mardi 3 février 2015

La discrimination sexuelle en Haiti, c’est quoi?

La militante féministe, Danièle Magloire, sociologue de formation, membre de l’organisation féministe Kay Fanm, a réalisé samedi 31 janvier 2015, une causerie sur l’action positive en faveur des femmes  en Haïti, avec 40 jeunes des deux sexes, à l’initiative des animateurs et animatrices du club de débat de Christ-Roi, Alfred Désir et Sachernka Anacassis, au centre culturel PyePoudre, à Port-au-Prince.

L’objectif de cette causerie a été d’outiller les jeunes débatteurs et débatteuses sur des notions en lien avec le genre, afin de les préparer à participer à un tournoi de débat prévu le 7 mars prochain, dont le sujet est le suivant : « Encourager la discrimination positive en faveur des femmes pour les postes à responsabilité dans l’administration publique est justifiée ».
La sociologue Danièle Magloire
Ces jeunes, en majorité des filles (26 filles et 14 garçons), proviennent de six écoles secondaires: le lycée Marie-Jeanne, le collège Marianne, le collège Élie Dubois, l’école congréganiste de Christ-roi, le collège mixte la Bergerie et l’institution mixte Orphée noire.

Voici un condensé de cette séance de sensibilisation et d’information. 

Quand les différences naturelles deviennent sources d’inégalités sociales

Danièle Magloire a commencé par présenter les différences biologiques entre les personnes de sexe masculin et de sexe féminin. Elle a expliqué que ces différences (organes génitaux, rôle spécifique dans la procréation ─ les femmes sont les seules à être enceintes et à enfanter) qui sont innés, donc des faits de la nature, n’établissent pas d’inégalité entre les personnes (supériorité, infériorité). Différence n’est pas synonyme d’inégalité, mais rend compte de la diversité. C’est la société qui traduit les différences biologiques en inégalité, en établissant la supériorité masculine et l’infériorité féminine.

Dès le plus jeune âge, dans les différents espaces de la société (famille, communauté, lieu de culte, école, etc.) on apprend aux enfants à devenir des filles et des garçons, à travers leur éducation et un ensemble d’apprentissages. C’est le phénomène de la socialisation; phénomène qui se base sur les rôles et comportements qui sont attendus, dans une société donnée, pour les personnes selon leur sexe. Ainsi, par exemple : les filles sont préparées à savoir s’occuper des tâches ménagères, de la famille (conjoint, enfants, personnes âgées) et à être soumise, alors que les garçons sont préparés pour affronter le monde extérieur (travail rémunéré, espace politique, etc.) et à savoir diriger. Ainsi, par exemple, on considère la douceur et la sensibilité comme étant des qualités féminines et l’agressivité et le courage comme des attributs du masculin ; on associe certaines couleurs à un sexe (rose pour les filles, bleu pour les garçons) ; certains jeux sont réservées aux filles (jouer à la poupée, aux osselets) et d’autres aux garçons (jouer au foot, aux billes). 
« On ne nait pas femme, on le devient » écrivait la philosophe française Simone de Beauvoir, auteure d’un livre de référence majeur du féminisme, Le Deuxième sexe (1949). Ce célèbre énoncé renvoie à la socialisation. On pourrait aussi dire, « on ne nait pas homme, on le devient » car, garçons et filles apprennent à adopter les attitudes et comportements que l’on attend de chacun d’eux.

Cependant, les comportements et attitudes ne sont pas universels et peuvent changer dans l’espace (les lieux) et le temps (les époques). Exemples : les codes vestimentaires varient selon les époques et les sociétés (dans l’empire romain, robe des dignitaires et jupes des soldats; boubous des Africains et djellabas des Maghrébins) ; une même activité est dévolue aux hommes dans tel pays et aux femmes dans tel autre ; le maquillage concerne les deux sexes dans certaines sociétés d’Afrique, d’Océanie, d’Amazonie. Si les comportements et attitudes selon le sexe ne sont pas universels et sont changeant, c’est dire qu’ils n’ont rien de naturels, mais sont établis et imposés par la société. Les seuls rôles naturels sont les rôles spécifiques des hommes et des femmes dans la reproduction des êtres humains (procréation), à travers la production de gamètes mâles ou femelles. 

