vendredi 18 mars 2016

Les jeunes de Jérémie s’instruisent sur la lutte des femmes pour leurs droits

Le club de débat de Jérémie a organisé, samedi 5 mars 2016 au Lycée des jeunes filles de la ville, une enrichissante conférence présentée par Gladice Saint-Jean LUNDY sur les droits de la femme, à l’occasion de la Journée Mondiale de la Femme. Madame Gladice est professeur de littérature depuis quinze ans. Avocate de formation, elle milite au Barreau des Avocats de Jérémie depuis cinq ans environ, et est directrice du Bureau du Ministère à la Condition Féminine de la ville depuis 1995.

Cette conférence visait un double objectif :
1-      d'apprendre aux jeunes les droits des femmes d’aujourd’hui
2-      de traiter le thème de l'année dans les activités de débat proposé par le Programme Initiative Jeunes : « Quand la démocratie est en danger ».

Quarante-six jeunes ont assisté à la rencontre. La conférencière a présenté son exposé sur la lutte des femmes pour leur émancipation sous 2 plans : le plan national et le plan international.

Sur le plan national

Dès l’introduction de son intervention, Gladice déplore qu’on cite toujours les héros de l’histoire d’Haiti, mais qu’on oublie trop souvent les femmes qui ont contribué à notre Histoire. Même la reine Anacaona qui, bien avant l’Indépendance, s’était fait remarquer dans l’histoire nationale. On a simplement mis deux héroïnes sur le billet de 10 gourdes. Ensuite Passons aux différentes dates qui ont marqué la lutte des femmes en Haïti.

En 1910, des professionnelles de la santé ont fondé l’Association des Infirmières Licenciées, qui a eu une reconnaissance légale en 1929. Ce n’était pas forcément pour défendre les droits des femmes, mais pour défendre les avantages sociaux.

La lutte des femmes va réellement commencer en 1934. Ainsi Alix Garoute, Jacqueline Silvéra (une Jérémienne) et Madeleine Sylvain ont créé la Ligue Féminine d’Action Sociale dont l’objectif était de revendiquer les droits civils et politiques des femmes. En 1944, on a reconnu aux femmes, considérées auparavant comme des mineures, le droit d’avoir un salaire.

Avant 1946, les femmes ne pouvaient ni voter ni être votées, mais en 1946, elles ont élues en Haiti pour la première fois comme mairesses. En 1948, la lutte des femmes s’est concentrée sur la reconnaissance légale des droits de la femme.

En 1957, malgré la rupture brutale de la lutte de la femme pour des droits sous le régime dictatorial de Duvalier père, les femmes ont eu quand même le droit de voter et de se faire voter. Plus tard, on va avoir les premières femmes-sénateurs: Bouchereau et Madeleine Sylvain.

En 1975, on a reconnu aux femmes le droit de participer aux assises criminelles. Le 3 avril 1986, on va assister à une 2e indépendance des femmes en matière de droits: le droit à la présidence. Ainsi, entre 6 et 10 000 femmes ont pris les rues de Port-au-Prince pour revendiquer leurs droits. C’est ce jour-là qui a inauguré la Journée nationale du mouvement des femmes.

En 1982, Michèle Benett Duvalier, l’épouse du dictateur Baby Doc, avait fait signer un décret pour reconnaître l’émancipation des femmes mariées. En 1988, sous le gouvernement de Lesly François Manigat, on a eu la première Secrétairerie d’Etat à la Condition féminine, organe gouvernemental qui doit veiller au respect des droits des femmes.

L’adultère de la femme mariée était gravement sanctionné (2 ans de prison) alors que celui de l’époux l’était moindre. Il était seulement condamné à payer 200 à 300 gourdes. Le viol était puni d’une réclusion de 3 à 9 ans. Et, en vertu du pouvoir discrétionnaire du juge, il pouvait décider de donner au violeur 3, 4, 5…ans de prison. Mais, avec le décret du président Boniface Alexandre (2004-2006), les femmes vont être soulagées : Le viol est élevé désormais au rang de crime et l’agression sexuelle punie sévèrement, selon les conditions suivantes:

a)      Si un homme majeur viole une femme majeure, il est puni de 10 ans de prison.
b)      Si une personne majeure viole une personne de moins de 15 ans, elle est alors punie de 15 ans de prison.
c)      Si la personne a une influence, une autorité sur la victime, elle est condamnée à perpétuité.
d)      Si un homme majeur viole une femme majeure jusqu’à ce que mort s’ensuive, il sera condamné à perpétuité.

Sur le plan international

Au début du XXème siècle, des femmes de tous les pays du monde se sont unies pour défendre leurs droits.

La légende veut que l’origine du 8 mars, date de la Journée mondiale pour les droits des femmes,  remonte à une manifestation d’ouvrières américaines du textile en 1857, événement qui n’a jamais eu lieu en réalité! En revanche, l’origine de cette journée s’ancre dans les luttes ouvrières et les nombreuses manifestations de femmes réclamant le droit de vote, de meilleures conditions de travail, le droit de vote et l’égalité entre les hommes et les femmes, qui agitèrent l’Europe au début du XXème siècle.

