1/ DEFINITIONS GENERALES
Justice : “1/ Principe moral qui exige le respect du droit et de
l’équité. 2/ Qualité morale qui invite à respecter les droits d’autrui. 3/
Institution chargée d’exercer le pouvoir judiciaire, d’appliquer le droit”,
dictionnaire Larousse en ligne.
Le terme
justice vient du latin : jus, juris:
droit
- Principe
moral de la vie sociale fondé sur la reconnaissance et le respect du droit
- Pouvoir
pour la reconnaissance et le respect de ces droits
La
justice s’appuie sur des règles édictées par des instances extérieures (Constitution,
traité, loi) et les textes élaborés au cours de l’exercice du pouvoir
judiciaire (jurisprudence).
Le
pouvoir judiciaire n’est pas uniforme : il existe la justice civile, la justice
administrative, la justice pénale, la justice militaire, la justice
internationale.
De l’existence d’une justice saine et équitable et d’une
institution capable de la mettre en œuvre dépendent les fondements de tout
régime démocratique et d’un État de droit.
Notions à consulter: égalité et légalité, droit, règle de
droit, droit positif et droit naturel, arbitraire, impunité, devoir de mémoire
2/ HISTORIQUE ET ENJEUX
Depuis
Locke et Montesquieu aux 17e et 18e siècles, la notion
d’État s’inspire de la théorie de la séparation des pouvoirs : entre le pouvoir
législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. La séparation des
pouvoirs a pour but de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à
l’exercice de la souveraineté.
Mais une
hésitation perdure quant à la notion d’indépendance du pouvoir judiciaire.
Locke en 1690 distingue le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le
pouvoir fédératif, c’est-à-dire le droit de faire la guerre et de signer des
traités. Montesquieu, lui, distingue en 1748 dans De l’esprit des lois, la puissance législative, la puissance exécutive
des choses qui dépendent du droit des gens et la puissance exécutrice de celles
qui dépendent du droit civil.
Aujourd’hui,
parler de l’indépendance de la justice évoque deux choses:
-
Son indépendance par rapport au pouvoir législatif, rendu
possible par l’interdiction faite aux juges de se substituer au législateur et
l’interdiction aux législateurs d’intervenir dans une affaire judiciaire en
cours.
-
Son indépendance par rapport au pouvoir exécutif, rendu
possible par la séparation des fonctions administratives et judiciaires et par
des règles statutaires.
3/ DEFIS ET PERSPECTIVES EN HAITI
Le système
judiciaire haïtien nait au même moment que l’État, en 1804. Haïti s’est beaucoup
inspiré du modèle français en termes de juridiction.
Le système
judiciaire en Haïti
« Le principe du double
degré de juridiction a été adopté en Haïti. Ainsi, existe-t-il deux degrés de
juridictions : les tribunaux qui rendent des jugements, obligatoirement saisis
en première instance, forment les juridictions du 1er degré. Les cours d’appel
rendent, de leur côté, les arrêts après avoir procédé à un nouvel examen du
litige jugé au 1er degré: elles forment les juridictions du second degré »[1].
A consulter :
“Entretien avec Me Camille Leblanc sur le fonctionnement
actuel de l’appareil judiciaire haïtien”, Chemins
Critiques, revue haïtiano-caribéenne, “Justice”, vol.3, n°3, janvier 1997.
a. Violence
et pouvoir: une relation d’impunité
“L’impunité n’est ni un hasard ni une négligence.
Elle est plus qu’un outil, elle est la boite à outils, le cœur du système. Pas
un système totalitaire : il n’en a pas les moyens. Mais plus qu’un usage : un
schéma qui, liant l’impunité à la peur, permet au système de durer (…)
L’arbitraire est inhérent au pouvoir”, affirme Christophe Wargny[2],
avant de conclure : “Impunité, j’écris
ton nom…”
Pour
comprendre le fonctionnement de la justice en Haïti, il faut comprendre le
contrôle qu’exerce l’exécutif sur le pouvoir judiciaire (justice et police), et
ce au cours de l’histoire contemporaine.
