1/ DEFINITIONS ET REMARQUES GENERALES
a- Bilinguisme :“situation d’un individu parlant
couramment deux langues différentes (bilinguisme individuel) ; situation d’une communauté
où se pratiquent concurremment deux langues. Le bilinguisme n’est qu’un cas
particulier du plurilinguisme qui touche la grande majorité de la population
mondiale”, dictionnaire Larousse en
ligne.
- Etats monolingues (rare) : Islande
- Etats officiellement plurilingues : Belgique, Suisse, Finlande,
et de nombreux pays en Afrique
L’étude
du bilinguisme comporte des enjeux :
- - sociologiques
- - politiques
- - juridiques (ex : protection des droits des minorités)
- - sociolinguistiques (ex : hiérarchie des langues,
standardisation, enseignement)
- - linguistiques (ex : étude sur l’évolution interne des
langues, leurs mélanges, leur variation, etc.)
Des
études en psychologie du développement démontrent que le bilinguisme a des effets
positifs sur le développement de l’enfant et sur l’intelligence.
A consulter
- Lambert, Werner, A
study of the roles of attitudes and motivation in second language learning
-Chomsky, Noam, Language
and mind
b –Diglossie (sociolinguistique) : “Appliqué à
une communauté, le bilinguisme implique en théorie la coexistence sur un plan
d’égalité des langues concernées; quand il y a infériorité de l’une des deux
langues, on parle de “diglossie””, dictionnaire Larousse en ligne.
L’un des
premiers à avoir théorisé le concept de diglossie est Ferguson, dans son
article “Diglossia”, paru dans la revue Word
en 1959. Cette analyse, valable en 1959, est désormais désuète, les langues
étant en constante évolution.
Notions à consulter : langue/langage ; langue
maternelle/langue vernaculaire/langue officielle
c - Plurilinguisme
Importance
de distinguer le plurilinguisme individuel et le plurilinguisme institutionnel.
A consulter
-De Saint-Robert, Philippe, “Les dangers du plurilinguisme”,
dossier Plurilinguisme, encyclopédie de la Francophonie
Informations diverses:
- Journée
internationale de la langue maternelle : 21 février : Elle a été proclamée
par la Conférence Générale de l’UNESCO en novembre 1999, pour promouvoir les
quelques 7000 langues de la planète. Cette journée constitue l’opportunité
d’une mobilisation en faveur de la diversité linguistique et du multilinguisme.
- Journée
internationale de la langue et de la culture créoles : 28 octobre. Journée célèbre
depuis 1983.
-Linguapax,
ONG fondée en 2001, à la suite d’une série de conférences organisées par
l’UNESCO. Objectif : promouvoir la diversité linguistique dans les relations
internationales et dans l’éducation. Des articles sont disponibles sur leur
site internet.
- Diversité
culturelle et linguistique dans l’éducation (UNESCO) : extrait du site :
“Le nombre de langues parlées dans le monde aujourd’hui a été estimé de
différentes façons à entre 6000 et 7000. L’Atlas des langues en péril dans le
monde, de l’UNESCO, a prévu qu’au moins la moitié d’entre elles pourraient
disparaitre dans les années à venir. Respecter les langues de ceux qui
appartiennent à d’autres communautés linguistiques, à travers l’enseignement
initial dans la langue maternelle, l’encouragement au pluralisme et à
l’éducation interculturelle, bilingue ou multilingue, l’accès à d’autres
systèmes de valeurs, et le partage de connaissances à travers de telles
frontières, est donc essential à une coexistence pacifique au 21ème siècle”.
A- LE
CRÉOLE DANS LA LITTÉRATURE
Entre le
XIXème et le XXème siècle, la Caraïbe connait les prémisses d’une littérature
en créole : l’écriture des débuts reste proche de l’oralité spécifique au
créole : genres courts, présence de nombreux dialogues, etc. Raphaël Confiant :
“tout le monde est bilingue, mais tout le monde n’est pas en mesure de lire le
créole. Ceux qui l’ont appris (…) ont eu des difficultés à me lire, parce
qu’ils avaient l’habitude de textes de quatre ou cinq pages, pas de romans! Il
n’y a pas plus de cent personnes qui ont vraiment lu mes romans en créole”[1].