La création d’une Journée internationale des femmes est proposée pour la première fois en 1910, lors de la conférence internationale des femmes socialistes, par Clara Zetkin, enseignante, journaliste et femme politique marxiste allemande, figure historique du féminisme, plus précisément du féminisme socialiste. Cette journée s’inscrivait alors dans une perspective révolutionnaire.

La date n’est pas tout d’abord fixée, et ce n’est qu’à partir de 1917, avec la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg, que la tradition du 8 mars se met en place. Le 8 mars 1921, Lénine décrète cette journée, la  journée des femmes. Après 1945, la Journée internationale des femmes devient une tradition dans le monde entier. Elle est officialisée par les Nations Unies en 1977.

Jusqu’à nos jours...

La date est réinvestie avec le regain féministe des années 70 et la Journée internationale des femmes est reconnue officiellement par les Nations Unies en 1977, puis en France en 1982. C’est une journée de manifestations à travers le monde, et l’occasion de faire un bilan des avancées de la lutte des femmes pour les revendications et la jouissance pleine de leurs droits. Traditionnellement les groupes et associations de militantes préparent des manifestations, pour fêter les victoires et les acquis, faire entendre leurs revendications, afin d’améliorer la situation des femmes.

« La Journée des femmes reste aujourd’hui d’une brûlante actualité. Car tant que l’égalité entre les hommes et les femmes ne sera pas atteinte, nous aurons besoin de la célébrer », a martelé la conférencière.

En somme, pour arriver à ce qu’on est aujourd’hui en ce qui concerne l’équité de genre, on a eu un long parcours. Mais, notre but sera atteint quand nous, les femmes, aurons été considérées égales aux hommes dans la pratique des choses.

Autres faits marquants des journées du 8 mars dans le monde


Réactions des participants

« N’y a t-il pas eu de figures masculines qui ont marqué l’émancipation des femmes ? », a demandé le jeune Milord Peterson.
Il y a bien sûr des hommes qui nous sont venus en appui. Mais, ils ne s’étaient pas impliqués dans la lutte comme l’ont été les femmes.

Wogensky a ajouté : « Suite aux élections qu’on vient d’avoir, on a 96 députés et 24 sénateurs. Il n’y a même pas une femme parmi eux. Peut-on dans ce cas parler de d’équité de genre ? »
Comme je l’ai dit pour conclure, c’est à ça qu’on veut justement arriver. Avant 1944, les femmes haïtiennes étaient considérées comme mineures, et avant 1946, elles ne pouvaient ni voter ni être candidates à une élection. Aujourd’hui, elles ne sont plus considérées comme telles. Elles ont droit à un salaire, elles peuvent voter  et être candidates. On a eu des  femmes-sénateurs, des femmes-députés dans les législatures précédentes ; on a même eu une femme présidente [NDR : Ertha Pascal Trouillot]… Un jour, on arrivera à 50 % de femmes et 50 % d’hommes aux postes décisionnels. On y arrivera, je l’espère.

La jeune Ivonia a voulu savoir si « les femmes d’Haïti sont traitées de la même manière que les femmes étrangères. »
Ça varie d’une société à l’autre. Par exemple, c’est culturel de frapper une femme mais, aux Etats-Unis, on ne peut oser le faire.

« L’équité de genre n’implique-t-elle pas des obligations aux femmes ? », s’est interrogée Taynaïka.
Bien sûr ma fille ! Si autrefois c’était à nous de nous occuper des travaux domestiques, aujourd’hui nous avons l’obligation de rester sur les bancs de l’école, d’apprendre un métier, d’aller travailler, de contribuer aux dépenses de la famille, de ne pas accepter de rentrer dans un bal gratuitement pendant que les hommes payent 100 gourdes, 200 gourdes…

La conférencière a conclu ainsi : « Les hommes ne peuvent vivre sans les femmes, les femmes ne peuvent vivre sans les hommes. Nous sommes donc complémentaires. L’essentiel maintenant c’est de travailler pour qu’un jour l’équité de genre puisse être atteinte car la société démocratique dont nous rêvons tous ne sera jamais possible tant que les hommes et les femmes n’auront pas été égaux. »

Remerciements

Pour clore la rencontre, l’animatrice Madrine GAY a remercié l’assistance dont la présence a rendu possible la conférence et a remercié la conférencière Gladice Saint-Jean Lundy pour qui les jeunes ont chanté un refrain de remerciement qui l’a beaucoup émue :

«Je me sens émue par les mots de remerciement et surtout le refrain que vous venez de me chanter. Je vous l’avoue, ce refrain m’a fortement traversé. Mais, permettez-moi de vous le dire : C’est à moi de vous remercier, Madrine et Waldinde, à moi de vous remercier, chers jeunes, car vous m’avez donné la possibilité de vous servir en vous présentant les droits de la femme d’aujourd’hui. Et, si vous faites bien l’effort de les respecter, cela contribuera à la matérialisation de la démocratie dans notre société. Car l’harmonie parfaite d’une société n’est pas possible si les droits des femmes sont bafoués. Donc, chers animateurs et jeunes, je vous retourne ces remerciements au centuple ! » a conclu la conférencière.

Waldinde Germain

Animateur du club de débat de Jérémie

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