1/ DEFINITIONS GENERALES
- Qu’est-ce
qu’un jeune ?
Le jeune est un individu qui a un âge
compris entre 15 et 25 ans, classe d’âge coincée (arbitrairement) entre
l’adolescence et le monde des adultes. Néanmoins, le jeune tient de ces 2
mondes. Du point de vue sociologique, la
jeunesse est une période de transition entre l’enfance et l’âge adulte au cours
de laquelle le jeune se construit comme sujet autonome, une période charnière où on
sort de l’enfance, où on commence à faire des choix, où on prend des décisions.
On quitte un âge où quelqu’un s’occupait de vous pour entrer dans l’âge des
responsabilités (l’âge adulte). Traditionnellement,
les sociologues considèrent que la décohabitation de chez les parents, l’accès
à un emploi, la mise en couple stable marquent la sortie de la jeunesse.
L’âge
des jeunes varie selon les pays, les instances internationales ou
gouvernementales
: entre 15 et 30 ans en Haïti, entre 15 et 25 ans pour l’ONU, entre 15 et 24 ans pour
l’Assemblée mondiale des Jeunes, entre 15 et 29 ans pour le Commonwealth, entre 0 et 21 ans pour
l’autorité routière des Etats-Unis. Dans le cas de notre travail,
nous nous intéressons aux jeunes de 15-24 ans, suivant le bureau du Fonds des Nations unies pour la Population
(FNUAP) en Haïti. Mais, les
frontières séparant traditionnellement les différents âges de la vie apparaissent
de plus en plus fluctuantes.
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JEUNE
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Source FNUAP Haïti 2013
2. Qu'est-ce qu'être
un "jeune" aujourd'hui ?
La
période entre l'enfance et l'âge adulte s'est allongée. On sort de l'enfance de
plus en plus tôt. Par le regard valorisant que portent sur eux les parents,
l'école, le marketing, les enfants sont considérés comme autonomes de façon
beaucoup plus précoce. Mais devenir adulte est plus complexe qu'avant. Dans les
sociétés traditionnelles, l'entrée dans l'âge adulte était un processus extrêmement
bref. Aujourd'hui, cela dure près de 15 ans. Et les rites de passages, comme le
service militaire, ont disparu.
3.
Qu’est-ce
qu’être un
"jeune" en
Haïti ?
Selon une estimation du Fonds des Nations Unies pour
la Population en Haïti, les jeunes (15-24 ans) sont au nombre de 2, 288,044 individus, en juin 2013,
soit 20.46% de la population. Avec les enfants et adolescents, ils constituent
le groupe le plus important de la société soit 55.09%.
Evolution de la
population des jeunes haïtiens au fil des ans Source FNUAP Haiti 2013
AGE 1950 1960 1970 1980 1990 1995 2000 2005 2010 2013 2015 2050
15-24 ans 18.6
18.9 18.2 19.7 18.4 18.8 20.8 21.7 20.9 20.5 20.1 15.1
La baisse de la Natalité, initiée vers 1980, a entrainé une nette diminution
du poids des enfants de moins de 15 ans (35 % en 2013 contre 45% en 1990). Par
contre, la part relative des Jeunes de 15 à 24 ans a augmenté (20.5 % en 2013 contre 18.4 % en 1990) ainsi que celle des
adultes de 15 à 64 ans (60.9 % en 2013 contre 52.9 % en 1990). Le poids des
personnes âgées de « 65 ans et plus » aux deux derniers recensements demeure
stable : 5%.
L’âge médian de la population a reculé. Il était de 21 ans au Recensement
de 2003 contre 18 ans à celui de 1982. En 2013, l’âge médian de la population
varie légèrement suivant le sexe (20 ans chez les hommes contre 21 ans chez les
femmes). 50% des résidents de la zone métropolitaine ont moins de 22 ans contre
18% dans le département du Centre.
Notions à consulter : génération, jeunesse
« perdue », génération « sacrifiée », natifs du numérique,
A lire pour aller plus
loin
• Gabriel Bidegain et Jacques Hendry Rousseau, Dynamique de la population : nécessité
d’investir dans la jeunesse haïtienne pou casser le cycle inter générationnel
de la pauvreté, 11 Juillet 2013
• Gabriel Bidegain, Haïti : les grandes mutations de la société Haïtienne, CIAT
Aout 2013
• UNFPA Haïti, La jeunesse en chiffres, [PDF]
2/ HISTORIQUE ET ENJEUX
a-Histoire et
représentations du concept de "jeune"
Les
conceptions de l'antiquité classique distinguent
plusieurs âges de la vie dont la jeunesse symbolise souvent
l'innocence. Le jeune homme chez les Grecs est l'éphèbe, les jeunes femmes
doivent passer le rite d'initiation de l'ourse dans le sanctuaire d'Artémis. Les Romains ont
des termes plus précis : infans désigne
l'enfant en bas âge qui ne parle pas, puer
ou puella désigne le petit
garçon ou la petite fille de 7 à 17 ans et liberi correspond aux jeunes par rapport aux
parents.