Rappel de
l’histoire contemporaine haïtienne
Sept 1957 : Election
de François Duvalier à la présidence
Nov 1962 : Duvalier
promulgue un décret qui créé les Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN)
Juin 1964 : Duvalier
devient “président à vie” à l’issue d’un référendum constitutionnel truqué
Avril 1969: Adoption
de la loi anticommuniste
Janvier 1971: Une nouvelle Constitution confère au président
le pouvoir de désigner son successeur, qui exercera également ses fonctions à
vie
Avril 1971: Mort de François Duvalier. Jean-Claude
Duvalier devient président.
1973: Duvalier crée le Corps des
Léopards.
Sept 1977: Haïti ratifie la Convention américaine
relative aux droits de l’homme.
Février 1986: Duvalier démissionne de ses fonctions de président
et s’exile en France.
1990 : Élection d’Aristide à la
présidence : élections libres, respect des droits du citoyen, dissolution de
l’armée, création d’une nouvelle police, création de la Commission Justice et
Vérité…
29 sept. 1991 : Coup d’État putschiste et prise du
pouvoir par le général Raoul Cédras
1994 : Répression anti-Lavalas mené
par le Front Révolutionnaire pour l’Avancement et le Progrès Haïtien (FRAPH) :
massacre de Raboteau, bidonville réputé pro-Lavalas des Gonaïves.
1994 : Intervention des États-Unis et
rétablissement d’Aristide dans ses fonctions, qu’il laisse à René Préval, élu
en 1995
2000 : Élection
d’Aristide à la présidence : clientélisme et chimères.
3 avril 2000: Assassinat
de Jean Dominique, directeur de Radio Haïti Inter
2003 : Assassinat d’Amiot Métayer
(chimère d’Aristide) dans des circonstances obscures, instille doute et
scission au sein des partisans Lavalas
29 fév. 2004 : Démission
d’Aristide et départ en exil – Intérim assure par Boniface Alexandre
2006 : Élection de Préval à la
présidence
Janvier
2011: Jean-Claude Duvalier rentre pour
la première fois en Haïti depuis son départ en exil, interdit de quitter le
territoire, il fait l’objet de plusieurs plaintes déposées contre lui par des
associations et par les autorités haïtiennes : il est accusé de crimes contre
l’humanité et de détournement de fonds.
b - Le
règne des Duvalier (1957-1986): la violence institutionnalisée
Négation
du droit et des libertés
Le règne
Duvalier est caractérisé par la violence et la répression, orchestrées à
travers le macoutisme. “L’arbitraire a envahi tout l’espace social et politique”
ou encore “le gouvernement haïtien, signataire de nombreux accords et
conventions internationales sur le respect des droits humains, la protection
des droits des travailleurs, a violé tous ses engagements”.[3]
Les
instruments de la répression et de l’exercice de la violence :
- - les Forces armées d’Haïti (FAD’H) – 9000 membres :
maintien de l’ordre et de sécurité, contrôle des opposants politique,
supervision des prisons haïtiennes.
- - les Volontaires de la Sécurité Nationale (VSN) - 9000 membres
: milice armée aussi appelée les “tontons macoutes”
- - le Corps des Léopards – 600 à 800 membres : force de
sécurité personnelle de Jean-Claude Duvalier
-
la garde présidentielle – 600 membres : garde du président
et surveillance de l’armée.
- - la police secrète (Service de dépistage), police
militaire et police rurale
Instrumentalisation
du droit et des institutions étatiques
En 1969,
une campagne d’extermination contre les militants de gauche est organisée :
jeunes, étudiants, professeurs, fonctionnaires, ouvriers, paysans, militaires…
subissent arrestations, interrogatoires, séances de torture, exécutions
sommaires… Le gouvernement donne un fondement légal aux tueries en promulguant
la loi anti-communiste le 28 avril 1969[4].
A propos de cette loi qui donne une façade légale au crime organisé, la
Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme se prononce : “Les
dispositions précitées punissent de la peine de mort la seule expression de
certaines idées ou la profession de certaine foi politique, même en privé, et
sans que soient nécessaires pour constituer le délit, ni une action concrète
contre les pouvoirs constitués de l’État, ni la création d’un danger pour
ceux-ci. En second lieu, il n’existe pas de définition légale concrète des
idéologies que condamne cette loi”.
-Belleau,
Jean-Philippe, « Massacres perpetrated in the 20th Century in Haïti »,
Online Encyclopedia of Mass Violence, 2 April 2008. (en ligne) www.massviolence.org/Article?id_article=471
-Antonin, Arnold, Le
règne de l’impunité (documentaire cinématographique)
-Haïti: jamais,
jamais plus, les violations des droits de l’homme à l’époque des Duvalier,
Atelier des Droits Humains du CRESFED
-Pierre-Charles, Gérard, Radiographie d’une dictature, Haïti et Duvalier, éd. De
l’Université d’État d’Haïti, 2013
-Papa Doc et les
tontons macoutes, Bernard Diederich
-Le site internet “Haïti lutte contre l’impunité”
(documents d’archives, témoignages, photographies, interviews)
c -
L’ère Aristide (1990-2004) : orchestration de la violence et blocage du système
judiciaire
L’année
1994 marque le retour à un État de droit, et la lutte contre l’impunité devient
une priorité. Wargny écrit : “Quelle
démocratie pourrait fonctionner dans le prolongement de ces habitudes, quel
État de droit pourrait être légitime sans sanction du crime?”
Des
réformes de façade :
- Dissolution
de l’armée
-
Création de l’Office de protection du citoyen
-
Création de l’Ecole de la Magistrature
-
Création de la Commission pour la réforme de la justice
-
Création de la Commission Nationale de Vérité et de Justice (CNVJ) qui siège
entre 1994 et 1996. -
- Mise en place par décret présidentiel. Sa mission :
enquêter sur les violations des droits humains sous la dictature ; proposer des
indemnisations aux victimes ; recommander des réformes des institutions. Le
rapport = “Si m’pa rele” révèle le nom de 9000 victimes. Un seul procès ira au
bout en 2000 : celui condamnant les responsables de la junte militaire menée
par le général Cédras lors du massacre de Raboteau en 1994 (lourdes peines et
40 millions de dollars d’amendes)
-
Création d’une nouvelle police civile, formée avec aide de la communauté
international : la Police Nationale d’Haïti (PNH) : constitue un progrès mais
l’intégration d’éléments de l’ancienne armée, la politisation, la corruption et
la formation de milices privées affaiblissent l’institution.
- Des
réformes d’intention, mais le système judiciaire est désuet et corrompu. “Un
laboratoire, une police scientifique, une médecine légale, des juges
professionnels: tous existent grâce à des concours extérieurs, mais sont invités
à ne pas fonctionner”.
En 2000
: Succès de Lavalas. Aristide appelle à une tolérance zéro contre les
“criminels”. La surdensité carcérale s’explique par la sévérité et la
disproportion de certaines peines par rapport aux faits incriminants. La
violence est partout au sein des OP (organisations populaires) : Cité Soleil
est une zone de non-droit (meurtres, incendies, viols) et aucune poursuite
n’est engagée.
Le 30
septembre 2002, Aristide nomme Calixte Delatour comme Ministre de la Justice : ancien
homme de main de Duvalier.
-Péan, Leslie, “Haïti, un paradis pour les assassins
(1ere partie), site de Nancy Roc, 6 février 2014, en ligne : http://nancyroc.com/haiti-impunite-un-paradis-pour-les-assassins-premiere-partie/
-Péan, Leslie, “Haïti, un paradis pour les assassins
(2eme partie), Alterpresse, 8 février 2014, en ligne : http://www.alterpresse.org/spip.php?article15959#.UwyzkL-E3-Y
-Danroc,
Gilles et Daniel Roussière, « Soif de justice en Haïti »,
« L’impunité, mal endémique de l’Amérique Latine », Le monde
Diplomatique, mai 1998 (en ligne) http://www.monde-diplomatique.fr/1998/05/ROUSSIERE/10473
-Wargny,
Christophe, Chapitre 13 « La culture de l’impunité », Haïti n’existe pas, 1804-2004, 200 ans de
solitude, Autrement, 2004
-Ghosts
of Cité-Soleil (documentaire)
d – Réformer
la justice
Réformer le système judiciaire pour garantir la sécurité
Quand
a-t-elle été formulée? (Sous Aristide? A la mort de Jean Dominique?) En tout
cas, une volonté émerge : une volonté de remplacer la justice expéditive
et la vengeance par un système judiciaire pénal fonctionnel.
