dimanche 11 mai 2014

QUELLES RELIGIONS DANS UN CONTEXTE D'ETAT FRAGILE?


1/ DEFINITIONS GENERALES

Religion :
- «  1/ Ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de l’homme avec le sacré.
2/ Ensemble de pratiques et de rites spécifiques propres à chacune de ces croyances », dictionnaire Larousse.
- « En matière de religion, il ne convient pas d’établir un rapport de supériorité ni d’infériorité, mais de parler en terme d’efficacité. Une religion est efficace, lorsqu’elle aide l’individu à faire une mise en ordre du chaos que semble constituer l’existence », Jean Fils-Aimé, Docteur en théologie, in Et si les loas n’étaient pas des diables ?, une enquête à la lumière des religions comparées, éd. Dabar, 2008. 

Notions à consulter : sacré, syncrétisme, prosélytisme

Le problème des chiffres et de leur lecture
Il est difficile de dresser un panorama chiffre des religions en Haïti, qui soit réellement fiable.

Chiffres de l’Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique (2003)
Religion catholique : 54,7% des haïtiens
Religion baptiste :       15,4%
Religion pentecôtiste :             7,9%
10,2% de la population ne pratique aucune religion.

àCe recensement ne prend pas en compte :
-          La majorité religieuse : les vodouisants
-          Les minorités religieuses : musulmans, mormons, épiscopaliens, témoins de Jéhovah, méthodistes…
àLa prise en compte de l’ensemble de la population dans les statistiques est difficile à concevoir.
àLe vaudou est la religion de la majorité, mais contrairement au catholicisme qui se place dans la parole ouverte, le vaudou n’est pas une religion qui se déclare. Par ailleurs, pendant longtemps le vaudou n’a pas eu droit à une expression officielle.
àIl est difficile d’estimer le nombre de personnes pratiquant à la fois le vaudou et le christianisme. Alfred Metraux : « La République d’Haïti offre la singularité d’être un pays catholique dans lequel la majorité des fidèles, tout en se considérant comme des fils respectueux de l’Eglise, n’en pratiquent pas moins une religion nettement païenne ».

2/ HISTORIQUE ET ENJEUX

A-VAUDOU

Les origines du vaudou
Le terme « vodou » vient du langage parlé par les communautés Fon du Dahomey. Religion des esclaves noirs venus d’Afrique, le vaudou est une religion syncrétique : il intègre des éléments des religions africaines au culte des saints de la religion catholique importée par les colons français.
Le vaudou, considéré comme une pratique subversive par les colons, a joué un rôle important dans le combat quotidien des esclaves, et a constitué un élément catalyseur dans les révoltes contre l’occupant français.

Evolution du cadre légal
-Décret-Loi du 5 septembre 1935, de Sténio Joseph Vincent :fait du vaudou une pratique superstitieuse à détruire.
-Article 297 de la Constitution de 1987 : « Toutes les Lois, tous les Décrets-Lois, tous les Décrets restreignant arbitrairement es droits et libertés fondamentaux des citoyens notamment : a. Le Décret-Loi du 5 septembre 1935 sur les croyances superstitieuses (…) sont et demeurent abrogés.
-Arrêté du gouvernement d’Aristide[1], en 2003, désignant le vaudou comme étant « une religion à part entière ».
-Abrogation de l’article 297 de la Constitution, en mai 2011, sous le gouvernement Martelly. Objet d’une vive controverse.

Critiques et persécutions
Religion marginalisée, elle connait une longue histoire de persécutions : assassinats de vodouisants, incendie de péristyles, etc.En 1935, le décret-loi du 5 septembre a notamment permis de légalisé les campagnes de « rejetés », chasses aux vodouisants organisées durant le régime de Lescot (1941-46) avec la bénédiction de l’église catholique.
Aujourd’hui, les églises protestantes sont les principaux foyers de critiques des pratiques vaudou.

Vaudou et christianisme
La sorcellerie et les sociétés secrètes
Il est délicat de parler de sorcellerie : les pratiques sont mouvantes, difficilement documentables carésotériques, secrètes. On peut cependant poser quelques hypothèses sur leur fonctionnement et leurs rôles sociaux, et se référer aux travaux de Gérard Barthelemy[2]. Selon lui, l’absence de l’Etat et d’institutionnalisation du pouvoir ont conduit à l’émergence d’un système autorégulé de la culture paysanne. Et les mécanismes institutionnels de défenses du citoyen n’existant pas, la sorcellerie est le meilleur paravent pour se prémunir d’autrui. « La sorcellerie devient le régulateur des rapports de crise entre les individus. Elle ne s’exprime que dans cet espace juridique et pénal laisse libre par l’absence d’Etat, de justice officielle reconnue, de codes et de lois acceptées par tous »[3]. Les sociétés secrètes constituent l’instance d’appel. Elles jouent un rôle important dans la régulation sociale, de par la terreur qu’elles inspirent dans l’imaginaire collectif.

Vaudou et christianisme
Alfred Metraux explique que « catholicisme et vodou se fondent en un système plus ou moins cohérent dans lequel dieu, le Christ, les Saints, les lwa, les Jumeaux et les morts font plus ou moins bon ménage. Les équivalences entre saints et divinités africaines sont une des manifestations les plus symptomatiques du syncrétisme qui caractérise le vodou ». Barthelemy explique cette cohabitation en disant qu’au sein de la fragmentation sociale et de la déstructuration du lakou, la religion constitue un élément de rassemblement et d’identification collective : la religion catholique joue le rôle d’identification collective, tandis que l’héritage africain permet de singulariser le culte.

