mercredi 6 avril 2011

Grammaire du comportement politique

Les élections, ce n’est pas pour les saints

Le  vendredi 19 novembre 2010, l’émission « Tribunal du soir » de Radio Signal énumérait des pratiques électorales déviantes : remplissage d’urnes, actes de sabotage des « atoufè » dans les bureaux de vote quand le dépouillement annonce une mauvaise place pour leurs candidats, vote sous influence  des églises, des « lakous » sans respect de la liberté individuelle, le « kouri bri ». Elle établissait toute une jurisprudence de non-droit, une activité « pas faite pour les saints. » Et Radio Kiskeya, avec des candidats invités indexait le cash for vote. Interprétant un sondage réalisé, un spécialiste avançait que les éventuels électeurs de la candidate en première position seront peut-être moins déterminés à aller voter que ceux du deuxième.

Cela a fait remonter un dimanche de 1957 où, à cause des élections devant porter à la présidence François Duvalier, la famille a dû  se rendre , en lieu et place de la grande messe protocolaire de huit heures a.m, à celle de quatre parce que les « atoufè » allaient être maitre des rues durant la journée électorale. Et de fait,  durant celle-ci,  on est restée terrée dans la petite chaumière à trente mètres de l’avant-poste de police de Gressier.

Autant faire la guerre civile

Et cette idée incivile vous trotte dans la tête que si gagner la bataille des urnes demande tant de courage, de prise de risque, de privations et de manœuvres sordides autant faire la guerre civile. Et comme toujours dans ces moments de grandes peurs, pour reprendre mes sens,  je me remets à la lecture, à la grammaire pour une errance salutaire.  Dans ces temps-là, entre les murs de la solitude, je me construis des chimères. Et là je ne demande pas aux lecteurs de me suivre, quand je tomberai dans la caricature, dans la génération hardie, et même dans la déraison et le rire.  

Enjeux politiques et enjeux sociaux

Si la lutte pour le pouvoir des leaders et l’engouement d’une population pour les élections semblent légitimes, on peut, en l’état actuel, douter de  la pertinence de cet outil démocratique puisqu’il ne fait que dérouter la nation des grands enjeux sociaux (salaire, emplois, sécurité, famille, enseignement, ordre, libertés, environnement, bidonvillisation,  fuite des cerveaux, émigration) pour une fixation fétichiste  sur les enjeux politiques politiciens (compétition pour le pouvoir, jeux de partis, clientélisme, les individus et les échéances électorales.). Des candidats « en veux-tu en voilà », des groupes disparus ou inconnus surgissent comme apparaissent des bandes à l’occasion  des festivités carnavalesques. Pardonner cette comparaison hardie.

Fragiliser la nation

Pourquoi une équipe de dirigeants quand les règles de direction ne sont pas établies ? Pourquoi s’en remettre au bon vouloir d’un homme sur le simple constat de sa célébrité? Pourquoi un premier ministre quand il ne dispose, pour gouverner,  que d’un fouillis administratif.  A quoi servent les élections dans un état faible et une société civile affaiblie et à la dérive ? Pourquoi  prendre le risque de se présenter aux urnes quand le déroulement et les résultats des élections  ne feront que  fragiliser encore davantage la nation? C’est vrai qu’à un défilé carnavalesque et à un derby de foot, on prend les mêmes risques.

Des députés et des sénateurs bénévoles 

Je rappelle aux lecteurs que je réfléchis in vitro dans un asile et non pas dans un laboratoire comme les leaders qui calculent  pour empoisonner le champ politique, pour mobiliser ou démobiliser le plus grand nombre. Ceux qui sont en bas, malgré les messages massivement diffusés par les candidats, ne me semblent pas engagés. Planent  sur le marché électoral, des doutes. Les  attentes ne sont pas comblées. Et ça, ceux d’en haut le savent, il faut donc recourir à des artifices pour canaliser ou dérouter le troupeau électoral qui ne reconnait plus ses  pasteurs malgré les posters géants et  gênants, car pour ces derniers, les enjeux électoraux sont plus importants que les enjeux nationaux. Dans ma cité/folie j’invente des députés et des sénateurs bénévoles qui,  constatant que la nation est à construire et que devant  la faiblesse de l’Etat et de ses institutions, des partis politiques de la société civile, de la vie associative, devant le désarroi des citoyens, décident de tout arrêter pour construire l’Etat avant de penser à son gouvernement, pour redonner à la nation ses réflexes de solidarité, socle de la sécurité. .