Le sexe biologique à l’épreuve du social

La société ne se contente pas de la donnée biologique pour apprécier les sexes. Pour que la société considère qu’une personne est bien d’un sexe donné (« une vraie fille/femme » ou « un garçon/homme véritable»), il faut qu’en plus de son sexe biologique (sexe féminin, sexe masculin) cette personne se comporte conformément à ce qui est admis pour une personne de son sexe. Quand une personne sort de ce schéma (fille jouant au ballon, grimpant aux arbres ; garçon s’intéressant à la cuisine, montrant de la sensibilité ; femme exerçant un métier dit masculin ou homme menant une activité dite féminine), on la traite par exemple de manière péjorative en la qualifiant de « garçon manqué » ou de « femmelette ». C’est le sexe social
La société crée ce sexe social, à travers le processus de socialisation, en imposant des règles de conduite et surtout des rôles différents pour chaque sexe dans les différentes sphères d’activités (responsabilités dans les familles, travail rémunéré, politique, etc.). C’est cette réalité que traduit la notion de genre, qui inclut les valeurs, attitudes et comportements et permet de comprendre et d’analyser les rôles attribués aux individus dans la société selon leur sexe. Il s’agit donc d’une construction sociale, c'est-à-dire d’un fait de société et non d’un fait naturel.

De tout cela découlent des règles sociales qui imposent un statut, c'est-à-dire une position sociale et économique, aux hommes et aux femmes. C’est ce qu’on appelle la Condition, féminine ou masculine, qui définit la place de toutes les femmes ou de tous les hommes dans la hiérarchie sociale, ceci indépendamment de leurs situations sociales et économiques. L’intervenante a souligné l’usage du singulier pour parler de la condition, en raison de son unicité (même règles pour toutes les personnes concernées), et du pluriel pour les situations socioéconomiques qui sont très variables (caractéristiques physiques, type de famille, niveau d’éducation, activité, revenus, religion, etc.). La condition féminine renvoie donc à la position sociale et économique des femmes comparativement à celle des hommes

La condition féminine en Haïti: dévalorisation, discrimination et violence

Les observations et études effectuées en Haïti, relèvent 3 caractéristiques de la condition féminine:

§             § La dévalorisation, le fait que les actes, les paroles et les idées des personnes de sexe féminin sont dénigrés ou peu considérés.
Cela se traduit par : des propos désobligeants à l’égard des filles et des femmes (moqueries, insultes, proverbes et chansons); la faible valeur accordée à un travail lorsqu’il est accompli par une femme (le travail des cuisinières n’est pas socialement valorisé, alors que celui d’un chef cuisinier est considéré comme prestigieux ; les salons de coiffures sont une activité traditionnellement menés par des femmes, les plus grands égards sont cependant réservés à un des rares hommes qui pratique le métier) ; le peu d’attention accordé à la parole des femmes ou sa banalisation.
§  La violence, exercée au quotidien contre les fillettes, les adolescentes, les jeunes femmes, les femmes adultes et âgées. Cette violence multiforme (physique, psychologique, sexuelle, économique) est subie par les filles et les femmes tant dans la sphère privée  (milieu familial) que dans la sphère publique (rues, établissements scolaires, lieux de travail ou de culte, etc.).

§ La discrimination, qui consiste à réserver un traitement différent, généralement négatif, défavorable (exclusion, limitation des possibilités), à une personne ou à un groupe de personnes, sur la base des caractéristiques personnelles de cette personne ou de ce groupe, c'est-à-dire ce qu’est cette personne ou ce groupe. La discrimination repose sur des préjugés (idées reçues ou préconçues) et des stéréotypes (opinion toute faite, cliché, images réductrices) qui ne résistent pas à l’analyse. La discrimination peut-être basée sur le sexe (discrimination sexuelle), la race (discrimination raciale), la classe sociale, la religion, la situation familiale et toute autre situation socioéconomique.

Exemples : une jeune fille enceinte sera renvoyée de l’école avec toutes les conséquences que cela entraîne pour son futur. Le jeune homme impliqué dans la grossesse ne sera pas mis en cause et pourra poursuivre tranquillement ses études. Refus de certains établissements scolaires d’accueillir une fille qui a été victime de viol ou un-e élève dont les parents ne sont pas mariés.

Discrimination et privilège (droit, avantage particulier accordé à un individu ou à une catégorie d’individus, en dehors des règles communes appliquées aux autres) sont les deux facettes d’une même médaille.

Renverser la donne : l’action positive

Les mouvements féministes et des droits humains, en Haïti et ailleurs dans le monde, ont bousculé les représentations sociales négatives sur les femmes et les filles, en incitant les États à prendre en compte la question des inégalités entre les sexes et à adopter des politiques publiques en faveur de l’égalité des droits (égalité juridique, de fait, des chances), notamment pour les femmes et les personnes handicapées, donc pour le respect des droits de toutes les personnes, quelque soit leurs caractéristiques.