B - L’EGLISE CATHOLIQUE

Les débuts en Haïti
A ses débuts en Haïti, le catholicisme est mal en point : pénurie de prêtres, des prêtres peu intègres et peu soucieux de leurs devoirs. Jean-Pierre Boyen (1818-1845) sollicite plusieurs fois un concordat avec Rome. Il faut attendre l’arrivée au pouvoir du General Geffrard pour que le Concordat soit signé en 1860. Elle marque une nouvelle ère du catholicisme en Haïti : création de diocèses, nomination d’archevêques et d’évêques, construction d’églises et d’écoles. L’objectif est d’évangéliser le plus grand nombre. C’est également le début des tentatives de re-christianisation des campagnes.

Lieux du catholicisme 
Télévision Soleil (chaine 25), Radio Soleil, Radio Voix Ave Maria, Eglise du Sacré-Cœur, Université du Sacre Cœur.

C - PROTESTANTISME

L’introduction en Haïti
Le protestantisme s’introduit en Haïtiaprès l’indépendance, d’abord dans le Nord, puis dans l’Ouest. Mais dans les premiers temps, il n’y a aucune velléité de prosélytisme. Au milieu du siècle, des protestants d’Angleterre vont s’installer dans la capitale et dans les grandes villes de province, et vont construire des églises et des écoles, siègesde la propagation de leur doctrine. Des vagues migratoires de branches protestantes arrivent alors d’Angleterre et des Etats-Unis : baptistes, méthodistes, adventistes du septième jour, épiscopaliens… L’occupation américaine a affirmé l’ancrage de la religion en Haïti.

Rejet du vaudou et conversions
àPerception du protestantisme comme un refuge contre la sorcellerie et le vaudou.
àCf. le texte d’Alfred Metraux.

Les lieux du protestantisme dans l’espace urbain
Centre Saint Vincent de Port-au-Prince ; la station radio 4VEH du département du Nord ; les radios et télévisionLumière ; les universitésChrétienne du Nord d’Haïti et Lumière dans le Sud ; le collège Bird de Port-au-Prince. Les protestants haïtiens sont représentés par la FédérationProtestante d’Haïti.

D – LES AUTRES APPARTENANCES CONFESSIONNELLES

Mormons – Musulmans – Témoins de Jéhovah – Franc Maçonnerie

A consulter pour aller plus loin
-Metraux, Alfred, Le vaudou haïtien, préface de Michel Leiris, Tel Gallimard, 1958
-Metraux, Alfred, « Vodou et protestantisme », in Revue des Religions, vol. 144, 1953, en ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1953_num_144_2_6004
-Barthelemy, Gérard, Le pays en dehors, Ed. Henri Deschamps et CIDIHCA, 1989
-Corten, André, Diabolisation et mal politique ; Haïti : misère, religion et politique, Ed. du CIDIHCA/Karthala, 2000
-Fils-Aime, Jean, Et si les loas n’étaient pas des diables ?, une enquête à la lumière des religions comparées, éd. Dabar, 2008.
-Romain, Charles Poisset, « Le protestantisme dans la société haïtienne »
-« Dans la Franc-maçonnerie », Le Nouvelliste, 05 janvier 2012, en ligne.


3/ DEFIS ET PERPECTIVES EN HAITI :
RELIGIONS ET FAIBLESSE DE L’ETAT – L’EXEMPLE DE L’APRES-SEISME

Le « théologico-politique »
Expression de Laennec Hurbon[4], qui « évoque ce que l’on peut appeler une intrication du religieux dans le politique, comme un phénomène qui relève de l’inconscient ».

Justification religieuse du séisme
Laennec Hurbon la décrit ainsi[5] : « Aux premiers instants du séisme, toute la population de la capitale s’est jetée dans les rues en poussant des cris de détresse, et immédiatement ce qui remonte ce sont les croyances inculquées, parmi lesquelles celle de la fin du monde apparait dominante : « convertissez-vous, n’avez-vous pas vu que, et le Palais National, et la cathédrale se sont effondres ? Qu’est-ce que vous attendez pour vous mettre à genoux ? », criaient les uns et les autres ». Dans cette justification religieuse du séisme, l’idée du châtiment. 

Entre aide effective…et exploitation religieuse de la catastrophe
A cote du déferlement humanitaire, déferlement d’organisations religieuses : Islam, fondamentalismes évangéliques des Etats-Unis, scientologie, etc. Ils ont investi les camps de survivants. Certaines efficaces dans l’aide accordée, d’autres ont profité de la vulnérabilité générale à des fins de prosélytisme religieux et de propagande idéologique. L’absence de l’Etat a rendu possible l’exploitation religieuse du séisme : « le succès des religions prend place dans le vacuum de l’Etat »[6], ce qui provoque une relativisation des missions fondamentales de l’Etat.

A consulter pour aller plus loin
-Hurbon, Laennec, « Religions, politique et mondialisation en Haïti », in Haïti, réinventer l’avenir, sous la direction de Jean-Daniel Rainhorn, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, éd. de l’Université d’Etat Haïtien, 2012
-Corten, André et André Mary (dir.), Imaginaires politiques et pentecôtismes, Karthala, 2000
-Marc-Eric Gruénais, « Imaginaires politiques et pentecôtismes (Afrique/Amérique latine). André Corten et André Mary (dir.) », Bulletin de l'APAD, 21 | 2001, en ligne : http://apad.revues.org/194
-Robert, Arnaud et Ian Jaquier, Bondye Bon (film), en ligne :                http://www.youtube.com/watch?v=yt0o_BvvfYo



Réalisé par Jean-Gérard Anis & Carine Schermann 
FOKAL Mars-Avril 2014


[2]Cf. Gérard Barthélemy, in Le pays en dehors
[3]Ibid

[4] Laennec Hurbon, in « Religions, politique et mondialisation ».
[5]Ibid
[6] Ibid

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