La deuxième édition du concours de plaidoirie organisé par le Bureau
des Droits Humains en Haiti (BDHH) a tenu toutes ses promesses. La cinquantaine
de participants(e)s à cette compétition dépassant le seuil de l’édition
précédente, l’intensité et la qualité des joutes oratoires entre les
compétiteurs, les importantes personnalités du Barreau de Port-au-Prince, et
diplomatiques le public impressionnant qui ont assisté à finale (salle comble
dans l’importante prétoire de la Cour de Cassation au Camp-de-Mars), ont
démontré le caractère impressionnant de ce concours qui s’impose désormais
comme incontournable.
Mme Pauline Le Carpentier du BDHH |
Le concours, un véritable marathon
Après une phase éliminatoire où 34 candidat(e)s ont été sélectionnés sur les
résultats d’une dissertation écrite qui les invitait à soutenir des thèses pour
ou contre les sujets suivants : le droit d’ingérence, l’immunité
parlementaire, les quotas de femmes, le droit de grève dans les hôpitaux, la
responsabilité de l’Etat lors des catastrophes naturelles, j’ai eu le privilège, en tant que représentant de FOKAL, partenaire du concours avec
l’université Quisqueya, d’assister aux confrontations en quarts de finale entre
des jeunes débats.
Les quarts de finale entre
8 candidat(e)s qui ont eu lieu à l’université Quisqueya, un des parrains du
concours, avec les ambassades du Canada et de la Suisse, avaient déjà montré la
mesure des aptitudes remarquables des 4 débatteurs qui se sont hissés à
demi-finale qui a eu lieu dans l’imposante salle d’audience de la Cour de
Cassation, située au Champ de Mars, vendredi 26 janvier 2017
En présence d’un jury composé des avocats Jacques Lethan, Monferrier
Dorval, Frantz Poteau, Jules Baptiste, et de la juriste belge Stéphanie
Rodriguez, et des personnalités de marque telles que le président de la cours
de Cassation, Maitre Jules Cantave, de l’ambassadeurs de Suisse en Haiti, de la
présidente et de la directrice exécutive de la fondation Fokal. Trois sujets
étaient en débat : la justice privée et le recours à l’état d’urgence pour
les demi-finales, la légitimité de la justice pénale internationale pour la
grande finale.
Justice
privée contre justice étatique, le duel entre médiation et coercition
Dans la première demi-finale, dont vous livrons un petit compte-rendu, Rosemina
Perrin Noel, qui défend la justice privée a posé le postulat suivant : en
raison de nombreux conflits dans la société, on doit trouver des moyens
alternatifs pour les résoudre. Ces conflits sont soit matrimoniaux (entre
conjoints), prudhommaux (entre employeur et salarié), sociaux (entre entreprise
et syndicat). La justice privée est une forme de justice alternative qui repose sur la médiation, la conciliation,
l’arbitrage.
Rosemina Perrin Noel |
La justice privée est, selon elle, un moyen alternatif efficace tout
indiqué pour résoudre les conflits parce que 1) elle permet d’éviter une
surcharge de travail aux tribunaux d’Etat qui croulent sous les affaires ;
2) elle est une justice à moindres couts, humain et financier. Généralement,
ces genres de conflit cités sont résolus à la Chambre de conciliation et
d’arbitrage d’Haiti.
Joassaint James Peterson s’est opposé vigoureusement à la justice
privée. Pour lui, la justice est fondamentale dans une société et doit être
obligatoirement rendue par une autorité étatique. La justice privée a deux
acceptions : elle est une alternative certes à la justice étatique, mais
il est aussi le fait de se faire justice soi-même, ce qu’il n’a pas manqué de
souligner pour le jury.
Joassaint James Peterson |
Rosemina lui a rétorqué qu’on ne peut pas rejeter la justice privée
pour ses limites et faiblesses, qu’on n’a pas à l’opposer à la justice étatique
puisque les 2 combattent l’injustice. Cependant, la justice privée est
supérieure car elle cherche l’entente avant tout, à résoudre un problème au
préalable avant qu’il dégénère en conflit, au bénéfice de toutes les parties.
Cela a été le point gagnant de ce match.
