vendredi 20 février 2015

Un tournoi de débat en pleine forêt à Gros-Morne

Le club de débat de Gros-Morne a réalisé, le 29 décembre 2014, une grande activité pour clore l’année 2014 dans l’euphorie. Sortir de la routine quotidienne a été notre préoccupation cette année. Cette activité de fin d’année est organisée pour la première fois en pleine nature, dans une grande forêt située à Méderique, à environ 15 minutes de marche en sortant de la ville.

Cette forêt est l’œuvre d’environ 30 jeunes formant une association dénommée AJGR (Association de Jeunes de Gros-Morne pour le Reboisement). Cette initiative est louable et mérite d’être encouragée.

Au cours de cette journée, le club a organisé 3 activités : la visite du parc, de la relaxation et un mini-tournoi de débat sur le sujet suivant : « L’économie informelle devrait être interdite en Haïti ». 30 jeunes ont participé à cette activité.

Douze débatteurs ont participé à ce mini-tournoi, répartis dans 4 équipes. Les équipes sont identifiées comme suit : A, B, C, D. Au tour éliminatoire, il y a eu 2 matchs. : Équipe A (affirmative) vs C (négative)  et B (négative)  vs D (affirmative).  Les 2 équipes gagnantes de ces duels (A et D) se sont affrontées en finale.

L’économie informelle, un indicateur de la faiblesse de l’Etat

Donfred BELZINCE, le premier orateur de l’équipe affirmative, a expliqué au jury qu’il ne s’agit d’une interdiction brusque, mais plutôt graduelle, en commençant par les grossistes (boutiques, dépôts, quincailleries …).

Il a affirmé qu’interdire le commerce informel « va faciliter le contrôle de l’économie  par l’Etat ». Selon l’équipe, l’Etat a l’ultime obligation de contrôler le système économique du pays. Dans l’informel, l’Etat n’a pas le contrôle de la condition des travailleurs, des prix, de la condition sanitaire des produits. La santé de la population doit être prise en compte par l’Etat. Pour ce faire, la formalisation du système devient indispensable. En plus de tout cela, l’économie informelle fonctionne en dehors des règles fiscales et échappe au contrôle de l’Etat.

Plus loin, son coéquipier a ajouté que « …il indispensable à l’Etat de pouvoir contrôler l’économie. Pour y arriver il faut interdire graduellement l’informel pour entrer dans le formel. Avec le formel l’Etat va percevoir des taxes, créer des conditions d’emploi. Les boutiquiers et autres marchands grossistes gèrent eux-mêmes leurs entreprises, sans les conditions requises (comptabilité etc.). Interdire l’économie informelle sera bénéfique pour tout un chacun. L’Etat aura le contrôle de ce que nous consommerons, des prix des marchandises (empêcher le marché noir)… »


Bency DUPRÉ de l’équipe négative s’est élevé contre l’idée d’interdire l’économie informelle en Haïti. D’après lui, « interdire veut dire pour nous, stopper, empêcher toutes formes d’activités économiques informelles ». Dans sa réfutation il a essayé de faire comprendre que l’économie informelle ne découle pas du hasard. « C’est une initiative prise par le peuple qui se voit livré à lui-même et sans laquelle ses enfants crèveraient de faim.  L’Etat n’a pas le contrôle de ceux qui fonctionnent dans le formel ».

Dans leur 2e argument, l’équipe affirmative a soutenu que l’interdiction de l’économie informelle « facilitera le développement du pays ».  L’économie informelle ne fait qu’affaiblir l’Etat. La force de l’Etat réside dans la taxe, sans laquelle il est faible. Si on formalise l’économie informelle, l’Etat sera en mesure d’offrir à la population une éducation de qualité, des soins de santé et d’investir dans l’agriculture, au bénéfice de tout le monde.

L’équipe négative s’est inscrite en faux contre cet argument. Ils ont reproché à l’équipe affirmative de n’avoir cité aucun pays qui ait pu se développer à partir de l’économie informelle. « Aujourd’hui nous voulons une Haïti développée, dit l’un débatteurs de l’équipe. Nous voyons que nous n’y arriverons pas en restant l’économie informelle. Il faut que l’Etat soit fort, capable de créer une meilleure condition de vie à sa population. Il lui faut créer des conditions favorables à tous. Il va falloir plus d’emplois et dans de meilleures conditions. Voila pourquoi nous voulons que nous passions de l’informel au formel ».