“Le roman est le genre qui est le plus étranger à l’oralité”.
En
Haïti, l’essor de l’écriture créole a lieu dans les années 1980, 1990, avec des
écrivains comme Frankétienne, Morisseau-Leroy, Célestin-Mégie, Georges Castera,
J.M. Etièn, CarriéPaultre, et beaucoup d’auteurs de littérature dite mineure[2].
Plusieurs facteurs nourrissent cette évolution du créole, qui se déplace de
plus en plus de l’oralité vers l’écrit :
-
la traduction de la Bible en version intégrale en créole,
1985
-
la traduction d’écrivains français en créole : Molière,
Racine, Saint-Exupéry, etc.
-
l’émergence de journaux créoles, d’essais, de discours,
de lectures bilingues, de BD, etc.
Les débuts de la
littérature écrite en langue créole en Haïti
1901 G.
Sylvain, Cric? Crac!, fables (adaptées
de La Fontaine)
1906 Justin L’Hérisson, La famille des Pitite-Caille et Zoune
chez sa Ninnaine, romans
1953 Morisseau-Leroy, Antigone en créole, théâtre
A consulter
-Hazaël-Massieux, Marie-Christine, “La langue, enjeu
littéraire dans les écrits des auteurs antillais”, 2003, en ligne : http://creoles.free.fr/articles/AIEF-MCHM.pdf
- Hazaël-Massieux, Marie-Christine, “Du français, du
créole et de quelques situations plurilingues : données linguistiques et
sociolinguistiques”, en ligne : http://creoles.free.fr/articles/MCHM96.pdf
B - LE
CRÉOLE DANS LES INSTITUTIONS
Cadre légal
-La Constitution de 1843 (article 31) et la Constitution
de 1867 (article 29) prônent l’établissement d’écoles publiques en spécifiant
que “les langues usitées dans le pays seront enseignées dans ces écoles”.
-La Constitution de 1987 proclame le créole langue officielle,
au même titre que le français (article 5).
-La Constitution de 1987 prévoit la création d’une
académie créole (article 213).
-Décision unanime du Sénat et vote parlementaire en
décembre 2012 pour la création de l’académie du créole haïtien.
Le concept d’aménagement linguistique
“Renvoie
à toute forme de décision prise pour orienter et régler l’usage d’une ou de
plusieurs langues; elle englobe donc les notions d’aménagement et de
legislation linguistiques”.
L’enjeu
est la volonté et la capacité du pouvoir politique à garantir l’exercice
effectif des droits linguistiques en Haïti.
Le créole et l’éducation
Le
créole étant reconnu comme langue maternelle, le français est langue apprise à
l’école. Il y a un problème au niveau de la qualification des maîtres dans leur
aptitude à enseigner le français et au niveau de l’infrastructure. Les 80% de
la population créolophone unilingue est marginalisée et n’a pas accès aux
services de l’Etat et à un système d’éducation efficace. Selon la loi,
l’enseignement en créole est obligatoire de la 1ère à la 4ème
année fondamentale.
Tentatives de
réformes du système éducatif haïtien
-Réforme Bernard de 1979 introduit le créole comme langue
enseignée et langue d’enseignement
-le Plan National d’Education et de Formation (PNEF) de
1997-1998
-1ère Secrétairie d’Etat à l’Alphabétisation. En 1999, le
Ministère de l’Education Nationale se fixe pour objectif: “d’alphabétiser 2 100
000 personnes Durant 3 années; de diffuser l’écriture créole, c’est-à-dire
rendre l’écrit créole disponible et accessible partout dans le pays, dans la
langue parlée et comprise de tous les haïtiens”. Constat de l’échec de cette
entreprise.
-Stratégie nationale d’action pour l’éducation pour tous
de 2007
-Mission Alpha de l’Eglise catholique
Malgré ces réformes, l’enseignement du créole demeure
limité.