La perception de la jeunesse comme âge distinct à
la fois des adultes et des enfants n'existe pas au Moyen Âge, mais existe comme statut social :
le terme latin juvenis (joven en langue vernaculaire) correspond au
jeune non marié. L'individu passe directement de l'enfance à l'âge adulte.
A 19 ans, 28 % des jeunes filles, soit environ 3 filles sur 10, ont
déjà eu au moins un enfant.
A moins de 20 ans, près de 3 adolescentes sur 10, soit 28 %, ont déjà
eu au moins un enfant ou sont enceintes
• Nombre idéal
d’enfants: 15-19 ans : 2,5 et à
20-24 ans: 2,6
• 51,1% des jeunes de 20- 24 ans ont eu leur premier rapport sexuel
avant 18 ans
• 43,3 % des jeunes de 20-24 ans ont eu des rapports sexuels au cours
des 4 dernières semaines avant l’enquête [de la FNUAP en 2013] et, 17,5 % des
adolescentes de 15 à 19 ans
• Age médian à la première naissance des femmes: 22,3 ans Source FNUAP Haïti 2013
b- Le passage du "jeune" à "l'adulte"
Toutes les sociétés divisent la vie en plusieurs âges. Dans les
sociétés occidentales, cette division se résume en général à trois séquences : la
jeunesse, la vie adulte et la vieillesse, auxquelles correspondent trois
situations sociales spécifiques : l'école, le travail et la retraite. Cette
organisation est centrée pour l'essentiel sur l'âge productif, la jeunesse
étant pensée comme une préparation à la vie active.
Pour passer de la jeunesse à l’âge adulte, on
franchit des seuils - l'entrée dans la vie professionnelle, la vie conjugale,
la naissance du premier enfant - au gré de son parcours individuel. Ce n'est
plus un changement net d'identité, confirmé par la collectivité ou par
l'institution. C'est davantage un processus de "maturescence" qu'un
âge adulte uniforme. Il y a même une réticence à se considérer comme
définitivement adulte, comme quelqu'un de complètement abouti. Car rien n'est jamais
acquis : avec l'augmentation des divorces, le chômage, tous les attributs de
l'âge adulte (le mariage, l'emploi, l'autonomie matérielle à l'égard des
parents) sont réversibles. Ce qui donne parfois l'impression de régresser.
Jadis, les transitions étaient courtes et les états longs. Aujourd'hui, c'est
l'inverse. Comme l'explique Cécile VAN
DE VELDE, la jeunesse n'est ainsi plus un état, mais un devenir, et l'âge
adulte une perspective plutôt qu'un achèvement.
c- Les âges en crise !
Les enfants
aspirent à être déjà des adolescents, et les plus vieux rêvent de redevenir
jeunes. En somme, tout le monde veut être jeune sauf les jeunes ! Car cette
période de transition n'est pas si facile à vivre que cela. Surtout pour cette
partie de la jeunesse qu'on appelle aujourd'hui les "ni-ni", qui ne
sont ni en études, ni en formation, ni en emploi. Ils ne s'inscrivent dans
aucun circuit institutionnel, ce que les rend très difficile à atteindre pour
les politiques publiques. Ils sont invisibles, délaissés, et n'ont souvent pas
une situation familiale optimale. Cette jeunesse-là est réellement en crise, et
à l'échelle d’Haïti, c'est une bombe à retardement. Finalement, personne n'est
vraiment bien dans son âge. On est en crise de transition permanente !
