Dinon Murlène Hyppolite |
Dinon Murlène
Hyppolite est débatteuse du club de débat du Cap-Haitien. Elle est en rhéto au
collège Regina Asumpta.
Elle a participé à
la consultation des jeunes de cette ville que FOKAL a effectuée le 22 mai 2014,
dans le cadre de son projet de livre blanc de la jeunesse haïtienne. 51 jeunes,
dont 31 filles, issus de plusieurs établissements scolaires de la ville y ont
pris part. Elle a partagé avec nous ses impressions sur l’exercice, de son
expérience de débatteuse, des jeunes, et ses aspirations.
De la consultation
Dinon a salué
l’initiative. « Pour moi dans
l’ensemble, cela a été positif, parce que les jeunes ont réagi. Vous avez
encadré les jeunes [en parlant de l’équipe de FOKAL qui a conduit la
consultation] de façon à ce qu’ils ne
sortent pas du sujet. Vous les avez remis sur les rails lorsqu’ils avaient
tendance à dérailler ».
Doctement, elle
poursuit : « Pour moi, le livre
est une vision de la jeunesse. Donc, publier un livre pareil est comme offrir
aux adultes, aux autres qui le liront, une possibilité de savoir ce que pensent
les jeunes. C’est donc comme intégrer les jeunes dans la vie sociale et
politique de notre pays ».
« Les opinions des jeunes inscrites dans ce
livre, c’est comme dire aux lecteurs que les jeunes aussi ont leur mot à dire.
Et quelques fois, ces mots qu’ils disent sont importants et valables. C’est
comme dire aussi à ces gens qu’il ne faut pas négliger la jeunesse, à cause de
sa jeunesse. »
Aux décideurs du
pays, Dinon prévient : « Même
si nous sommes des jeunes, nous ne sommes pas des bons à rien ! ».
Du débat
« Le débat peut renforcer l’apprentissage de
la démocratie car elle nous permet d’accepter l’opinion des autres. Parce que,
quand on va débattre, on ne sait jamais si on va être pour ou contre. On vous
dit que vous allez défendre le pour ou le contre [indépendamment de vos
convictions personnelles]. Par exemple,
si nous prenons le mariage homosexuel. Et puis on vous dit d’être pour le
mariage homosexuel. Si vous êtes un bon débatteur, vous allez normalement
trouver des arguments pour approuver le mariage homo. Ainsi, vous allez
comprendre un peu les personnes qui sont pour ».
Elle regrette que « […] la plupart des jeunes, lorsqu’ils
discutent, ils ont plutôt tendance à se chamailler. Les discussions entre les
jeunes ont tendance à devenir des disputes. Quand on sait débattre, quand on a
l’habitude de débattre, ça nous permet de discuter correctement ».
Dinon apprécie tout
particulièrement la discipline qu’impose le débat : « Au débat, on sait qu’on a un nombre de temps
pour parler, on sait qu’il faut permettre à l’autre personne de parler. On sait
aussi qu’on n’est pas le seul à parler, qu’il faut savoir écouter ce que la
personne a à dire afin de pouvoir réfuter ».
« Ça nous permet aussi de réfléchir parce que […
] on ne dit pas seulement ce qu’on a lu dans les livres ou bien en ligne, mais
il y a un peu de ce que l’on pense qui passe à travers ».
De son expérience du débat
« Je suis celle qui prend le débat au sérieux.
Je ne veux pas dire que tout le monde a peur de moi [comme débatteuse, bien
entendu], parce que tout le monde a ses
capacités, croit en ses capacités. Et je ne peux pas dire aussi que je suis la
meilleure débatteuse du club, parce que, où qu’on est, il y a toujours meilleur
que soi. Mais je suis une bonne débatteuse. Je peux le dire sans me vanter »,
signifia t-elle avec assurance.
Lorsqu’on lui a
demandé ce qui lui permet d’affirmer cela, elle rétorqua : « A travers plusieurs réunions qu’on a eues
dans le club, on a des sujets sur lesquels il fallait débattre. Et puisque je
crois que j’ai bien répondu, mes paroles ont fait de l’effet. Et j’ai bien
défendu ma position, que ce soit pour ou contre, et peu importe que le sujet
soit moral, intellectuel. Je pense que je suis une bonne débatteuse par rapport
aux résultats que j’ai obtenus durant les débats organisés dans nos réunions.»
Le débat, un apprentissage
Elle a relaté un
cas où son expérience du débat a changé sa manière de penser. « Je me souviens dernièrement, il y a un débat
pour ou contre le ‘rabòday’ [un style de musique haïtienne, populaire chez
les jeunes, accompagnée de sa danse dédiée, dans laquelle les jeunes filles tournent
les reins et bougent les fesses à tout va, la danse ‘twerk’ à l’haïtienne]. Autrefois, dès que j’entendais ‘rabòday’,
c’était quelque chose pour moi de très négatif. Maintenant, grâce au débat, je
sais que ça permet à certains jeunes d’éliminer le stress. Donc même si je ne
suis pas dans la condition de ces jeunes qui ont besoin du ‘rabòday’ pour
éliminer le stress, je peux dire que c’est quelque chose que je ne savais pas
que j’ai appris.»
De son club
« Jusqu’à présent, je suis satisfaite de mon
club de débat. Il n’y a rien qu’elle aurait aimé y changer, mais plutôt à y
ajouter : « Par exemple, la participation des jeunes. Il y a
certains jeunes, lorsqu’ils viennent au club, ne participent pas vraiment.
J’aimerais qu’il y ait moins d’assistants, et plus de participants.»
Des jeunes
« Je pense que les jeunes devraient prendre la
décision de rester dans le pays. Parce que si tout le monde part, qui est-ce
qui va changer le pays ? Personne. Et il y a aussi cette conviction que
nous devons avoir : Le pays est dans cet état parce que nous l’avons mis
dans cet état, c’est-à-dire c’est à nous de réparer nos torts. Si tout le monde
se dit : Ah, je m’en lave les mains ! Alors il va arriver un moment
où le pays sera pire qu’actuellement ». Que faire ?
Loin de se
décourager, Dinon assura : « Le
problème est que, en Haïti, il est difficile de conscientiser les gens parce
que la plupart des haïtiens ne pensent qu’à leur ventre. Et aussi aux choses
qui les concernent. Mais si j’avais la possibilité de sensibiliser les jeunes,
les gens de mon entourage à faire comme moi, rester en Haïti, je le ferais.
Parce que c’est nous qui devons changer ! »
De son avenir
« Lorsque j’étais petite, je rêvais d’être
géophysicienne, parce que, lorsque je regardais les documentaires à la
télévision, je disais toujours à mon père c’est ce que je voudrais être. Mais
en grandissant, j’ai remarqué qu’il n’y a pas beaucoup d’opportunités pour les
géophysiciens en Haïti. Et moi, je n’aimerais pas vivre à l’étranger. Donc, j’aimerais
être une femme d’affaires ».
« Je veux vivre en Haïti, c’est juste parce
j’ai en moi un patriotisme exacerbé », a-t-elle confirmé, comme pour
conjurer tout doute dans l’esprit de son interlocuteur.
Propos recueillis par
Yvens RUMBOLD & Jean-Gérard
ANIS
22 mai 2014
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