jeudi 25 mai 2017

BMC contre Cap-Haïtien : le choc entre un ancien club champion et un champion en titre

Une fois de plus cette année, l’un des plus grands événements organisés par le Programme Initiative Jeunes (PIJ) de FOKAL, le tournoi régional de débat de l’Ouest, a eu lieu le samedi 13 mai 2017, au collège de Saint-Louis de Bourdon, à Port-au-Prince. Ce résumé retrace l’affrontement-choc entre deux équipes qui ont offert à ce tournoi l’une des plus belles prestations, autour de la résolution du débat : « La politique migratoire des pays riches d’encourager l’immigration des travailleurs qualifiés est préjudiciable aux nations pauvres ».

Dans ce passionnant débat, l’équipe du club de Cap-Haïtien soutenait la résolution, autrement dit dans le jargon du débat Karl Popper, jouait le cas affirmatif. Elle a axé son argumentation sur la fuite des cerveaux et l’égalité des hommes dans la jouissance de leurs droits. Ainsi, elle a avancé deux arguments : le premier développe l’idée que cette politique migratoire cause l’exode de l’intelligentsia, et le deuxième qu’elle affecte les droits humains des populations pauvres.

L’équipe de la Bibliothèque Monique Calixte (BMC) qui s’opposait à l’énoncé, c’est-à-dire interprétait le cas négatif, a construit son argumentation sur les retombées positives que la politique migratoire des pays riches a sur les nations pauvres : cette politique migratoire des pays riches contribue à l’augmentation des transferts vers les nations pauvres.

De prime abord, les deux équipes partaient sur le même pied d’égalité dans la présentation de leur cas,  car les arguments, de part et d’autre, étaient soumis à une démarche méthodologique assez rigoureuse. L’équipe capoise s’est appuyée sur des déclarations d’experts, de sociologues, de politologues et d’institutions comme le Centre National de la Recherche Scientifique, l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques, qui font autorité sur la question, afin de démontrer l’impact préjudiciable de cette politique migratoire sur le développement durable des pays pauvres.

D’un autre coté l’équipe de la BMC a apportée des données chiffrées émanant d’institutions comme la  Banque Inter-américaine de Développement, la Banque Mondiale, pour prouver que le montant des fonds transférés par les migrants est suffisamment conséquent pour contribuer au développement de leurs pays d’origine.

Le pari était lancé, et les affrontements allaient être très serrés. Ce fut un choc équilibré entre BMC et le Cap qui a insisté sur le caractère obligatoire de l’intelligentsia dans le développement des pays pauvres, car le développement ne peut pas se faire seulement avec des moyens économiques. BMC a plutôt mis l’accent sur les transferts d’argent des migrants qui contribuent au développement de leurs pays d’origine.

En guise de réfutation du deuxième argument de l’équipe affirmative, l’équipe de BMC a recouru à l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), pour dire qu’accepter une telle politique va au contraire porter atteinte au droit de circuler des personnes indiquées dans la DUDH. Mais par contre, les transferts d’argent que les migrants effectuent vers leurs familles contribuent à l’amélioration du niveau de vie de la population des nations pauvres.

L’équipe capoise ne s’est pas laissée sur l’article 13 de la DUDH auquel a fait référence l’équipe négative pour réfuter leur deuxième argument, en clarifiant ceci : dans cet article, il est question de droit de circuler, ce qui est différent de migrer, car circuler, comme faire du tourisme est différent du fait de s’installer dans un pays.

D’un autre coté, les débatteurs du Cap ont contrecarré la position de l’équipe de BMC en  démontrant que ces transferts d’argent, au niveau micro, améliorent les conditions de vie des familles des migrants laissées au pays ; mais d’un point de vue macro, elles ne contribuent nullement au développement de ces pays. Au contraire les migrants participent à l’enrichissement des pays d’accueil, et qu’indépendamment de ce que peuvent offrir les nations pauvres, les citoyens ont un engagement moral envers leurs pays. Par conséquent ils doivent rester pour travailler au développement de leur pays.

Passionnant, le match a continué en rebondissements successifs. La confrontation d’arguments a été au rendez-vous. Ainsi, BMC attaque la notion même de l’intelligentsia en la différenciant de l’intellectualisme, ce qui ne signifie pas forcément travailleurs qualifiés, une expression qui prend en compte les compétences techniques de certains métiers. Elle est revenue également sur la question des transferts d’argent des migrants qui participent au développement des pays pauvres, dans la mesure où des taxes sont prélevées sur ces transferts.

Et là une légère confusion s’est installée sur la notion de taxe, car l’équipe affirmative faisait référence aux taxes payées par les migrants dans les pays d’accueil qui sont en faveur de l’enrichissement de ces pays, pour retourner l’argument. L’équipe négative de son coté parlait des taxes prélevés sur les transferts par l’Etat des pays receveurs.

A un moment donné, l’équipe BMC a frappé un peu plus fort. En se référant à la situation de chômage qui règne dans ces pays migratoires, à l’engagement moral des migrants envers son pays dont faisait référence l’équipe affirmative, l’équipe négative a fait table rase du concept même de travailleurs qualifiés, qui ne peuvent pas participer au développement de leur pays malgré l’engagement qu’ils pourraient avoir, car justement ces pays ne disposent pas des conditions nécessaires pour les intégrer.

En situation de chômage, en quoi un travailleur qualifié peut-il être utile à son pays ? Et c’est justement sur ce point-là que le troisième négatif a capitalisé, en portant sa conclusion sur cette chute : « Entre être qualifié sans emploi et ne pas pouvoir aider sa famille et rester dans son pays juste par obligation morale, mieux vaut être un immigrant dans un pays où l’on peut travailler pour améliorer les contions de vie de ses proches en leur envoyant de l’argent sur lequel des taxes vont être prélevés pour contribuer au développement de son pays ».

Epilogue. L’équipe de BMC a remporté le match en y mettant armes et âmes pour pouvoir convaincre le jury. Mais, encore une fois le club du Cap-Haïtien, champion en titre pour l’année 2016, a été au top, et maintient toujours le cap.

Magalie Civil
Animatrice du club de Cote-Plage
24 Mai 2017

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