1/ DEFINITIONS GENERALES
Citoyenneté : « Situation positive créée par la pleine reconnaissance aux
personnes de leur statut de citoyen. (Le citoyen dispose, dans une communauté
politique donnée, de tous ses droits civils et politiques.) », Dictionnaire
Larousse en ligne.
La citoyenneté est une notion à la croisée de la
philosophie, de la politique et du droit. Elle n’a pas un contenu figé, il faut
donc l’étudier d’abord dans une perspective historique. Juridiquement, est citoyen
toute personne appartenant à la « cité ». C’est une notion attachée à
la nationalité. Le citoyen dispose
de droits (civils et politiques) et
accomplit des devoirs. Il doit
respecter les lois au nom de l’intérêt
général.
2/ HISTORIQUE ET ENJEUX
Un concept antique lié à la
naissance de la politique et de la démocratie
Polites
(grec), civis (latin) = citoyen
Polis
(grec), civitas (latin) = cité
Politeia (grec)
= idée d’une communauté de citoyens
Respublica (latin) = la chose publique, qui a donné naissance au
terme « république ».
L’émergence du concept de citoyenneté, liée à la naissance de la
démocratie, remonte à la Grèce et à la Rome antique (Ve siècle av. J.-C.).
Dans La politique d’Aristote, le philosophe s’attache à définir le
comportement politique des hommes, en
tant qu’il se déroule dans l’espace de la cité. Trois principes fondamentaux régissent
la cité :
-
Le
principe de l’isonomia, qui impose
l’égalité des citoyens devant la loi
-
Le
principe de l’isegoria, qui impose
l’égale participation aux affaires
-
Le
principe de l’isocratia, qui impose
l’égale participation au pouvoir
L’égalité des citoyens, leur liberté et la référence à un
« bien commun » fondent la citoyenneté grecque. Quelques restrictions
cependant : la citoyenneté antique est un privilège réservé à une élite
masculine, et ne concerne que les hommes libres (les métèques, les étrangers et
les esclaves ne sont pas citoyens). La citoyenneté romaine est attribuée aux
hommes libres des régions conquises, les élites d’abord, avant de s’étendre à
la grande majorité (avec l’édit de Caracalla en 212). La citoyenneté romaine
est intégrante et donne une vocation universelle à cette approche juridique.
A consulter
Aristote, La politique
Platon, Protagoras
Finley, Moses I., Démocratie antique
et démocratie moderne
Finley, Moses I., L’invention de la
politique
L’évolution historique du concept
La citoyenneté met en miroir deux modèles de
puissance : celui fondé sur la respublica
(idée d’une égalité entre les citoyens qui partagent une même conception des
affaires publiques, du droit et de la politique) ; et celui qui repose sur
la primauté de l’imperium (idée d’un
détenteur du pouvoir suprême). Le second modèle va l’emporter avec Charlemagne
et pendant tout le Moyen Age.
A partir du XVIe siècle, la pensée politique s’autonomise
par rapport à la pensée religieuse et la citoyenneté devient le fondement de la
modernité politique. Les révolutions anglaises et françaises au XVIIe et XVIIIe
siècles tendent à légitimer et renforcer le terme. Et un lien est désormais
instauré entre citoyenneté et nationalité.
La tradition anglaise, elle, repose sur le libéralisme pluraliste, garant de la
liberté des hommes face à l’Etat. L’Habeas corpus, de 1679, puis la Glorious
Revolution de 1688, en sont à l’origine.
En France, les révolutionnaires de 1789 rédigent la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen. « Les hommes naissent
et demeurent libres et égaux en droits ». Le caractère universel et
inconditionnel de cette déclaration ancre la notion moderne de citoyenneté au
sein d’un processus d’émancipation et d’un accès collectif et indifférencié à
des libertés individuelles et publiques.
Revendications et luttes pour l’égalité des droits à
partir du XIXe :
- Abolition de l’esclavage en France en 1848, aux Etats-Unis en 1863
-Disparition du suffrage censitaire et instauration du suffrage universel
en France en 1848
-Droit de vote accordé aux femmes aux Etats-Unis en 1920, en France, 1944,
en Haïti, en 1950
-Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948
àDroits civils et politiques : droits de l’individu
que l’Etat doit reconnaître comme limite de son pouvoir : liberté de
pensée, de réunion, d’association, droit de circuler librement, droit de vote,
droit à une nationalité, droit de ne pas être emprisonné de façon arbitraire,
de pas être soumis à la torture, droit à un procès public devant un tribunal indépendant.
La non-violation de ces droits par un Etat fait de cet Etat un Etat de droit.
àDroits économiques, sociaux et culturels : font appel à l’autorité de l’Etat : droit à la Sécurité
Sociale, au travail, au repos, à l’éducation, à bénéficier des œuvres de
culture et des progrès de la science. Ces droits ne sont pas aussi absolus que
les premiers, car ils dépendent du développement économique relatif à l’Etat.
àPactes et conventions, ayant pour but de
faire respecter ces droits dans les états les ayant signé et ratifié : Convention
Européenne des droits de l’homme ; Convention de l’Organisation
Internationale du Travail ; Convention de l’ONU contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la
femme ; Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant, etc.
A consulter
Le citoyen ou les fondements de la politique, Hobbes, 1642
Du contrat social, Rousseau, 1762
La citoyenneté moderne
Nourrie des héritages historiques, la citoyenneté moderne
se construit sur l’idée d’une appartenance a une communauté politique
transcendant les différences individuelles. Jean Léca, spécialiste de la
philosophie politique et de science politique, en propose une définition. Selon
lui, la citoyenneté confère des droits
(droit civil, politique et social) et des obligations
vis-à-vis de la collectivité publique ; elle repose sur la compréhension du rôle de l’Etat
(régulations, droits et obligations sociales) ; et elle comporte une
dimension civique qui définit un ensemble de qualités morales constitutives d’un « bon citoyen ».
La citoyenneté : une ou
plurielle
La notion passe du juridique au social. Elle est critiquée
parce qu’elle ne prend pas en compte la permanence des inégalités réelles. Marx
dénoncera l’aliénation des hommes par un système économique (lié à l’industrialisation)
qui profite à une classe dominante au détriment des autres classes.
Une évolution constante de la notion de citoyenneté. La citoyenneté
est possible autrement que dans le contexte de l’espace politique
traditionnel,ce qui rend caduque la notion de citoyenneté fondée uniquement sur
l’Etat-Nation. On parle de
« citoyenneté européenne, de citoyenneté mondiale, de citoyenneté
électronique »… Une question en débat en France en ce moment est celle de
la reconnaissance du droit de vote aux étrangers. L’idéal du « bon
citoyen » est donc une construction
sociale commode, à redéfinir constamment.
3/ DEFIS
ET PERSPECTIVES : ETRE CITOYEN EN HAÏTI
Les acquis historiques
1804, indépendance d’Haïti, bâtie sur les faits d’armes
d’une révolution anti-esclavagiste. Toussaint Louverture a appliqué les droits
humains des législateurs français. Les dirigeants consacrent une part
importante à la défense de la race noire, au détriment de la construction d’un
état-nation de droit.Plusieurs constitutions sont rédigées entre 1802 et 1987.
A consulter pour aller plus loin
Casimir, Jean, « Haïti et ses élites, l’interminable
dialogue de sourds » : http://emoglen.law.columbia.edu/twiki/pub/AmLegalHist/ThaliaJulmeproject/Haiti_et_ses_elites,_Jean_Casimir.pdf
Les velléités
démocratiques de l’après 1986
La constitution de 1987 : 1/ Prescrit des réformes à mettre en œuvre. Indépendance
et souveraineté nationale ; démocratisation de l’exercice du pouvoir,
rapprochement de l’Etat et du citoyen. En plus des 3 pouvoirs
traditionnels : exécutif, législatif et judiciaire ; 2 autres
piliers : les institutions indépendantes et les institutions décentralisées.
2/ Sur le plan économique : « garantit la liberté économique tant
qu’elle ne s’oppose pas à l’intérêt social », participation du plus grand
nombre dans la création de cette richesse, crée Institut national de la Réforme
Agraire (INARA). 3/ Sur le plan social : éducation, scolarisation massive,
campagne d’alphabétisation, n’admet pas de discrimination entre enfants
naturels (légitimes/adultérins), garantit les droits sociaux (logement,
travail, éducation, protection sociale, pour tous les citoyens) ; le créole
devient langue officielle, une académie haïtienne est créée. La Liberté de
conscience et de religion est garantie. Protection du patrimoine culturel matériel
et immatériel.
Concept de l’Etat ou de
la démocratie inachevé(e) : qu’est-ce que la citoyenneté dans un état
démocratique en construction ?
Le rôle de l’Etat :
appliquer la constitution, donner une résonnance politique aux préoccupations
sociales, promouvoir l’éthique de
l’action politique, valoriser l’engagement citoyen/politique, promouvoir l’instruction, l’information et l’éducation civique.
Le rôle du citoyen :
intérêt politique et intérêt pour les questions de société, engagement citoyen,
participation à la vie politique
(vote), et à la vie associative.à Désenchantement face à l’élitisme et la corruption.
A consulter
-Constitution haïtienne de 1987
-Buteau, Pierre, Rodney Saint-Eloi et LyonelTrouillot, 2010. Refonder Haïti ?, coll. Essai, éd. Mémoire
d’encrier, Montréal
-Corten, André, 2011. L’Etat faible, Haïti et la République Dominicaine,
coll. Essai, éd. Mémoire d’encrier, Montréal
-Hurbon, Laennec, 2001. Pour une
sociologie d’Haïti au XXIe siècle, La démocratie introuvable, éd. Karthala,
Paris.
-Trouillot, Lyonel, Haïti, (re)penser
la citoyenneté.
-Valcer, Charles, Collectif Agir pour Haïti, « Les jeunes et la
politique en Haïti :entre désaffection et desenchantement », Le
Nouvelliste, 2013 (en ligne)
-Lunde, Henriette et Ketty Luzincourt, « Politique politicienne :
une perception de la jeunesse haïtienne », 2011, NorwegianPeacebuilding
Center (en ligne)
-Mérion, Julien, « Le défi haïtien : refonder l’Etat à partir de
la décentralisation ? », revue Pouvoirs dans la Caraïbe, n#10, 1998
(en ligne)
Sujet d’actualité sur les notions
de nationalité et d’apatridie :
le 26 décembre 2013, la sentence de la Cour Constitutionnelle de la République
Dominicaine retirant la nationalité dominicaine aux descendants d’immigrés nés
sur le sol dominicain, les haïtiens étant les principaux concernés.
Réalisé
par Jean-Gérard Anis & Carine Schermann
FOKAL
Mars-Avril 2014
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