Leslie
Péan écrit :”le système éducatif élaboré
en français écarte la majorité de la population créolophone qui, de ce fait,
n’arrive pas à produire sa propre intelligentsia. Les habitudes et les gouts
créoles sont condamnés au profit uniquement des mœurs de la bourgeoisie
francophone et Francophile. Seules les voix de ces élites sont entendues,
tandis que celles des masses populaires demandant une équitable distribution de
la propriété terrienne, de l’éducation et de la santé sont ignores et/ou
marginalisées”[3].
Il dit encore “la diglossie (français/créole) constatée dans l’enseignement en
Haïti traduit en matière d’éducation l’absence d’Etat ou mieux l’Etat marron
qui trône partout”.
Il est
nécessaire, selon lui, d’entreprendre un vaste programme de traductions en
créole haïtien d’ouvrages scolaires pour favoriser l’optimisation de
l’enseignement.
C - LE
CRÉOLE D’UN POINT DE VUE SOCIOLINGUISTIQUE
Maîtrise du créole VS maîtrise du français
La
totalité de la population parle créole, alors qu’une minorité pratique le
français. Les chiffres varient selon les sources.
Reflet d’une lutte des classes
“L’exclusivité
du français non seulement marginalise la majorité de la population qui n’a pas accès
à l’éducation, mais alimente la division des classes sociales qui ouvre les
portes à la discrimination entre Haïtiens”, écrit Michel Eric Gaillard[4].
A consulter
-Berrouët-Oriol, Robert, “Aménagement du créole et du
français en Haïti”, en ligne : sur le site du Collectif Haïti de France.
-Berrouët-Oriol, Robert, L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions,
éd. De l’Université d’Etat d’Haïti, 2011
-Dejean, Yves, Yonlekòltètanba
nan yonpeyitètanba, éd. De l’Université d’Etat d’Haïti, 2013
-Dejean, Yves, “Haïti : déménagement linguistique”,
Alterpresse, 30 juillet 2011 (en ligne)
-Saint-Fort, Hugues, Haïti
: question de langues, langues en question, éd. De l’Université d’Haïti,
2011
-Govain, Renauld (dir), Akademikreyòlayisyen, kipwoblèm? Kiavantaj? Kidefi? Kiavni?, éd. De
l’Université d’Etat d’Haïti, 2011
- « Haïti-langue : Après le vote par le
parlement de la création de l’académie du créole haïtien », Alterpresse,
26 avril 2013, en ligne : http://www.alterpresse.org/spip.php?article14452#.U1feixaE3R0
3/ ENJEUX DE LA DIVERSITE LINGUISTIQUE DANS LA CARAIBES
A - CRÉOLES
DES ANTILLES ET “CRÉOLITÉ”
Il y a
aux Antilles une problématique linguistique commune : celle de la juxtaposition
du créole et du français : Guadeloupe, Guyane, Haïti, Martinique (et celle de
la juxtaposition du créole et de l’anglais).
Dans
l’entre-deux-guerres, le courant littéraire et politique de la négritude voit le jour. Il rassemble
des écrivains noirs francophones, parmi lesquels Aimé Césaire (Martinique),
Léopold Sédar-Senghor (Sénégal), Léon-Gontron Damas (Guyane) qui créent la
revue L’étudiant Noir. Ils prônent une redéfinition de l’identité de
“l’homme noir” fondée sur le rejet du colonialisme et de l’hégémonie
culturelle, intellectuelle et raciale de l’Occident et des Européens sur
l’homme africain.
Cette remise en cause du système de domination
occidentale bouleverse le rapport à la langue créole. Raphaël
Confiant dit : “A partir des années 30,
quand on a commencé à contester la suprématie intellectuelle de l’homme
occidental, fatalement le rapport à la langue française a été ébranlé[5]”.
Césaire définit la négritude en ces termes : “La négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et
l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de
notre culture”[6].
Les œuvres
majeures de la négritude (poésie,
essais)
-Cahier d’un retour
au pays natal, Césaire
-Discours sur le
colonialisme, Césaire;
-Ce que je crois :
négritude, francité et civilisation de l’universel, Senghor
-Orphée Noire,
Sartre
Dans les
années 1980, émerge le mouvement de la créolité, à la Martinique, autour de
Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Jean Bernabé. Ils publient en 1989 L’éloge de la créolité : “La créolité est une annihilation de la
fausse universalité, du monolinguisme et de la pureté”. Raphaël Confiant dit :
“Notre militantisme se situe au second degré, (…) la littérature doit valoriser
tout l’imaginaire créole créé pendant trois siècles par des homes et des femmes
qui ont coupé la canne à sucre comme esclaves en continuant à produire une
littérature orale (…). Il s’agit moins d’élaborer un discours politique que de
“bouturer” l’oralité créole sur la littérarité française[7]”.