La justice internationale en
procès
La grande finale de concours de plaidoirie s’est jouée entre Rosemina
Perrin Noel et Aladin Mackenson, les 2 gagnants des demi-finales de la journée.
Le duel s’est noué sur la la légitimité de la justice pénale internationale. Un
sujet qui fait des remous en Afrique depuis l’année dernière.
Rosemina affirma, au début de son plaidoyer, que les tribunaux pénaux internationaux
pour la Yougoslavie (TPIY), pour le Rwanda (TPIR), la Cour pénale
internationale (CPI) entre autres, sont des moyens productifs pour lutter
contre l’impunité et les injustices sur les populations civiles dans le monde. Selon
elle, la justice pénale internationale ancre sa légitimité dans ces 2 pouvoirs
d’influence :
Premièrement, elle prévient le retour des tragédies dans certaines
zones de la planète (génocide, massacres, viols de masse, crimes de guerre…),
punit les auteurs des crimes contre l’humanité, et offre un régime de
protection de droits aux non combattants et aux victimes.
Deuxièmement, son indépendance garantit une justice non partisane,
juste et équitable, capable de fermer les cicatrices conduisant à la paix
réelle. « Il ne peut y avoir de paix
sans justice et respect des droits humains ».
Mackenson Aladin, champion du concours |
De plus, les Etats les plus puissants du Conseil de sécurité de l’ONU
(Etats-Unis, Russie, Chine) ne reconnaissent pas la CPI, bien que ce soit eux
qui l’ont créée. C’est pour cette raison que la CPI se heurte à l’hostilité de
plusieurs Etats africains de l’Union africaine (UA) qui ont boycotté des
mandats d’arrêts qu’elle avait lancés contre les présidents Omar El Béchir (Soudan) et Khadafi (Lybie).
La CPI est une vision de l’Occident, fondée sur le système de justice
anglo-saxon. C’est une justice opportuniste, qui ferme les yeux sur les guerres
déclenchées par les Occidentaux en Lybie, au Yémen, en Irak. C’est une justice
médiatique dont les chaines américaine CNN et européenne Euronews sont les
procureurs.
Face à la charge offensive de Mackenson, Rosemina que nous devons
justement faire en sorte que les Etats comprennent la nécessité de la CPI, car
ce sont les victimes qui saisissent la CPI. Elle interpella l’auditoire :
« Doit-on rester indifférent aux
crimes commis, aux barbaries ? » Puis elle conclut son
argumentaire en rappelant que la CPI est légitime parce qu’elle a son fondement
dans une convention internationale ratifiée par des Etats souverains.
Son adversaire rejeta cet argument en rappelant que la CPI est
incapable de juger les crimes des pays puissants, ce en quoi elle est partiale.
Elle ne considère pas la présomption d’innocence pour les inculpés. Elle
s’appuie sur les seules enquêtes d’ONGs, bras inquisiteurs des pays qui la
financent.
Enfin, Aladin a terminé son réquisitoire par cette affirmation
péremptoire: « La justice pénale
internationale est une justice des vainqueurs, une justice pour les forts, mais
pas pour les faibles ».
Résultats et enseignements du
concours
Aladin Mackenson a été sacré « Champion de la 2ème
édition du concours », au verdict final du jury. Certificats et de
multiples primes ont été donnés au vainqueur et aux 3 autres débatteurs du
dernier cercle du tournoi, sous les applaudissements nourris de l’assistance et
à la satisfaction des partenaires de l’événement et des organisateurs.
Le concours a été une épreuve difficile pour les compétiteurs, épuisant
les nerfs, même les meilleures volontés, au point de provoquer le désistement
de l’un des concurrents empêchant par conséquent la tenue de la petite finale
entre les 2 perdants des demi-finales. Bien des points mériteraient d’être
améliorés tels que par exemple d’accorder une plus grande importance aux
réfutations des arguments.
Cependant, l’effet collatéral de cette compétition est qu’indéniablement
elle a permis de faire émerger de véritables talents du droit, rompus à
l’exercice de l’argumentation et du plaidoyer, et qui sont déjà remarquables
dans l’art de la plaidoirie, arme de combat par excellence des professionnels
du droit et de la justice.
Jean-Gérard Anis
Coordonnateur du Programme
initiative Jeunes, FOKAL
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire