec.  «  On essaiera quand même de gagner un tournoi », promet-elle. Malgré tout, elle est fière que l’animateur du club l’ait choisie comme une des 4 meilleurs du club pour former une équipe.

Débattre, une autre manière de voir le monde

Sarah MONTEAU considère le débat comme « un sport de combat avec les mots comme armes », définition que lui inspire le film du célèbre acteur noir américain Denzel Washington, The Great debaters. Elle affirme qu’« un club de débat en soi aide un jeune à avoir l’esprit critique, à ne pas tout accepter comme une évidence, à demander le pourquoi des choses, à vérifier les sources ». In fine, « débattre, c’est une autre manière de voir le monde ».

Elle se rappelle d’un débat qui l’a marqué. Il faut instaurer l’éducation sexuelle à l’école. Tout un programme. L’argument selon lequel cela permettra d’éradiquer les tabous l’avait séduit. « C’est pas quelque chose de nouveau. Dans certaines écoles en Haïti, chez les Sœurs particulièrement, et à l’étranger, on le fait », confirme Sarah.

« J’ai appris à écouter, à prêter attention aux gens avant de réagir à quoi que ce soit »

Quand Nouvèl Fokal a voulu savoir l’impact de l’expérience au sein du club sur sa performance académique, elle répond qu’elle a « appris à avoir l’esprit critique, l’esprit d’équipe. Cela m’a aussi appris à penser, à avoir des connaissances, à apprendre à vivre avec mes camarades ». Elle ajoute que, sans vouloir toujours contredire les autres « à l’école, je demande toujours aux élèves de chercher des sources, de connaitre le bien-fondé de quoi que ce soit, de ne pas juger à la minute ».

« Dans ma vie personnelle, j’écoute. J’écoute d’abord avant de dire quoi que ce soit. J’ai appris à écouter, à prêter attention aux gens. […] Quand on débat, on doit écouter l’adversaire, on doit prêter attention à ce qu’il dit avant de faire quoi que ce soit ». C’est un nouveau trait de caractère qui n’a pas échappé à ses ami(e)s dont l’un lui dit souvent qu’elle devait suivre des études de droit, parce qu’elle a « appris à questionner, à ne pas tout accepter comme une évidence, à demander le pourquoi des choses ».

Sarah est fière d’affirmer que le débat l’a changé en profondeur : « Ce n’est pas seulement ce comportement que le débat m’a appris. Avant, j’étais vraiment timide. Chaque fois que je prenais la parole, j’avais le stress. Le débat m’a appris à éradiquer cela ». Dont acte.

« Les Dominicains étaient plus préparés que nous au camp de débat à Jacmel »

Quand on la questionne sur les exigences du débat, elle a parlé de la lecture, sa passion. « Avant de débattre, on fait des exercices, on prépare le match. Mais il y a des jours qu’on réserve pour lire afin de savoir plus sur le sujet, de lire plusieurs livres pour entrer en profondeur dans le sujet. On lit beaucoup. » Quand on revient avec elle sur la victoire des Dominicains au tournoi national à Jacmel l’été dernier, elle témoigne doctement :

 « Ils étaient beaucoup plus préparés que nous. Ils avaient beaucoup de petites notes dactylographiées. Ils ne profitaient pas du camp. Ils étaient sur la cour à bavarder avec nous, mais ils prenaient le temps la nuit de faire des exercices. J’ai partagé une chambre avec une Dominicaine. Elle était très enthousiaste. Elle disait : Ah ! J’ai entendu dire que le club de Santo [contre laquelle elle a joué la finale] est top. On doit se préparer. Mais je crois que quand même ils la méritaient [la victoire]. Mais le club de Santo aurait pu l’emporter », acheva t-elle dans un soupir.

« De l’audace ! De l’audace ! Encore de l’audace ! »

Sarah estime que ce qui fait l’étoffe d’un bon débatteur se résume à 3 choses : « De l’audace ! De l’audace ! Encore l’audace ! », pour répéter l’animateur responsable de son club. «  Mais moi je dis que je suis maligne. J’arrive  toujours à avoir ce que je veux. Je cerne mes adversaires afin qu’ils me disent, qu’ils admettent sans le savoir le bien-fondé de ce que je dis ». Cependant elle confesse quelques faiblesses en elle qui parfois plombent son équipe : « Ma plus grande faiblesse, on me le dit souvent, est que, à chaque fois que mes coéquipiers vont prendre la parole, je leur dis souvent ce qu’ils devraient dire, ce que j’aurais dit. On me dit que c’est pas bien ».

Loin de s’en alarmer, elle affirme avec vigueur : « J’ai beaucoup de force [entendez par là points forts]. Mais ma plus grande est la confiance en moi-même ».

« Le débat devrait être médiatisé en Haïti »

Par ailleurs, Sarah regrette que le débat soit l’apanage d’un petit groupe. « Pourtant, il y a des gens qui auraient aimé nous écouter. Je ne dis pas qu’on devrait être des révolutionnaires, mais les débats devraient être diffusés à la radio, à la télé dans le but de changer. Oui, les concours de débat devraient être médiatisés ». Tout un sujet de débat.

« Je dois dire que le débat pourrait viser l’épanouissement des jeunes. Le débat pourrait les aider à avoir la confiance en soi, l’estime de soi. A vrai dire, je crois que les jeunes pourront savoir aussi qu’il y a quelque chose de bon dans le débat, que la connaissance doit être acquise, qu’un club leur serait utile, surtout en Haïti ».

« Je dois féliciter ce programme de FOKAL, parce que c’est vraiment quelque chose de bien », conclut-elle.


Propos recueillis par Nouvèl FOKAL
13 février 2014

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