-Confiant, Raphael, “La bicyclette créole ou la voiture
française”, entretien mené par René de Ceccatty, Le Monde, 6 novembre 1992, en ligne : http://www.madinin-art.net/la-bicyclette-creole-ou-la-voiture-francaise/
-“Aimé Césaire, Léopold Senghor et Léon Gontran-Damas”,
1995, INA, 3’21, en ligne : http://www.ina.fr/video/I05332867
-“Rencontre avec Aimé Césaire. La négritude”, 1963, INA,
4’05, en ligne : http://www.ina.fr/video/I05188646
B - LA
PLACE DU CRÉOLE DANS LA CARAÏBES/AMERIQUE CENTRALE AUJOURD’HUI
L’ensemble Caraïbes est créolophone : Dominique,
Grenade, Guadeloupe, Guyane, Haïti, Martinique, Sainte Lucie, Saint Thomas,
Trinidad…
Le 1er
juillet 2011 : lors de la 32ème réunion ordinaire de la conférence des chefs
d’Etat et de gouvernement de la CARICOM, Michel Martelly a proposé d’y intégrer
la langue française : “Je recommande au
groupe de travail intergouvernemental sur la révision du Traité de Chaguaramas
d’ajouter à son agenda la question de la diversité linguistique au sein de
notre communauté et de l’intégration du français comme langue officielle et de
travail au niveau du secrétariat et des autres instances de la CARICOM”[8].
Fernand Léger et Leslie Péan réfléchissent à cette problématique linguistique
sous l’angle de l’intégration régionale d’Haïti.
C - ANGLAIS
ET ESPAGNOL DANS LA CARAÏBE[9]S
Haïti
est isolée de la Caraïbe, de l’Amérique centrale et des Amériques du Nord et du
Sud. La proximité avec les pays hispanophones a permis une familiarisation avec
l’espagnol. L’anglais est couramment utilise, surtout dans le commerce et le
tourisme.
“La communication est un outil d’influence et
de leadership. Comment Haïti peut-elle influencer les décisions régionales
et/ou sous-régionales si elle n’est pas capable de se faire comprendre
facilement et d’engager ses partenaires économiques et politiques dans un
dialogue sans contrainte d’interprétation et/ou de traduction?”, Michel
Eric Gaillet.
A consulter
-Léger, Fernand, “Quelle langue intégrer aux côtés de
l’anglais dans la CARICOM : le français ou le créole?”, Le Nouvelliste, 19 février 2013 (en ligne)
-Péan, Leslie, “Economie d’une langue et langue d’une
économie”, Le Nouvelliste, 25 février
2013 (en ligne)
-Péan, Leslie, “Retour sur l’article “Economie d’une
langue et langue d’une économie””, Le
Nouvelliste, 21 mars 2013 (en ligne)
-Gaillard, Michel Eric, “Parler quatre langues en Haïti”, Le Nouvelliste, 18 février 2014 (en
ligne)
Réalisé par Jean-Gérard Anis & Carine
Schermann
FOKAL Mars-Avril 2014
[2]A noterque la categorisation d’oeuvres oud’auteurs de
langue créoledans la catégorie “mineurs” a souventeu à voir au fait
qu’ilsétaienttraduit en langue françaiseou non. De
nombreuxécrivainshaïtiensdemeurent mal connus du public international
etmêmehaïtien, parcequ’ilsn’ont pas ététraduits.
[3]Dans son article “Retour surl’article “Economied’une
langue et langue d’uneéconomie””.
[4]Dans son article “Parlerquatrelangues en Haïti”.
[5]Cf. son interview dansLe
Monde, “La bicyclettecréoleou la voiturefrançaise”.
[6]In Liberté 3
[9]Dans son article “Parlerquatrelangues en Haïti”
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