Le Nouvelliste | Publié le 12 février 2014
Plus
d’un siècle de négligence d’État a abouti à un drame humain qui menace
l’existence de plus de 200,000 Dominicains d’ascendance haïtienne. Les
gouvernements haïtien et dominicain ne se sont jamais préoccupés des droits des
migrants ni en situation de travail en République dominicaine ni à leur retour
en Haïti. Pire, certains groupes d'industriels dominicains qui ont profité de
cette main-d’œuvre à bon marché et des ultranationalistes se sont radicalisés.
Quand ils n’en ont eu plus besoin, ils ont érigé en doctrine politique l’exclusion
des descendants des migrants qu'ils jugent encombrants, politiquement, voire
ethniquement. C’est ce qui a conduit à la sentence 168-13 qu’Haïti et la
communauté internationale ont pour devoir moral de continuer à refuser, sans
détour, pour éviter le drame humanitaire et sécuritaire d'une apatridie massive
sans précédent dans les Amériques. Il importe de souligner au passage que les
descendants de la même génération de coupeurs de canne partis à Cuba au début
du vingtième siècle, sont devenus des citoyens cubains jouissant pleinement de
leurs droits civils et politiques.
Le devoir d’assister nos compatriotes
Mais
au-delà de l’inacceptable, il est venu aussi le moment de nous demander comment
nous en sommes arrivés là ? Haïti a pendant plus d’un siècle ignoré et traité
en parent pauvre sa diaspora en République dominicaine. Rien dans les postes
frontaliers, jusqu’à tout récemment, comme espace de réception. Partout les
travailleurs haïtiens sont vulnérables et ceux qui reviennent en Haïti sont
exclus, faute d’un dispositif d’accueil. Ils sont donc abandonnés à leur sort
avec comme seule option de repartir. Alors, demandez aux organismes de droits
humains comment le pays reçoit ses migrants à leur retour depuis des décennies.
Aujourd’hui,
la République dominicaine met en place un plan de régularisation des étrangers
vivant en situation irrégulière sur une période de 18 mois. Ceci risque d’avoir
un impact sur la vie de près de 500 000 haïtiens. Plus que jamais, nous nous
devons de garder ouverts les canaux de discussions avec la République
dominicaine pour nous assurer que cela se passe dans les meilleures conditions.
C’est là tout le dilemme entre la « colère juste » face à l’inacceptable et le
devoir d’assister nos migrants sur place et nos compatriotes qui pour de
multiples raisons partent en République dominicaine. En effet, demandez aux
voyageurs du grand nord d’Haïti pourquoi ils continuent dans l’immense majorité
d’utiliser l’aéroport international de Cibao, ou les hôpitaux de Santiago.
Demandez aux citoyens d’Anse-à-Pitre pourquoi ils continuent d’emprunter les
routes dominicaines pour se rendre à Port-au-Prince. Demandez à ces parents
frontaliers pourquoi leurs enfants fréquentent tous les matins les écoles
primaires dominicaines de Elias Pina, de Limon, Jimani ou de Dajabon ? Demandez
à ces milliers de jeunes frontaliers pourquoi ils continuent de faire leurs
valises cette année encore pour aller travailler dans la construction ou le
tourisme ?
La nécessaire reconnaissance de l’apport de la
diaspora
En
revanche, les discours condescendants de certains officiels dominicains sur
leur solidarité avec le peuple haïtien doivent être mis en contexte. Certes,
l’aide dominicaine au moment du séisme du 12 janvier restera un témoignage de
solidarité, tout comme en 1930, Haïti a aussi aidé à surmonter les graves
dégâts causés par le cyclone San Zénon, tel que rapporté dans les journaux
d’époque. Mais, en aucun cas on ne saurait considérer comme de la charité
l’accès aux soins et à l’éducation des travailleurs migrants ou de leurs
descendants. En effet, il est important que ces travailleurs migrants aient le
même traitement que les nationaux, d’où l’intérêt de la régularisation de leurs
conditions de séjour, faute de quoi, ils pourraient se voir refuser l’accès à certains
services sociaux de base. Ils ont aidé à construire de leurs sueurs le métro de
Santo-Domingo, les complexes touristiques de Punta Cana et cultivent la plupart
des produits agricoles exportés un peu partout à travers le monde par la
République dominicaine, incluant Haïti. Ils contribuent, aujourd’hui, pour pas
moins de 5% du PIB dominicain. Aussi longtemps que demeurera le déséquilibre
économique entre les deux pays, cette mobilité de la main-d'œuvre haïtienne se
poursuivra.
L’urgent devoir de maison
Quant
à la frontière terrestre longue de 391 kilomètres, Haïti a abdiqué, tant sur le
plan commercial que sécuritaire. Elle a elle-même démobilisé ses forces armées
qui tant bien que mal gardaient les postes frontaliers face à l’armée
dominicaine. L'idée de reconstitution des forces armées d'Haïti est décriée à
cor et à cri alors que, paradoxalement, l'on dénonce, impuissant, les abus de
soldats dominicains à la frontière dont on réclame la cessation. Haïti a
désinvesti également au niveau de la production agricole frontalière acculant
ainsi une population déjà vulnérable à vivre Presque exclusivement du commerce
d’importation de produits dominicains.
Par-delà
la colère et l’indignation, la fierté nationale reviendra pleinement quand on
aura offert, au moins, les mêmes opportunités sociales et économiques à nos
compatriotes en Haïti. La fierté nationale passe par un devoir de
développement. Je le dis clairement et j’assume. C’est à ce prix que nos
relations avec la République dominicaine se stabiliseront durablement afin de
profiter pleinement des opportunités communes au niveau économique. L’ile
entière peut et doit devenir un espace socio-économique de progrès et
d’inclusion pour les deux peuples qui la partagent.
Pourvu
aussi que cette juste colère face à l’inacceptable, nous rappelle une fois pour
toute l’existence de cette diaspora haïtienne en République dominicaine,
ailleurs dans les Caraïbes et récemment en Amérique du sud dont nous ne nous
souvenons qu’entre deux grands titres de journaux.
Nesmy Manigat - Ouanaminthe
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