On verra après pour les élections

Les représentants sans solde du  peuple décident donc d’organiser des Etats généraux : sur, par exemple, la décentralisation pour éviter que celle-ci ne soit qu’un désengagement de l’Etat, soit  réduite à sa dimension institutionnelle et politicienne et que ne se dressent des petits caciques  sans stratégie sur l’organisation de leur  petite cité ? Etats généraux sur les enseignements ? Le nombre d’écoles, leur taille, la formation des enseignants, la gestion des écoles ? Un plan d’action pour une école publique de qualité ? Pourquoi 21.000 mille petites boîtes de moins de 150 élèves alors qu’il n’en faudrait que 7.000 écoles d’une taille de 500 élèves répartis en 18 salles de classes de 7m x 7m  pour  30 élèves chacune?  Les parents doivent-ils continuer à financer l’éducation à hauteur de 64 milliards de gourdes  pendant le budget de l’éducation ne représentent que 8 milliards de gourdes ? Comment mettre à contribution le vice ou la vertu de millions de joueurs de loterie pour financer l’éducation par exemple ? Le transport ? Faut-il des chemins de fer en Haiti pour reprendre la question posée par Demesvar Delorme ? Comment diminuer le coût  du transport qui engloutit plus 1 million de dollars américains par jour avec ces 150.000 « Dieu qui décide » ou « la Belle Capoise » ou « Yo Sezi ! » qui roulent avec ses passagers pour la mort à Tapion et au Pilboreau? Comment les propriétaires des 350.000 véhicules du parc automobile peuvent agir pour améliorer le tarif des primes d’assurances qui, dans les années 60, représentaient, pour certains types de police, 80% du coût du véhicule? Comment rendre efficace le droit de regard des ouvriers et de leurs employeurs  sur 50 ans de cotisations  à l’ONA ? Comment refonder la famille, la culture, l’histoire ? Etats généraux pour redéfinir nos intérêts économiques communs et nos valeurs spirituelles ? Il faut lire le texte avec ironie, de manière théâtrale pour provoquer le rire.

Faisons campagne sur des idées  fondatrices de la nation. On verra pour les élections et les  hommes après. Votons, d’abord, des idées, le quoi faire et comment ? Votons des institutions, des mutuelles, des coopératives  pour les gouvernances politique, sociale et économique. Votons pour une justice célère de proximité sans les milles détours de la procédure. Votons pour la vie associative. Votons pour une autorité de l’Etat fondée sur la volonté du gouvernement et l’engagement des citoyens?

Article 52-1c : »  « Voter aux élections sans contrainte»

En l’an 62 de mon âge,  je ne me sens nullement gêné de laisser les autres voter à ma place parce que le vote,  pour le choix de ceux qui dirigeront  la nation, est, à date,  une transaction mal négociée entre les émetteurs d’espoirs et des récepteurs débranchés. La nation  est comme un avion dont les pilotes choisiraient d’établir la  destination, le tableau de bord en plein vol avec des passagers arnaqués. Je ne montrerai pas à bord. En vérité, je ne vois pas l’économie des élections. J’y voterai contre.
A ceux qui me rappelleront le caractère obligatoire du vote (article 52-1c), je leur demanderai d’aller le lire : « Voter aux élections sans contrainte », j’opposerai le droit à la vie du citoyen et, pour rire, dans une posture de sophiste ou de fumiste, je proclamerai que si « la voix du peuple est encore  celle de Dieu, c’est que le peuple n’écoute plus Dieu.»

Jean-Marie Pierre
Collaborateur au Projet VDF

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