L’économie informelle, une initiative populaire contre la faim

Blandine DOLNÉ, de l’équipe négative, qui fait sa toute première expérience dans une compétition de débat, a rétorqué que l’économie informelle ne devrait pas être interdite, « parce qu’elle permet aux petits marchands de répondre à leurs besoins ». Elle a expliqué que le peuple vit dans la misère. Il recourt à ce type d’activité économique pour ne pas mourir de faim. Ainsi, il envoie ses enfants à l’école et répond à certains autres besoins (nourriture, vêtements …). « Nous sommes dans un pays où l’Etat parait inexistant. La pratique de l’économie informelle est un moyen auquel recourt le peuple pour se sauver de la misère et de la faim alors que l’Etat est là ».

Givelt VILMEUS, l’un des bons débatteurs du club de Gros-Morne, a réfuté cet argument en faisant remarquer que « l’économie informelle permet au petits marchands de répondre à leurs besoins, mais en dehors des normes, dans leurs intérêts personnels, individuels tout en maintenant le pays dans les chaines du sous-développement. L’économie informelle est une économie de subsistance. Pas de développement dans cette forme d’économie. Pas de bien-être collectif dans l’informel. Ce qu’il nous faut voir, c’est le bien-être de la collectivité ».


Blandine avait proposé le 2e argument suivant : « L’économie informelle  est plus favorable à la majeure partie de la population ».  Selon elle, « c’est grâce à l’informel que la majeure partie de la population survit. Pas de travail pour le peuple. L’économie informelle reste la seule porte ouverte au peuple ».
Un coéquipier de l’équipe a renchéri en affirmant que le développement du pays passe d’abord par le développement des individus. L’économie informelle participe grandement dans le soulagement de beaucoup de gens. Elle donne du travail.

Givelt, de l’équipe affirmative a jugé que cet argument est faux. « La majeure partie de la population vit dans la misère noire. Elle n’a pas droit à la santé, à l’éducation, à un logement décent, à un travail tandis que nous sommes dans l’informel. Ce n’est qu’avec l’économie formelle qu’on arrivera à résoudre ces problèmes ».

Délibération

Malheureusement, beaucoup de bonnes questions soulevées par les débatteurs sont demeurées sans réponses : êtes-vous totalement d’accord qu’Haïti reste dans l’économie informelle ? Haïti, peut-elle se développer dans l’informel ? Quels en sont les avantages pour le pays ? Pourquoi Haïti reste encore sous développée ? Combien de pays se développe-t-il à partir de l’informel ? Que devons-nous choisir : l’informel ou le formel ?

4 juges sur 5 ont finalement voté pour l’équipe affirmative. Pour eux, tous les débatteurs de cette équipe ont su jouer leur rôle avec aisance et savoir faire. Leurs réflexions étaient profondes. La synthèse de l’équipe affirmative était plus claire que celle de l’équipe négative. La réfutation faite par la première négative a été un petit peu décousue. Pour certains juges, c’était même inexistant.


La force de l’équipe négative reposait en majeure partie sur l’épaule du deuxième négatif, en l’occurrence Bency DUPRE qui a effectué un excellent travail, mais insuffisant pour redresser la barre, dixit le jury.  Il a été super dans son premier match et a totalisé plus de points que ses rivaux.
Verline de l’équipe affirmative est appréciée pour son calme et la pertinence de ses questions.
Donfred, d’après le jury,  a le mérite de l’articulation, de la clarté, de la fermeté et du sens de la répartie en contre-interrogatoire.

Givelt a trouvé son mérite dans la profondeur de sa réflexion et son raisonnement, mais parfois il manque de méthode dans le processus de la réfutation.

Commentaires

Cette activité de fin d’année a été très animée et pleine de promesses. Pour certains débatteurs, c’était leur première participation à un tournoi de débat, pour d’autres l’occasion de gagner en expérience. 

L’équipe A a trouvé sa qualification pour la finale grâce à l’effort de son 2e négatif (Bency Dupré) qui a joué un très bon match. À preuve, il a totalisé plus de points au tour éliminatoire et sera désigné « Meilleur débatteur du tournoi ». Or, malgré tous ses efforts, son équipe a sombré en finale.

Le jury était composé totalement d’anciens débatteurs du club dont certains ont été formés comme juges.  3 juges ont arbitré les 2 premiers matchs, et 5 la finale. Tous les débatteurs ont été satisfaits de la délibération du jury. Des livres ont été donnés comme primes.

Jonathan Vilméus
Animateur du club de débat de Gros Morne


Tableau Des points des debatteurs



Match 1
Equipe A neg
Points
Blandine Dolné
74
Bency Dupré
81
Chardin Dolné
72
total
227
Equipe C aff

Jean Denis Mareus
71
Aderline Augusma
75
Géleste Camilien
71

Total
217
Matchc 2
Equipe B

Lavilson Silien
64
Frantz Telemarque
66
Stervenson Sinibo
62
Total
192
Equipe D

Donfred Belzince
78
Givelt Vilmeus
75
Verline Noel
72

total
225


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