lundi 4 avril 2011

Dictatures, pratiques et résistances : les leçons de la journée de réflexion

D’Haïti à la Tunisie, ce sont les pratiques et caractéristiques des dictatures qui ont été discutées au cours de la journée du 26 mars organisée par FOKAL. Une assemblée de jeunes, pour beaucoup issus des clubs de Vague du futur, ont pu discuter avec Béchir Lamine de la situation de la Tunisie et des dictatures que le pays a vécu ; ils ont pu voir le film de Raoul Peck, l’ « Homme sur les quais », mais aussi s’entretenir de la vision de l’histoire d’Haïti construite par les Duvalier et ses répercussions sur notre vision actuelle de l’histoire du pays, avec Vertus Saint-Louis. Lire le bref compte-rendu de la journée.

Plus d’une centaine de jeunes issus de 9 clubs du réseau de Vague du futur (Jacmel, Darbonne, Cote-Plage, Mon Repos, Martissant, Centre-ville, Christ-Roi, Fond parisien) ont participé à la journée de réflexion sur les dictatures le samedi 26 mars 2011, à FOKAL.

En attendant la 1ère conférence sur le printemps arabe, ils déambulaient dans l’atrium de FOKAL pour visiter l’exposition multimédia sur les dictatures de Duvalier et de Ben Ali en Tunisie. D’autres en profitaient pour rencontrer ou lier connaissance avec leurs camarades des autres clubs.

A 10h30 am, une conférence-débat a commencé avec Béchir Lamine, représentant résident de l’UNESCO en Haïti sur la situation d’un pays qui vient de se libérer d’un dictateur : la Tunisie.  Lui-même est tunisien. La salle était bondée, si bien que les personnes ne trouvant pas place à l’intérieur ont dû se rabattre dans la cafétéria d’où ils pouvaient assister à la conférence via une retransmission télévisée.
Bourguiba

Au cours de son brillant exposé, riche en images projetées et en clarté, Béchir Lamine a réussi le pari de brièvement présenter l’histoire de la Tunisie, depuis l’époque où elle s’appelait Carthage à nos jours. Il a dressé, donnant par la même des clés de lectures du régime qu’il avaient pu mettre en place, le portrait des 2 dictateurs que ce pays a connu successivement après la fin du protectorat français: Bourguiba (1957-1987), homme cultivé, humaniste mais mégalomane, puis Ben Ali (1987-2011), policier inculte, spoliateur mais féru de nouvelles technologies. A la fin de son exposé, il a décrypté les causes de la « révolution du cactus » qui a entrainé la chute de Ben Ali, le 14 janvier dernier et avancé prudemment les perspectives d’avenir de ce mouvement naissant.

L’assistance a posé plusieurs questions sur les limites de ce soulèvement populaire tunisien, sur la « dégage-attitude » des jeunes, sur les risques de récupération du mouvement par les politiciens (qui n’ont rien vu venir)…
"Ben Ali doit être jugé"
Ce sont les jeunes éduqués (85 % d’alphabétisés suite aux réformes de Bourguiba qui avait à l’époque largement investi dans l’éducation) et informés sur le monde grâce à leur accès aux nouvelles technologies qui ont déclenchés les soulèvements contre la dictature en Tunisie. Internet et les sites sociaux comme Facebook et Twitter ont facilité ces mouvements sociopolitiques dans ces pays arabo-musulmans. Les jeunes réclament le changement (de constitution, de régime) et la démocratie avec plus de libertés.
Image de "L'Homme sur les quais"

A 12h40 a débuté la projection du célèbre film du réalisateur haïtien Raoul Peck, « L’Homme sur les quais ». C’est une fiction sur la période de la dictature de Papa Doc, vue à travers les yeux d’une fillette de 8 ans, que les jeunes ont regardé avec beaucoup d’attention. Le fait de voir des images de ce qu’était la dictature en Haïti, et de pouvoir voir les répercussions presqu’intimes de tout ce système discuté depuis le matin, a captivé les participants, heureux pour la plupart de découvrir ce film pour la première fois.

A 2h, la seconde conférence démarrait, suite au film, sur la dictature sous Duvalier, animée par l’historien Vertus Saint Louis. Il a centré son exposé sur deux points: le discours des historiens haïtiens sur la dictature duvaliériste (avec lequel le conférencier est en désaccord) qui se fonde, selon eux, sur les notions de race (les noirs contre les mulâtres), de classe (les couches populaires contre les bourgeois) et de religion (l’instrumentalisation du vaudou pour contrôler la population). Il a également parlé de la lecture de l’histoire d’Haïti par Duvalier qui a servi de prisme et de bréviaire à l’analyse de l’histoire du pays pour nos historiens et nos bacheliers.

La conférence a vite glissé sur le paradoxe que le discours sur l’histoire d’Haïti est construit par les étrangers (les vaincus de la guerre de l’indépendance) et non par les Haïtiens eux-mêmes (les vainqueurs), alors qu’on devait s’attendre à l’inverse. Cela tient du fait que nos rares historiens ne produisent pas de réflexions valables, continues et actualisées sur notre histoire, que l’université haïtienne, faute de ressources, ne produit pas de chercheurs ni n’a de chaire d’Histoire, qu’aucun étudiant haïtien ne s’intéresse vraiment à l’Histoire, si ce n’est comme prétexte pour quitter le pays avec une bourse d’études. Nos archives (autrement dit, notre mémoire) se trouvent aujourd’hui dans les universités et musées en Angleterre, en France, aux Etats-Unis.

Le professeur Vertus Saint-Louis a fait le vœu que les jeunes fassent des vrais choix pour se réaliser pleinement dans leur pays, que le Ministère de l’éducation nationale et l’université remplissent réellement leur mission, que la nation aujourd’hui s’approprie sa mémoire, son histoire et s’assume.

A 4h, le programme de la journée s’achevait. Espérons que nos jeunes entendent et comprennent ces réflexions, et qu’ils tireront les leçons du passé et les enseignements du tumulte du monde en marche !

Jean Gérard Anis
Coordinateur Vague du futur

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