Débattre en Haïti : un pari gagnant
Le programme de débat en Haïti a 16 ans. Introduit
par FOKAL en 1996, le programme a continué sans interruption à former des
jeunes des établissements secondaires publics et privés, et dans plusieurs
villes du pays, à travers diverses activités : formations, ateliers de travail,
tournois, camps d’été…. Actuellement, 28 animateurs, 7 formateurs nationaux
bénévoles et plus de 450 jeunes répartis dans 14 clubs de débat du pays (chaque
club a un effectif de 30 jeunes en moyenne) participent à ce programme de débat
qui compte 55% de filles. Depuis Septembre 2011, FOKAL a établi un partenariat
non formel avec 3 clubs de débat dans 3 institutions d’enseignement supérieur différents
à Port-au-Prince (UEH, Quisqueya, CTPEA) avec plus d’une centaine d’étudiants.
Nous avons formé leurs membres au débat et les ont aidés à réaliser un tournoi
de débat. Un tournoi de débat universitaire aura lieu à la mi-octobre au CTPEA.
Pourtant, le défi paraissait énorme pour FOKAL
tant les obstacles se dressaient sur notre route : la création des clubs
dans les écoles relevaient de la course d’obstacles, trouver des animateurs bénévoles
afin de coacher les jeunes n’était pas du tout évident ; nous avions face
au scepticisme des directeurs d’écoles dans les lycées, à la résistance
d’enseignants dans les collèges. La réticence de parents pour permettre aux
jeunes de participer aux camps de débat a été un vrai problème car ils
croyaient que cette activité distrairait leurs pupilles des études ou que cela
les rendrait insolents à vouloir discuter les décisions des adultes.
Cependant, grâce à la volonté et la détermination
de FOKAL, grâce à l’implication et aux demandes de notre groupe-cible, le programme a pris définitivement pied en
Haïti, au point qu’il est devenu incontournable. Aujourd’hui des universités
publiques et privées haïtiennes, dans la capitale aussi bien qu’en province,
manifestent leur intérêt d’implanter le programme de débat en leur sein.
Il est à remarquer un fait intéressant
en 16 ans d’existence : nous jeunes veulent débattre davantage. Par
exemple, à l’issue des deux derniers tournois nationaux de débat que FOKAL a organisés
en février et aout 2012, les jeunes réclament l’organisation de davantage de tournois
dans leurs clubs respectifs. A cela, FOKAL propose la réalisation de 2 tournois
nationaux annuellement, la création d’une ligue de débats qui s’apparentera à
une sorte de championnat national étalé sur un an, la formation de formateurs
et de juges de débat, et le soutien technique, logistique et financier
significatif à toute initiative de la part de jeunes dans la promotion du débat.
Débattre en Haïti : une nécessité
La question fondamentale que certainement vous
vous posez serait la suivante : Pourquoi les jeunes ont cette passion de
débat ? Il y a plusieurs réponses possibles.
1. Six jeunes Haïtiens ont participé à IDEA Youth
Forum, en Turquie (juillet 2011) et au Mexique (juillet 2012). La participation
de nos débatteurs dans les compétitions internationales a créé une puissante
motivation chez nos jeunes. Le témoignage des membres des clubs locaux a montré
qu’ils font partie d’une grande communauté de jeunes comme eux à travers le
monde, avec lesquels ils partagent le même idéal : débattre pour
apprendre. Grace au débat, ils ont aussi découvert qu’ils ont de réelles
capacités que l’école ne les aide pas à exercer.
2. Quelques jeunes de certains clubs de débat, qui
rentrent à l’université cet automne, sont préoccupés par le fait qu’ils n’auront
plus l'occasion de participer aux activités de leurs clubs. Ils s’accrochent à
cette expérience de débat qu’ils redoutent de perdre à cause de conflits
horaires. Pour cette raison, ils pressent FOKAL de poursuivre ce programme à
l’université au sein de laquelle ils se proposent d’être les promoteurs. Cinq
d’entre eux animent deux clubs de débat universitaires actuellement.
3. Il y a aussi l’opportunité de combler un
déficit dans leur formation académique. Dans les écoles haïtiennes, les jeunes n’apprennent
pas à exercer leur esprit critique, à produire une réflexion autonome, à
discuter des questions qui les mobilisent. L’école ne les incite pas non plus à
la curiosité, à la lecture. Ces jeunes filles et garçons ont vite compris
l’intérêt de participer à ce programme, et surtout de débattre. Ils ont surtout
appris à prendre confiance en eux-mêmes lorsqu’ils ont vu ce qu’ils étaient
capables de faire : défendre leurs idées publiquement, convaincre par la
force du discours, et non par le discours de la force. Un modèle
malheureusement trop répandu chez nous. A maintes occasions, d’anciens
débatteurs du programme écrivent à FOKAL ou à leurs anciens
coaches pour les remercier de la transformation que le débat a opérée en eux.
IDEA Youth Forum : un nouveau défi pour nos débatteurs haïtiens
Les 3 membres de la délégation haïtienne (Sachernka Anacassis, Mirlène
Blanchard, Fabiola Jean-Charles), sélectionnés par FOKAL pour représenter le
pays à l’IDEA Youth Forum 2012 au Mexique, sont revenus au pays et ont partagé
leur expérience avec leurs camarades des clubs. Voici une part de leurs
témoignages.
« Je participais à presque tous les camps qu’organise régulièrement
Fokal. Mais l’idée d’un camp avec des jeunes venant de plusieurs pays
m’enchantait et m’intimidait à la fois », a confié Sachernka, membre
de la délégation haïtienne. « C’était
à la fois l’envie de connaitre et la peur de l’inconnu », a ajouté
Mirlène.
Selon elles, le Youth
forum a toujours été un
espace de formation. Les participants sont formés par de grands formateurs
internationaux et des entraîneurs qui leur enseignent non seulement la façon de
débattre de manière plus efficace, mais aussi la façon d'utiliser leurs
compétences au profit de leur pays et de devenir ainsi des citoyens actifs.
Cette année, les organisateurs voulaient se concentrer encore plus sur
l'augmentation de la diversité, les échanges culturels. « L’expérience était intense », a reconnu
Fabiola.
Les jeunes sont revenues avec un quelque chose en plus. « Je reviens avec une certaine
conscience… une conscience de nos limites dans la manipulation des outils
de nouvelles technologies auxquelles nous n’avons pas assez accès… c’est aussi
ce qui nous empêchait de vaincre les équipes des autres nations aux matchs de débats », confessa
Sachernka.
Si elles n’ont pas réussi à avoir une grande performance au tournoi de
débat, elles se sont imposées dans la partie culturelle. Elles ont pu vendre
une très bonne image d’Haïti à travers sa dance, sa cuisine, son artisanat.
« … Car je reviens aussi avec une
conscience de la force de notre culture. Je reviens convaincue que nous avons
des choses extraordinaires à offrir au monde », a rectifié Sachernka.
Après cette expérience de compétition de débat international, elles
veulent toutes les trois s’engager. S’engager à se former elles-mêmes
davantage, à former et à conscientiser les membres des différents clubs du
réseau. Elles sont plus que jamais déterminées à relever le défi de l’habileté
en nouvelles technologies.
Débattre en Haïti et de nouveaux challenges
D’un autre coté, les faibles performances d’Haïti
dans les compétitions internationales de débat préoccupent nos jeunes. Cela
leur révèle leurs carences, nos manques en Haïti. Lors des témoignages des
jeunes ayant participé aux derniers Youth Forum devant leurs camarades dans le
camp de débat, du 4 au 9 août 2012 (92 participants, dont 54 débatteurs, 28
coaches, 12 juges, 2 tournois de débat, Karl Popper & Public forum) les participants
ont dévoilé clairement leurs frustrations et ont posé des questions sensibles qui
interpellent FOKAL :
1. Pourquoi Haïti n’arrive pas à dépasser les
tours éliminatoires dans les compétitions internationales de débat Karl
Popper?
2. Pourquoi ne faisons-nous pas de tournois nationaux
de débat directement en anglais ?
3. Pratiquons-nous le même format Karl Popper en
Haïti comme à l’étranger ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la
question 1: une préparation trop limitée (comme ils sont retenus en classe, les débatteurs sélectionnés offrent peu d’occasions en semaine de travailler ensemble),
une pratique de l’anglais insuffisante (la plupart de nos débatteurs ne maîtrisent pas l’anglais, car ils ne le pratiquent ni à l’école ni chez eux), le
choix de nos représentants (les meilleurs débatteurs dans les clubs ne sont pas
toujours éligibles, car ils ne parlent pas anglais), le manque de compétitions de
débat en Haïti…
La réponse à la seconde question est simple. Dans
notre réseau de clubs, nous ne disposons pas de coaches ni assez de jeunes
parlant anglais. De plus, le programme n’est pas orienté compétition
internationale seulement, mais avant tout apprentissage. Pour cela, FOKAL
privilégie la formation et les tournois de débat dans l’une des 2 langues
officielles d’enseignement académique du pays, le français. Cependant, tout le
réseau des clubs est informé à présent qu’IDEA a une version française de son
site web à l’adresse suivante: www.fr.idebate.org. Les
débatteurs y trouveront toute sorte de ressources en ligne, et même ils
pourront participer à des tournois de débat on line. Le tout sera en français,
et Haïti sera d’une contribution majeure à ce site.
A propos de la question 3, les jeunes proposent d’emblée
leur solution : ils souhaitent que FOKAL facilite la venue en Haïti d’un
formateur de débat d’IDEA parlant français pour réaliser un séminaire de
formation aux techniques de débat Karl Popper, pour les coaches et les
formateurs Haïtiens. Ainsi, grâce aux retombées de la formation, ils pensent pouvoir mieux cerner les subtilités et
les nouveautés du format Karl Popper (sans critère et plus focalisé sur les
questions de politique publique), mieux se conformer aux exigences des
compétitions internationales, in fine
devenir de meilleurs débatteurs.
Conclusion
Il ne fait aucun doute pour FOKAL que le programme
de débat est la meilleure chose qui soit proposée à la jeunesse d’Haïti. Nous
disons cela parce que plusieurs institutions d’enseignement et associations de
jeunes viennent nous demander de les aider à implémenter le programme de débat
chez eux. Mais aussi, les insuffisances de l’école haïtienne, nos méthodologies d’enseignement, la faiblesse de nos ressources d'infrastructures, les attentes et
desiderata de nos jeunes nous forcent à poursuivre nos objectifs qui sont de
former des citoyens responsables et des leaders de demain. Grace au débat. Nous
leur devons cela.
Coordonnateur des Programmes Initiative Jeunes
FOKAL – Open Society Foundations Haiti
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