Dans cette optique, des mesures incitatives ou mesures d’accompagnement ou action positive (ce que, selon l’intervenante, certains nomment de manière inadéquate « discrimination positive ») sont notamment prônées en vue de réduire les écarts (c'est-à-dire compenser les désavantages historiques et sociaux qui ont empêché aux femmes de profiter des mêmes opportunités que les hommes) observés entre les femmes et les hommes dans la société

Exemples : au niveau des droits, de l’accès à l’éducation et du maintien dans le système éducatif, des conditions de travail incluant la pratique du droit de cuissage, l’accès à certaines fonctions, etc. Une mesure incitative est un principe suivant lequel les mesures prises par les pouvoirs publics doivent permettre aux personnes qui sont désavantagées, de par leur condition sociale, d’être avantagées par ces mesures, afin de réduire les inégalités de fait.
C’est tout le sens de la lutte pour la participation politique des femmes, c'est-à-dire leur présence significative dans les espaces de pouvoir (postes électifs) et de décision (postes nominatifs dans les institutions publique et postes de direction dans les institutions privées incluant les partis politiques). Le quota est une mesure qui entend contribuer à changer cet état de fait. 

Quota, équité et parité : 3 mesures pour combattre les inégalités

L’équité est une notion de justice naturelle dans l’appréciation de ce qui est du à chacun/chacune selon ses situations objectives. L’équité recherche ce qui est juste par rapport à une réalité objective, par rapport aux besoins réels des personnes, en vue d’établir un équilibre social. C’est donc une mesure de justice sociale. 

Ainsi par exemple, l’État n’aidera pas de la même manière toutes les familles, il tiendra compte de leurs besoins qui ne sont pas les mêmes. Alors qu’une famille défavorisée aura besoin d’une aide pour scolariser ses enfants au primaire, une autre famille disposant d’un certain niveau de revenu pourra, par contre, avoir besoin d’un appui pour les études universitaires de ses enfants. L’équité entre les sexes est le fait d’être juste envers les femmes et les hommes. L’équité contribue à établir l’égalité.

Le quota : La constitution de 1987 amendée le 9 mai 2011 par le parlement, prône dans son préambule l’équité de genre : « Pour assurer aux femmes une représentation dans les instances de pouvoir et de décision qui soit conforme à l’égalité des sexes et à l’égalité de genre » (dernier paragraphe du préambule). La constitution établit le principe du quota de 30% de femmes « qui est reconnu a tous les niveaux de la vie nationale, notamment dans les services publics» (article 17.1.). Cela signifie qu’au moins 30% de femmes (c’est un seuil minimum, cela peut donc être supérieur à 30%) doivent être présentes dans les espaces de pouvoir et de décision.
Le quota est un mécanisme utilisé pour combattre une inégalité, une injustice. Il garantit un minimum de postes, de places ou de sièges aux personnes discriminées dans les représentations (mandat politique, conseil d’administration, comité de direction, etc.). Le quota est une mesure temporaire qui aide à corriger les inégalités, par exemple entre les hommes et les femmes dans la vie publique, et il reste en vigueur tant que les inégalités observées perdurent. Ce n’est pas une finalité, mais un moyen d’aboutir à une représentation équilibrée, reflétant mieux la composition de la société.

Un des intérêts de la mesure du quota est de permettre que certaines questions soient soulevées, du fait même de la présence des femmes. Par exemple, certains aspects des conditions de travail (sanitaires, garderie, prise en compte de l’état de grossesse et de l’allaitement) ou l’accès aux immeubles pour les personnes handicapées. Si en outre, les femmes concernées ont une conscience du sort réservé aux femmes et aux filles, elles pourront agir de telle sorte à porter l’institution à accorder l’attention nécessaire à ce problème de société.

La parité est une égalité numérique dans la représentation de deux ou plusieurs groupes au sein d’une institution ou d’une organisation. La parité entre les sexes, est un idéal de 50% de femmes et de 50% d’hommes dans les postes de pouvoir et de décision. Par exemple, le gouvernement français actuel, sous la présidence de François Hollande, a atteint la parité homme-femme au niveau des postes ministériels.

Conclusion

Face à ces jeunes suspendus à ses lèvres, Danièle Magloire a effectué un exposé très pédagogique et s’est montrée très rigoureuse dans ses explications, pour éviter toute confusion dans l’esprit de son jeune auditoire. Elle a été très concrète, en donnant de nombreux exemples tirés du vécu quotidien des Haïtiens et des Haïtiennes.
L’approche a été une réussite, vu la facilité avec laquelle les jeunes ont repris les définitions des différentes notions-clés abordés dans la causerie. Espérons que, au-delà de la prise de conscience attendue des jeunes sur ces problèmes, cette causerie favorisera de meilleurs débats lors du tournoi du club sur le sujet, ou mieux, suscitera le désir de mieux connaître la question des rapports hommes-femmes dans la société haïtienne.


N.B.: Pour plus de précisions sur les concepts vus lors de la causerie, allez à l'article "Glossaire sur le genre" plus loin dans le blog

Propos recueillis par Jean-Gérard Anis
Coordonnateur des Programmes Initiative Jeunes
FOKAL - Open Society Foundations  Haiti

Article mis à jour le 24/02/2015

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