-International Crisis Group, “Garantir la sécurité en
Haïti : réformer la justice”, Briefing Amérique Latine/Caraïbe n°27, 27 octobre
2011 : en ligne : http://www.crisisgroup.org/~/media/Files/latin-america/haiti/B27%20Keeping%20Haiti%20Safe%20--%20Justice%20Reform%20FRENCH.pdf
Lutte contre l’impunité et justice réparatrice
Mettre
en place une véritable justice transitionnelle[5]
La seule
tentative d’instauration d’une justice transitionnelle est celle de la CNVJ,
instauré par Aristide. Elle ne parvient pas à la réconciliation. Par ailleurs,
aucune commission n’a été mise en place pour juger des violations des droits de
l’homme sous Duvalier ou encore sous Aristide.
Le
procès de Jean-Claude Duvalier
Après un
exil de 25 ans en France, Jean-Claude Duvalier est de retour en Haïti le 16
janvier 2011. Il est accusé devant la justice de crimes contre l’humanité et de
crimes économiques. Depuis 2011, une lutte est menée pour le faire juger. Le
dossier est à la Cour d’appel de Port-au-Prince, qui n’a toujours pas rendu son
verdict. La dernière séance s’est tenue en mai 2013. L’issue de ce procès sera déterminante
pour l’avenir de la justice en Haïti.
Le
Collectif contre l’impunité, constitué de victimes du régime des Duvalier, a
inauguré le 7 février 2014, date symbolique puisque c’est la date du départ de
Jean-Claude Duvalier, le lancement du site internet : “Haïti lutte contre
l’impunité”.
-Joseph, Jacceus, Le
procès de Duvalier…pour crimes contre l’humanité, FOKAL, 2013
-Human Rights Watch, “Haïti, un rendez-vous avec
l’Histoire; les poursuites contre Jean-Claude Duvalier”, 2011
-Amnesty International, “On ne peut pas tuer la vérité,
le dossier Jean-Claude Duvalier”, 22 sept. 2011
-Hurbon, Laennec, “Le crime, l’oubli et le pardon”,
Chemins Critiques, “Justice”, vol.3, n°3, janvier 1997
Le cas de
l’épidémie de choléra de 2010 : violations des droits humains par l’ONU
L’ONU (à travers la Minustah) ne reconnaît pas sa
responsabilité dans la propagation de l’épidémie de choléra en Haïti : environ
700 000 cas déclarés et 9000 morts entre 2010 et 2013.
-Institute for Justice and Democracy
in Haïti : des avocats internationaux représentent les victimes de l’épidémie.
Basé à Boston.
A consulter
“Peace keeping without
accountability: The United Nation’sreponsability for the Haïtian cholera
epidemic” (“Maintien de la paix sans responsabilité: La responsabilité des
Nations Unies dans l’épidémie de cholera en Haïti”), rapport d’un groupe de
chercheurs de l’université de Yale, 14 décembre 2013, en ligne.
Réalisé par Jean-Gérard Anis & Carine
Schermann
FOKAL Mars-Avril 2014
[1]Site du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique.
A consulter pour voir l’organigramme du système judiciaire.
[2]In Haïti n’existe pas
[3]In Haïti, jamais, jamais plus
[5] Concept de droit international. Pour une définition
exhaustive, consulter l’article de Joseph Bemba : http://www.irea-institut.org/joseph-bemba.html
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