A lire pour aller plus
loin
• Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en
philosophie à l'université Paris-Sorbonne, est l'auteur, avec Eric Deschavanne,
de "Philosophie des âges de la vie" (Grasset). Interview. [PDF]
• SEJSSC, Diagnostic socio-économique de la jeunesse haïtienne,
les Editions Jeunesse, Port-au-Prince 1997
3/
les jeunes et leurs DIFFERENCES
a- Caractéristiques des jeunes
Nous
retiendrons 4 grandes caractéristiques des jeunes : voués à l’écran, mieux formés, précarité, assistanat
familial. D’une manière générale, au risque de tomber dans le cliché, les
jeunes marquent leurs spécificités à travers des gouts prononcés pour
certaines expériences et tendances:
La
musique : rap créole, rabòday,
RnB, Hip Hop, gangsta rap, pop music, zouk, dance, techno, compas nouvelle
génération
La danse :
rap, rabòday, danse à connotation
sexuelle, dance hall
Les
loisirs : ti sourit,
discothèque, bandes à pied et raras, festivals populaires de musique compas,
projection cinématographique, feuilletons télé d’amour, pool party,
L’habillement :
pantalon sou bouda, t-shirts démesurés,
vêtements déjantés, baskets de prix, képis à l’envers sur la tête, tresses ou dreadlocks
(garçons) ; pantalon san fouk, corps dénudés, vêtements serrés ou moulants,
coiffures décoiffantes, dreadlocks (filles)
Le
langage : jargon distinctif
mâtiné d’anglicismes
Des
codes de conduite : salutations,
démarche particulière, formation de "bases" dans les quartiers, forte activité
sexuelle, grande consommation de télé
Traits
de caractères : impulsivité,
émotivité, naïveté, esprit rebelle, vulnérabilité, réactivité, agressivité sans
violence, insouciance
L’usage
des NTIC :
mordus du sms, adeptes des réseaux
sociaux et de Youtube, rapport privilégié à l’écran
Les caractéristiques sociodémographiques des jeunes en Haïti Source FNUAP Haiti 2013
Les taux d’analphabétisme :
- chez les Jeunes de 15 à 24 ans: 82,4%; 85,2%(M)
et 81,1% (F) en 2005/2006; mais 96.6% (F) et 97% (H) en 2012.
- chez les Adolescents de 15-19 ans en
2012 : 97,4% (F) et 97,9% (H) en 2012
- à 25 ans 11,1% (F) et 12,2 % (M) ont
atteint le niveau Supérieur. Plus de trois fois la population totale (3.4)
Leur vulnérabilité face aux
IST :
Prévalence déclarée des infections sexuellement transmissibles (IST et
symptômes déclarés d’IST: 15-24 ans: 13,1%
Taux de prévalence du VIH-SIDA chez les Adolescente et Jeunes de:15-19
ans: 0,5%; 20 a 24 ans : 2,1%
b- Attentes et attitudes des jeunes
Rapport à
l’avenir
Pessimisme. Les
jeunes sont angoissés pour leur avenir en Haïti. Ils ne pensent qu’à partir
étudier, travailler, vivre à l’étranger. Ils sont fascinés par la diaspora.
Rapport
aux institutions
Une forte
défiance par rapport aux institutions politiques, aux média et aux entreprises
et à l’opposé une grande confiance dans la science et les associations :
associations comme « concrétiseurs d’action », ce qui ne veut pas dire qu’ils y
adhérent nécessairement.
Régimes
d’engagement
Un nouveau régime
d’engagement des jeunes peut être dégagé qui est - ponctuel, limité dans
le temps ; mobile quant à son objet ; non affilié idéologiquement ;
visible dans ses résultats. C’est un engagement que l’on a pu dire « post it ». Son principe fondamental,
c’est « être utile ». A travers lui s’esquisse un régime de citoyenneté d’un
type nouveau qui renvoie à la fois à la fois à des formes d’engagement
politiques différentes et à des logiques d’utilité sociale plus que d’intérêt
général.
Politisation
des jeunes et radicalisation
Les jeunes
apparaissent comme faiblement politisés en général, en tous les cas dans les formes
classiques : vote, adhésion à un parti etc. Quand ils votent c’est de façon intermittente,
en fonction des enjeux et pas par principe. Leur politisation prend surtout des
formes protestataires.
Cependant
quelques évolutions significatives apparaissent depuis 1987 : les jeunes ne se
situent pas politiquement, considèrent que la politique est très importante, se
plaignent d’être pas représentés dans les partis mais ne se disent très
intéressés.
c- Les valeurs et leurs
inscriptions sociales
Valeurs
sociale et valeurs morales
Les valeurs
sociales s’organisent autour du triptyque amitié, travail et famille. Si les
valeurs travail et familles sont partagées avec les plus âgées, elles ne
revêtent pas nécessairement le même sens. Quant à la valeur « amitié » elle
distingue fortement les jeunes des autres classes d’âges.
Les valeurs
morales tournent autour du respect, de la solidarité et de la liberté. La
tolérance, le respect de chaque individu dans ses différences apparaissent
comme un des principes prioritaires pour notre société ».
A lire pour aller plus
loin
• Conférence de Jean-Claude
Richez, coordonnateur de la mission observation / évaluation de l’INJEP en
décembre 2012. [PDF]
4/ Relations intergÉnÉrationnelles
a. Malentendus générationnels (fracture générationnelle)
En Haïti, selon les propos de jeunes tenus
lors d’un séminaire de réflexion sur la jeunesse en mai 2009, les relations
entre l’enfant (de 0 à 12 ans) et eux sont marqués soit par des abus (le jeune
est volontiers dominateur, contraint l’enfant à agir selon sa volonté, le pousse
hors de sa sphère d’activité) soit par de l’indifférence (le jeune s’indigne
fort peu du sort de l’enfant, s’implique rarement dans ses activités ou prend
le temps de jouer avec lui).
Les relations entre un jeune et un adulte (à
partir de 25 ans) sont empreints de crispations, de malentendus et de conflits.
A l’égard des jeunes, les adultes ont une
image négative des nouvelles générations, considérées par ailleurs «sans
cervelle» et bien peu « tolérantes ». Les jeunes sont ainsi jugés égoïstes,
paresseux et intolérants. Les adultes les considèrent comme une génération sacrifiée, ou pire perdue. Or
ces derniers se disent incompris, exclus et manipulés par les adultes.
Les
rapports entre jeunes et les vieux (65 ans et plus) sont surtout caractérisés
par l’indifférence frisant même le mépris. Les vieux sont ignorés des jeunes, voire
même victimes de leurs moqueries gratuites. Néanmoins, en certaines occasions,
une certaine complicité s’installe entre eux contre un « ennemi »
commun : les parents, autrement dit les adultes.
D’une manière générale, les jeunes subissent
de nombreuses discriminations et peinent à être reconnus comme des acteurs à
part entière de la société. Les discours stigmatisants sur les jeunes qui
seraient soit individualistes soit insuffisamment matures pour travailler soit
centrés sur eux-mêmes sont responsables des crispations entre les différentes
générations. Confrontés à de nombreux obstacles dans
l’accès à l’emploi (et donc à la capacité de produire de la richesse), exclus
des principaux lieux de concertation et de décision où se définissent les
modalités de la vie démocratique et de création de la richesse.
b. Inégalités intergénérationnelles
Les
jeunes, tout comme les autres classes d’âge, ne constituent pas une catégorie à
part entière et uniforme. Si certaines caractéristiques sont communes à tous
les jeunes, de nombreuses disparités, voire inégalités, sont observables à l’intérieur
de cette classe d'âge, qu’elles soient sociales, territoriales, sexuelles, etc.
Les
jeunes d’aujourd’hui se caractérisent ainsi par une « fragmentation sociale et culturelle » (Louis CHAUVEL) qui oblige à reconsidérer les
inégalités, non plus seulement à travers le prisme des générations, mais en
prenant en compte l’ensemble des mécanismes à l’œuvre dans la société.
Le
phénomène du déclassement
Ce
concept renvoie en effet à trois significations différentes en sociologie et
dans le débat public.
1 - Lorsque l'on compare les générations entre
elles, le déclassement se rapporte au fait qu'un individu connaît une situation
moins bonne que celle de ses parents : il s'agit du déclassement intergénérationnel.
2 - Quand on s'intéresse à une seule génération au
cours de son cycle de vie, le déclassement désigne la disparité de situations
entre plusieurs individus de cette génération : il s'agit alors de déclassement intra générationnel.
3 - Le déclassement peut également se rapporter à
la situation spécifique des jeunes diplômés. Il désigne alors le fait que des personnes qualifiées vont
occuper un travail moins qualifié, faute de trouver un emploi en accord avec
leur niveau de diplôme.
Par conséquent,
bien plus qu’il n’exprime un creusement des inégalités entre les générations, le phénomène de déclassement
manifeste à bien des égards l’émergence dans les pays développés d’un nouveau
modèle basé sur une précarité généralisée.
« Le déclassement agit comme un poison sur le moral des
individus. Il crée des situations de tension. Il influence la manière dont on
se représente le fonctionnement de la société ». Camille PEUGNY
c. Un dialogue intergénérationnel est-il
possible ?
Reconnaitre la contribution de chaque âge à la richesse collective, c’est poser les fondements d’un dialogue bienveillant et
équilibré entre les générations. C’est reconnaitre qu’au-delà des seuls
facteurs économiques, de nombreux autres paramètres jouent un rôle essentiel
dans le bien-être d’une société, et dans la cohésion entre les générations.
C’est enfin donner la direction à prendre aux futures politiques publiques en
direction des jeunes.
Seules la coopération et la confiance entre les différents
âges de la vie, et entre les différentes classes
sociales, pourrait permettre l’émergence d’un nouveau modèle de développement
plus respectueux de chacun.
A lire pour aller plus
loin
• CNAJEP,
Les jeunes au cœur de la richesse,
Paris, Janvier 2012. [PDF]
• Compte-rendu du séminaire de réflexions avec des jeunes, FOKAL, mai 2009
[PDF]
Réalisé par Jean-Gérard Anis & Carine
Schermann
FOKAL Mars-Avril 2014
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